2001, Shining, Eyes Wide Shut, Full Metal Jacket, Les sentiers de la gloire, Orange Mécanique… Parcourir la filmographie de Kubrick, c’est pénétrer la sainte chapelle du 7ème art. Pourquoi ne pas parler un peu de Sir Stanley avec celui qui fut son producteur exécutif pendant 30 ans ?

Si vous êtes normalement constitué, peu probable que vous connaissiez Jan Harlan. Né deux ans avant la seconde guerre mondiale, la vie d’Harlan bascule lorsqu’il devient à 20 ans l’assistant-réalisateur des sentiers du film Les sentiers de la gloire.

A la réalisation, un Stanley Kubrick humain, pas encore un mythe. Une association sans lendemain ? Absolument pas, puisqu’à partir de 1975, l’Allemand devenu entre-temps beau-frère de Kubrick se voit propulser producteur exécutif des films d’un génie devenu intouchable dont le dernier bijou, Orange Mécanique, a déjà 4 ans. Harlan ne le sait pas encore, mais la route à faire reste palpitante. Au menu, 4 monstres : Barry Lyndon, Shining, Full Metal Jacket et Eyes Wide Shut. Marqué au fer rouge par le démiurge de la pellicule, Harlan réalisera bien plus tard deux documentaires honorables : un sur Malcolm McDowell et un sur… Stanley, of course !

En quoi la période où vous avez été le producteur exécutif de Stanley Kubrick vous a-t-elle inspiré pour développer vos propres projets ?

Jan Harlan : Ce qui m’a le plus inspiré – parmi d’autres choses – c’est probablement les étudiants dans les écoles de cinéma et leurs tentatives, leur volonté de réaliser un court-métrage pour montrer qu’ils sont talentueux. Réaliser un bon court-métrage, c’est très difficile et bien souvent, ils échouent. Certains sont vraiment excellents, et en France Planter les choux en est un excellent exemple. Un court-métrage doit tenir sur une idée, une seule, et une façon de la développer de telle sorte que la fin du court fait écho à son début. Voilà la formule pour écrire et réaliser un excellent court-métrage.

Vous êtes connu comme le producteur exécutif de nombreux films de Stanley Kubrick. Quelle approche aviez-vous pour trouver un équilibre entre la vision artistique et les considérations financières ?

Jan Harlan : Aucune. Cela n’était pas mon job mais celui du producteur. Je pense qu’il savait à peu près ce qu’il avait à faire.

Kubrick on the set of Paths of Glory (1957 publicity photo) - PICRYL - Public Domain Media Search Engine Public Domain Search

Selon vous, qu’est ce qui distingue les très réalisateurs de cinéma de réalisateurs lambdas ?

Jan Harlan : L’auto-critique. C’est fondamental pour avancer et progresser en permanence. Ce qui est également important, c’est leur capacité à équilibrer leurs envies artistiques avec les contraintes budgétaires d’un film. L’enveloppe n’est pas limitée et vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez si vous n’avez pas l’argent pour. Les grands réalisateurs le savent, et s’adaptent. Parfois, ça démultiplie leur imagination et leur ingéniosité.

Pouvez-vous nous partager un souvenir mémorable ou un challenge que vous aviez du relever lorsque que vous travailliez avec Stanley Kubrick ?

Jan Harlan : « Re-caster » complètement une scène alors qu’elle avait déjà été tournée et la refaire à nouveau. Ca n’était pas une critique des acteurs, mais tout simplement un très mauvais casting.

« L’intelligence artificielle…Son impact ? Franchement, je n’en ai aucune idée. Ce que je sais, c’est qu’une bonne histoire est quelque chose de très rare et que c’est là-dessus que reposent les grands films »

A votre avis, quels sont les principaux challenges auxquels l’industrie du cinéma doit faire face aujourd’hui ?

Jan Harlan : Je ne saurais dire… Je viens de voir Perfect days, un merveilleux film de Wim Wenders. Vraiment magique. Les très gros films, et évidemment les blockbusters, ne me procurent pas ces émotions malgré leurs dizaines ou centaines de millions de budget. Je dirais même que trop d’argent conduit souvent à me sortir du film. Ceci dit, je suis probablement un mauvais juge quand l’art devient « business ».

Pensez-vous que les technologies émergentes, comme la réalité virtuelle ou l’intelligence artificielle, vont avoir un impact sur la manière de réaliser des films ?

Jan Harlan : L’intelligence artificielle… Son impact ? Franchement, je n’en ai aucune idée. Ce que je sais, c’est qu’une bonne histoire est quelque chose de très rare et que c’est là-dessus que reposent les grands films.

