Incroyablement, le premier et unique ouvrage essayant de disséquer l'univers de cet insondable combo qu'est Magma était signé Antoine De Caunes. Puis soudain le vide. A part de brèves apparitions dans la presse - il faudra attendre mars 2009 pour voir Christian Vander en couverture de Rock & Folk - on en parlait plus nulle part ailleurs.

Réjouissons nous, le formidable éditeur Le mot et le reste réédite ces jours-ci le livre de Philippe Gonin (paru dans un premier temps en janvier 2010) sur Magma, et s’impose comme étant un ouvrage de référence. Il faut dire que le livre de De Caunes, datant de 1978, n’était plus vraiment au gout du jour, alors que Magma n’a peut-être jamais été autant sollicité qu’aujourd’hui. Le contenu du livre est passionnant, et permet de pouvoir pénétrer facilement dans l’univers complexe d’un groupe au paroxysme de la singularité.

philippe_gonin_magmaLa construction de l’ouvrage, progressive. A la biographie très complète, permettant d’observer les différents line up de Magma, vient s’ajouter un historique de son évolution au fil des âges dans le contexte politique et musical français. Le lecteur oscillera sur bien des registres, parfois très surprenants (le passage sur Blake et Mortimer est un must) et enrichissants culturellement, donnant l’irrémédiable envie de se (re)plonger dans l’oeuvre de John Coltrane (maître spirituel de Vander), Stravinsky et autres Carl Orff.Le passage essentiel et le plus passionnant du livre est sans doute celui traitant des influences de l’incroyable vaisseau. Toutes les clefs sont ainsi données pour comprendre l’inventivité de Christian Vander, en répondant à cette question existentielle : C’est quoi Magma ?
Cette fameuse question, évidemment rhétorique, amène Philippe Gonin à se demander si Magma ne serait pas avant tout une « cosmogonie ». Ce passage est incroyablement riche et permet de redécouvrir l’importance du bassiste Jannick Top, mais surtout l’importance de la musique comme moyen d’expression et débouche sur l’invention du Kobaïen, ce langage inventé spirituellement par Christian Vander.

Pour comprendre l’underground français des seventies (riche à l’époque), il faut impérativement connaitre l’influence de groupes issus de l’école progressive de Canterbury (Soft Machine, Caravan, Pink Floyd), ainsi que celle de l’écurie Zappa/Beefheart. Magma se démarque alors considérablement, car finalement loin de cette affaire rock’n’roll, et emmène l’expression musicale où seul Sun Ra aurait éventuellement aussi mis les pieds. Citons Christian Vander : « Apporter à chaque fois quelque chose de différent ». Sacré défi ! Il n’est donc pas surprenant de constater que le groupe de Christian Vander soit toujours sur le devant de la scène, et l’un des seuls survivants de cette épopée french rock post 68 au côté d’un Gong bien amoché, d’un Ange toujours aussi marginal, et d’une Catherine Ribeiro bien trop rare.

Comme le signifie l’auteur : « Notre ouvrage ne traite pas de la scène musicale en France au début des seventies ». Entendons-nous bien, il s’agit avant tout de déchiffrer l’oeuvre musicale de Magma. Ce qui nous amène à la deuxième partie du livre, qui est d’ailleurs la plus longue : le décryptage disque par disque de la discographie intégrale de Magma, en plusieurs points, de la genèse en passant par l’enregistrement, jusqu’à l’accueil presse (critiques pour la plupart issues de Rock & Folk et Best) à la sortie de chaque œuvre, tout en restituant chaque histoire contée dans la mythologie kobaienne à sa place.

L’occasion donc, de se repencher sur le mythique premier album kobaïen, la première fresque Vanderienne qu’est l’essentiel « Mekanïk Destruktïw Kommandöh », ou sur les disques moins connus comme « Merci », avant la traversée du désert (il faudra attendre quasiment 20 ans pour son successeur), ou encore « Ëmëhntëhtt-Rê » qui démontre que Magma n’a rien perdu de son génie.

Si la réédition du livre permet une mise à jour discographique, fort étonnamment les deux versions du livre font le même nombre de pages. On regrette alors que la réédition n’offre pas les superbes photos issues de la tournée au Japon à Tokyo et Osaka en mai 2009, en bonus, comme c’était le cas dans la première version du livre. Mais qu’importe, ce livre est essentiel pour quiconque s’intéresse de prés à la musique, et permet de (re)découvrir l’un des groupes les plus passionnants qui soit. En complément, « Le mot et le reste » a récemment sorti un autre livre sur le sujet : « Au coeur du Magma » de Klaus Blasquiz (premier chanteur de Magma et critique chez Rock & Folk), à qui l’on doit ici la préface.

Croisons les doigts pour qu’un jour, quelqu’un s’attaque aux autres confréries qui font vivre la musique Zeuhl (Nyl, Altais, Univers Zero, Art Zoyd…), ainsi qu’aux innombrables side projects des membres de Magma (Le Swing Strings System en tête), dans le but d’en faire un livre. Mais ce qui serait surtout formidable, c’est qu’Antoine De Caune se remette en selle… Et si sortir la France de sa fameuse crise passait par l’étude du Kobaïen ? Qu’attend donc le présentateur du Grand Journal pour inviter Philippe Gonin parler de son ouvrage sur son plateau, avec en bonus un live de Magma ?
La ménagère ne s’en relèverait probablement pas, et peut-être que l’on pourrait étudier l’histoire de ‘’Kobaïa’’ dans les écoles. Traduire la bible dans la langue vanderienne dans le but de prier Rïah Sahïltaahk, fils de Jesus Christian Vander ? Allez quoi, à la vitesse où vont les choses, il doit bien y avoir une pétition du genre qui existe. Soyons sérieux, c’est où qu’on signe ?

Philippe Gonin // Magma : décryptage d’un mythe et d’une musique // Le mot et le reste

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