Dans les années 80, le polar français envahit les écrans. Chaque mois, des dizaines de films voient le jour qui proposent des visions de Gérard Lanvin, Thierry Lhermitte et Daniel Auteuil faisant le coup de poing en jeans, baskets et blousons de cuir. Et puis par instinct de survie, une amnésie collective frappe le pays qui oublie tout de ce douloureux épisode. Trente-trois ans après les faits, un homme a décidé qu’il était temps de nous replonger dans ce corpus pour soigner le trauma. Rencontre avec Rod Glacial, auteur du livre Polar80 aux éditions Le Chat qui fume.

Avant que les récents succès de La Nuit du 12 et d’Anatomie d’une chute ne rebattent les cartes, quant on pensait au cinéma policier français, Les Tontons flingueurs, Henri-Georges Clouzot et Jean-Pierre Melville venaient promptement en tête. Après réflexions, quelques réussites signées Jacques Audiard ou Mathieu Kassovitz étaient mises sur le tapis. Pourtant, il a existé un autre temps fort pour le genre : les années 80. Une décennie durant, des noms aussi hétérogènes que ceux de Brigitte Lahaie, Robert Bresson et Frank Dubosc ont trempé dans le film noir.

Pour réaliser l’autopsie de cette période, Rod Glacial a pris sur lui de fouiller les bas-fonds des catalogues vidéo et d’interroger les témoins louches de l’époque. De ces péripéties, le journaliste est revenu avec une encyclopédie qui invoque aussi bien les incursions d’auteurs respectés (Garde à vue, Série Noire, quelques Pialat), les excès de Belmondo et Delon, lecinéma du lookou les ersatz de L’Inspecteur Harry et des Guerriers de la nuit. Un livre qui nous rappelle qu’au milieu de ce foutoir, des propositions singulières ont su marier les codes du policier avec ceux de la comédie (Les Ripoux de Claude Zidi), du film social (Neige de Juliet Berto) ou de la bande-dessinée mal élevée (Canicule d’Yves Boisset). Rembobinage.

As-tu l’âge d’avoir vu les films dont tu parles à leur sortie en salle ?

Je suis né en 1986 donc j’ai plutôt découvert ces films lors de leur diffusion à la télévision. J’avais un grand-père fan de cinéma policier et je me souviens avoir passé avec lui de nombreux dimanches soirs devant TF1. Ambiance “Carte d’Or”. C’est comme ça que j’ai vu pour la première fois Les Ripoux, Les Spécialistes, Le Marginal… Je crois que ces diffusions télé ainsi que l’exploitation en VHS ont contribué à créer l’aura de ces films.

« C’est normal qu’aujourd’hui la cinéphilie ne défende pas le polar français des années 80 : elle n’allait déjà pas voir ces films quand ils étaient en salle à l’époque ».

Pourquoi as-tu été marqué par ce genre cinématographique en particulier ?

Tous ces films étaient très urbains. Or, je viens d’une petite ville de Bretagne. Voir ces polars c’était donc découvrir Paris et ses nuits interlopes. C’était fascinant de suivre Dewaere en pleine banlieue anxiogène dans Série noire, Léotard au milieu des terrains vagues de Belleville dans La Balance ou encore Coluche traîner avec des punks au Gibus dans Tchao Pantin. Et ces scènes en boîtes de nuit ou dans des salles de concert, elles sont hyper courantes dans le cinéma français des années 80. Même dans les films du Splendide. Par exemple, dans Les hommes préfèrent les grosses, il y a un passage dans lequel Josiane Balasko danse sur du Talking Heads aux Bains Douches. A posteriori, c’est étonnant cette rencontre d’un monde mainstream et d’une culture branchée.

Affiche de SERIE NOIRE

Et donc tu n’as jamais arrêté de sonder ce corpus ?

J’ai repris l’exploration de ce genre dans les années 2010 alors que j’étais installé à Paris. J’aidais à l’organisation d’un ciné-club dédié aux polars des années 80 qu’on avait créé avec quelques amis. Pour organiser la quinzaine de double-séances qu’on a dû faire, j’ai découvert une centaine de films dont je ne soupçonnais même pas l’existence. En plus de ce ciné-club, j’ai créé un groupe Facebook intitulé “Polar80”, une sorte de groupe de recherche où chacun pouvait poster la jaquette de telle VHS improbable ou de tel extrait d’interview trouvé dans un vieux numéro de Première.
Les membres étaient des gens qui, comme moi, s’intéressaient moins aux intrigues policières qu’à l’ambiance de l’époque, le parlé de l’époque, ce genre de détails. Enfin bon, je crois que c’est vers 2014/2015 que l’idée du livre a vraiment germé. Je me suis renseigné et aucun ouvrage n’avait été écrit sur ce cinéma-là. Du coup, j’ai commencé des recherches sérieuses en me rendant à la bibliothèque du film, à la cinémathèque.

« Rares sont les comédiennes à avoir tenu des rôles intéressants dans le polar de cette époque. Celle qui s’en sort le mieux c’est Miou-Miou avec ses rôles dans La Dérobade, La Gueule du loup ou La Femme Flic ».

Quelle a été l’étape suivante ?

Autour de 2018, je me suis lancé dans une grosse phase d’interviews. Pour des questions d’agendas ou d’agents, je n’ai malheureusement pas pu rencontrer Gérard Lanvin ou Richard Berry – les deux poids lourds du genre – mais je suis très content d’avoir pu discuter avec Thierry Lhermitte.  Il est très honnête dans ses réponses. Et puis il a du recul, lui qui continue à faire carrière dans la comédie. Ce qui n’aurait peut être pas été le cas d’un certain nombre de comédiens de l’époque qui ne tournent plus aujourd’hui. Autre réflexion : si j’avais eu des mecs comme Richard Berry ou Daniel Auteuil, je ne suis pas sûr qu’ils auraient eu le même franc parlé. Je pense qu’ils prennent plus au sérieux cette partie de leur carrière que Lhermitte.
Un regret que j’ai, c’est de ne pas avoir pu interviewer plus de femmes. J’ai pu avoir Fanny Bastien qui est également sans langue de bois. Mais j’aurais aimé parler avec Christine Boisson ou Carole Laure qui n’ont malheureusement pas voulu revenir sur leur filmographie… De manière générale, on remarque que rares sont les comédiennes à avoir tenu des rôles intéressants dans le polar de cette époque. Celle qui s’en sort le mieux c’est Miou-Miou avec ses rôles dans La Dérobade, La Gueule du loup ou La Femme Flic.

La femme flic : la critique du film - CinéDweller

Le premier constat qu’on se fait en lisant ton livre, c’est que le polar dans les années 80, ce n’était pas une mode, mais un raz-de-marée.

En effet, il semble que la production nationale dans ces années-là était totalement dominée d’une part par le polar et d’autre part par la comédie. D’ailleurs, très vite apparaissent des polars qui sont aussi des comédies et des comédies qui sont des polars. On sent que les producteurs ont voulu capitaliser un maximum. On peut citer à nouveau Josiane Balasko qui réalise Sac de noeuds en 85, ou bien Gérard Jugnot qui met en scène Pinot simple flic en 84, et évidemment Claude Zidi avec Les Ripoux. Ce qui est étonnant c’est que ces comédies ne prennent pas le polar comme simple prétexte à un enchaînement de gags. Ce sont des films vraiment grinçants avec des éléments quasiment naturalistes très bien vus. En fait, ce sont des films plus pertinents que certains polars plein de testostérone de la même époque qui sont devenus risibles. D’ailleurs, puisqu’on est dans la comédie, il faut qu’on cite Inspecteur La Bavure. C’est l’histoire d’un personnage interprété par Coluche qui devient policier comme son père avant lui. Alors qu’il va se rendre au commissariat pour son premier jour, sa mère lui tend la gabardine paternelle et Coluche de répondre : “On n’en porte plus dans la police, maintenant on s’habille décontractés !” Je pense que tout le polar 80 est dans ce dialogue qui date de 1980 tout pile.

Le second constat, c’est que les polars étaient des succès commerciaux, mais aussi présents aux Césars. Les Ripoux et La Balance gagnent tous deux le César du meilleur film. Pourtant, aujourd’hui, ces films sont quasiment oubliés. La cinéphilie n’a pas entretenu leur mémoire.

C’est assez vrai et c’est d’ailleurs en partie pour cela que j’ai choisi la forme encyclopédique. Et que j’ai tenu à publier les résultats au box-office des polars 80 [Ndr : Les Ripoux et Les Spécialistes rassemble plus de 5 millions de Français en salle et plus de 50 films du corpus dépassent le million d’entrées]. C’est normal que la cinéphilie ne défende pas ce cinéma là aujourd’hui car elle n’allait déjà pas voir ces films quand ils étaient en salle à l’époque. Alexandre Arcady m’a confié en interview que même Le Parrain quand il est sorti en France a été snobé par une partie de l’intelligentsia. Cela dit, il est vrai que de nombreux polars des années 80 étaient des films faciles tirant en permanence sur les mêmes ficelles. Ceux de Belmondo et de Delon en tête. La critique qui avait déjà taxé les sagas Un justicier dans la ville et Inspecteur Harry de réactionnaires ne s’embêtait même plus à pourfendre les productions françaises.

En dehors de la cinéphilie, on pourrait imaginer que ces films soient restés dans la mémoire collective via des diffusions télé, des éditions DVD, mais il me semble que cela ne soit plus le cas après les années 90. Les Ripoux et Les Spécialistes ne sont pas restés comme les films de Louis de Funès, par exemple. Comment tu expliques cela ?

C’est vrai qu’on a parfois l’impression que rien n’a existé en dehors des “grosses têtes” du polar, soit Gabin, Ventura, Belmondo et Delon. Personnellement, je n’en peux plus des Tontons Flingueurs. D’où l’envie de faire ce livre. Je n’ai pas les chiffres de ventes des DVDs des polars 80 mais on constate en effet qu’un grand nombre sont introuvables. Et que même des films qui ont marqué en leur temps n’ont eu le droit qu’à des éditions faites à la va-vite sans restauration ni bonus.

Les Fauves - Film (1984) - SensCritique

On peut citer sur les doigts de la main les films qui sont restés de cette époque : Tchao Pantin, De bruit et de fureur, À mort l’arbitre, Coup de torchon.

Ta liste est très “cinéma d’auteur”, ce qui me fait penser que le polar a quand même une formidable plasticité. Dans le livre, tu peux enchainer une critique d’un film de Max Pécas avec une critique d’un film de Robert Bresson puis avec la chronique d’un Boisset. Ça dit bien la place qu’avait pris le polar à l’époque. Et ça dit bien aussi qu’avec le polar tu peux tout écrire, tout tourner, tout dire.

En parlant d’Yves Boisset, il me semble qu’avec Serge Leroy ces deux réalisateurs ont une place à part dans le polar. Ce ne sont pas des opportunistes, on sent chez eux un amour véritable du genre.

Il faut ajouter à ces deux noms celui de Jean-Claude Missiaen qui a réalisé Tir Groupé, La Baston, Ronde de nuit. C’était un ancien attaché de presse, notamment pour Jean Gabin, qui a beaucoup écrit sur le cinéma. En tant que réalisateur, il avait un certain don pour dénicher les acteurs en devenir. Il a participé à lancer les carrières de Gérard Lanvin, Véronique Genest ou encore Jean-Roger Milo qui était un acteur à la fois mal aimé et dur à faire jouer. Missiaen était évidemment un amoureux du cinéma américain, des films de Clint Eastwood, des Guerriers de la nuit ou bien du cinéma de Michael Winner.

Photos et Affiches de Tir groupé

Au-delà des Etats-Unis, est-ce que d’autres cinématographies ont infusé dans le polar français ? Je pense notamment aux films hong-kongais de l’époque. Le numéro des Cahiers du cinéma spécial Hong Kong date de 1984.

Le premier épisode de la série David Lansky avec Johnny Hallyday s’intitule Hong Kong sur Seine. C’est un signe que des gens lorgnaient vers l’Asie, mais bon, en termes de mise en scène, on peut pas dire que cela est infusé dans les années 80. A mon avis, le premier film français influencé par Hong Kong, c’est Nikita de Luc Besson en 1989. Avant ça, le cinéma français me semble imperméable à ce genre d’esthétique.
Pour ce qui est d’autres influences, il ne faut pas oublier le buddy movie américain. Des films comme 48 heures avec Nick Nolte et Eddie Murphy ont donné en France des films comme Les Spécialistes. Une autre influence qu’on peut évoquer, c’est celle de l’Italie avec le poliziottesco et, dans une moindre mesure, le giallo.

Quelles sont selon toi les trois meilleurs films du corpus, ceux que tu conseilles de découvrir ?

Je crois que je mettrais Tir Groupé en premier. L’Arbalète en deux, car il ne respecte rien et ne ressemble à rien de ce qui s’est fait dans le cinéma français. Et puis allez, Extérieur Nuit de Jacques Bral, qui est mort juste avant que je ne l’interviewe. Comme dans un film noir.

Polar80 de Rod Glacial, aux éditions du Chat qui fume.
https://lechatquifume.myshopify.com/products/polar80

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