Comment la musique de 2001 L'Odyssée de l'espace est devenue mythique

Aujourd’hui, vous donnez des cours dans des écoles de cinéma. Quels conseils donneriez-vous à des aspirants réalisateurs pour percer dans l’industrie cinématographique ?

Jan Harlan : Commencez déjà par avoir une bonne idée. Ca ne paraît pas, mais c’est assez difficile. Soyez aussi très critique envers vous-même et envers votre travail. Faites un court métrage fidèle à votre idée de départ. Un grand court-métrage est quelque chose de très, très rare. J’en possède des centaines voire des milliers, et parmi eux, il n’y a qu’une trentaine que je montre à mes étudiants. Voilà les seuls conseils que je peux leur donner à mon âge.

« A propos d’Eyes Wide Shut, Kubrick avait acheté les droits du livre en 1971, et il a buté sur ce sujet pendant 30 ans »

Parmi les films sur lesquels vous avez travaillé, lequel vous rend le plus fier et pourquoi ?

Jan Harlan : Sans conteste Eyes wide shut, le dernier film de Stanley Kubrick. Parce que j’ai immédiatement entrevu la lutte et la difficulté de montrer la jalousie à l’écran. C’est le principal sujet du film, et c’était très compliqué. Ce film montre la jalousie comme un puissant poison, capable de briser ou de pourrir un mariage d’amour et de passion. Pour Arthur Schnitzler, l’auteur de la Nouvelle rêvée, c’était plus simple. Décrire la jalousie avec des mots, c’est certainement plus simple que de la filmer. Kubrick avait acheté les droits du livre en 1971, et il a buté sur ce sujet pendant 30 ans. Ca a été et de loin son film le plus difficile à réaliser, et ce malgré des excellents acteurs et une très bonne équipe de tournage. Il n’a jamais autant été critique de son propre travail que sur ce film, et ça a rendu le projet encore plus complexe à mener jusqu’à son terme.

Avez-vous encore des nouveaux projets en cours ? Si oui, pouvez-vous nous en toucher un mot ?

Jan Harlan : J’ai 87 ans. A mon âge, on n’a plus beaucoup de projets. Je travaille tout de même sur un livre français de François Betz qui sortira en octobre sur Barry Lyndon. C’est son livre. Le film avait eu un succès énorme en France, en Italie, en Espagne et aussi au Japon, mais avait été un véritable échec dans les pays anglophones. J’espère que ce livre français sera un succès.

« Warner Bros savait que Kubrick « faisait toujours de son mieux », mais selon ses conditions. C’était à prendre ou à laisser »

Quelle principale leçon retenez-vous de Stanley Kubrick ?

Jan Harlan : Ce qui me vient en premier lieu, c’est la musique : utilisez seulement la musique que vous aimez. Dans 2001 : A Space Odyssey, Stanley avait utiliser une valse viennoise, mais aussi Richard Strauss, Ligeti et Khachaturian. Tout ça allait pourtant complètement à l’encontre des conventions de cette période. Je me souviens aussi qu’un jour quelqu’un lui a demandé « Qu’est ce qui est le plus difficile dans le fait de faire un film ? ». Sa réponse ? Sortir de la voiture !

Stanley Kubrick: tutti i film mai realizzati (o portati a termine)

Votre collaboration avec Kubrick a-t-elle influencé vos propres projets?

Jan Harlan : J’ai seulement réalisé des documentaires. Je n’ai jamais été assez talentueux pour réaliser un bon film de fiction, d’autant que j’ai pu pendant 30 ans me rendre compte à quel point c’est difficile.

En matière de production, comment vous répartissiez-vous la tâche avec Stanley Kubrick ?

Jan Harlan : Je ne me suis pas rendu compte de suite qu’être le producteur « quotidien » de Stanley serait ce défi global. Je n’ai jamais été « le producteur ». J’étais chargé de me procurer rapidement les bons outils pour faire avancer le film, peu importe à quoi servait l’outil. SK (comme on l’appelait) a toujours été à la fois le producteur, le réalisateur, le caméraman et le monteur de ses films. Il ne s’est jamais plaint des dépassements de calendrier car il savait trop bien qui était à blâmer : lui. J’étais un intermédiaire parlant à Warner Bros et expliquant la situation quand il y avait des problèmes. Warner Bros respectait trop SK pour faire toute une histoire sur le dépassement du calendrier. Ils savaient que SK faisait de son mieux et dans le cas d’Orange mécanique ou de Full Metal Jacket par exemple, les recettes furent écrasantes par rapport au coût du film. Warner Bros savait que Kubrick « faisait toujours de son mieux », mais selon ses conditions. C’était à prendre ou à laisser.

6 commentaires

    1. Il n’a rien à raconter peut-être à cause des questions qui ne volent pas très haut, pourtant Kubrick est un des cinéaste les plus fascinant.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages