Comme pas mal de hipsters nostalgiques d'une époque qu'ils n'ont pas connue, comme beaucoup de fous de littérature et d'adorateurs du Texte, j'ai rendu visite à une relique exposée au Musée des Lettres et des Manuscrits, à Saint Germain : Le Rouleau Original de "Sur La Route". En face, sur un mur, trônait la carte des USA avec les différents trajets de Kerouac... Un appel au voyage. Un voyage que Guillaume Chérel a fait pour de vrai, sac sur le dos et mains dans les poches, ou presque.

Quand j’ai regardé la carte, avec les lignes des différents voyages de Kerouac, je me suis dit qu’il ne devait pas y avoir beaucoup de cinglés qui rêvaient de refaire ce voyage, là tout de suite, à la manière de Jack, ou au volant d’une bagnole de location, avec une carte routière et sans GPS. J’imaginais être une des rares rêveuses à me demander comment justifier quelques semaines d’absences, comment rassembler les fonds, comment boucler mon sac. Quand…

311x500_chargement_9782361570507Guillaume Chérel semble être le genre de type à ne pas faire les choses à moitié. Ecrivain, voyageur, journaliste, il pense et agit. Ou au moins, c’est l’impression qu’il donne, avec sa plume nerveuse, vive, toujours en train de partir quelque part, vers un autre horizon, un autre pays, une autre dimension. En 2008, il s’embarque pour un voyage qu’il a déjà fait, plus jeune, en mode Kerouac Style, sac au dos et pouce levé. Avec plus de bouteille et un autre contexte socio-économique, voilà Guillaume Chérel sur le sol américain, direction Jack et ses zigzags. C’est là qu’on pourrait se dire « à quoi ça sert de faire un bouquin de plus de 300 pages sur un sujet que TOUT LE MONDE connaît par coeur, surtout depuis qu’une bouse hollywoodienne est venue galvauder un mythe? » Bonne question, mec. Je me suis demandé la même chose en entendant parler du projet, de la démarche, du pitch etc. Puis j’ai ouvert le livre, je l’ai lu jusqu’au bout et je n’ai rien trouvé à redire, même si j’envisage de me faire tatouer « Jack Kerouac » à l’intérieur du bras. Avec un coeur et un serpent autour, ouais.

Bref. Guillaume Chérel ne réécrit pas Sur la Route, il part sur les traces de Jack (pas seulement Kerouac, d’ailleurs. Jack London, immense écrivain américain affilié au courant « littérature des grands espaces », est très vivant tout au long de son périple, Cendrars, aussi. Et Melville. Ces écrivains de l’ailleurs…), son livre serait un genre de journal de bord de la Route. LA Route bien sûr, mais un mythe ancré dans la réalité d’une nation, d’un peuple, d’une économie. Inutile de chercher les similitudes entre le livre de Kerouac et celui de Chérel, on ne peut comparer que les villes, les trajets et les modes de transport. Pour le reste, on s’en doute, ça n’a rien à voir; Chérel ne fait pas un remake. Rappelons que crise économique, guerres, terrorisme, NRA, immigration, pauvreté et autres réjouissances propres à notre système libéral chéri ont ravagé les esprits et les régions. Même de la première puissance économique mondiale. Les homeless sont partout, les Neal Cassady père pullulent comme des zombies dans les souterrains des villes, les rapports sociaux se crispent, marqués par la peur de finir comme eux, sans un rond, à la rue… Il est loin le temps du bop et du jazz dans les bouges, loin le temps de cette insouciance folle et de l’instant présent. Sans doute la faute au choc pétrolier de 73 ? Au libéralisme ? RIP rêves de jeunesse beat !

cherel1Loin des illusions ou des fantasmagories, Guillaume Chérel, en prenant le temps de rencontrer des gens, de leur parler, de les voir en vrai, se pose en observateur, en témoin qui n’a pas la langue dans sa poche. Ce qu’il voit, vit et constate, semble parfois le dépasser. Ces gens paumés, ces gens accrocs à la performance et à la coke, ces gens qui vivent dans l’immobilisme en redoutant terriblement de tout perdre. Son livre évite le criticism of the society, le blabla anti-impérialiste qui redevient à la mode, et rend simplement hommage aux gens rencontrés sur la Route, les vrais gens, simples. Chérel, avec ses baskets pourries, traverse le pays, pense à Jack et à Neal, les invoque et les prends à témoin sans chercher à apitoyer. Les beat ne reconnaîtraient pas l’Amérique, pas les relations, pas ces espaces. Ils seraient perdus, pour de bon. On sent parfois l’auteur bordeline, pas sûr du sens qu’il donne à sa vie, pas sûr d’être sur le bon chemin. Car, si comme Jack, Guillaume peut compter sur le renflouement de sa mémère, contrairement à lui, il pense à sa fille. Kerouac semblait se foutre éperdument de tout, et de tout le monde à part de Neal, trop emporté par sa fièvre et ses rêves pour garder les deux pieds sur terre. Chérel ne veut pas de ça, et l’exprime clairement à sa fille, comme tout bon père qui essaie d’avoir un peu d’amour propre, il aimerait que son enfant soit fière de lui. Sur La Route parlait d’amour, aussi. De l’amour de Jack pour Neal, de la folie amoureuse de Neal pour Carolyn, Louanne et Diane, des rêveries sentimentales de Jack… Mais pas d’amour conscient, responsable, ancré dans la réalité.

Les gens qui n’aiment pas Kerouac (ils ont le droit, hélas) avancent souvent qu’il les saoule avec sa verve exaltée et qu’il est démesurément égoïste. En un sens, bien que cette critique mérite une expatriation immédiate et des menaces de mort, ils n’ont pas tout à fait tort. Si l’égoïsme de Kerouac et sa folie adolescente ont fait de lui un des plus grands génies littéraires du 20e siècle, ils l’ont également menés à l’alcoolisme qui abrègera sa vie et en fera un vieux con aigri, lui qui a ouvert la porte à toute la contre-culture des 70’s. Au final, être un anarchiste grande gueule comme Guillaume Chérel, toujours prêt à prendre le large et naviguer en eaux troubles, c’est peut-être ça, être beat  au 21e siècle. Tant qu’il restera des clochards un stylo céleste à la main…

Sur la Route Again de Guillaume Chérel. Editions Transboréal. 2013.

2 commentaires

  1. Sur la Route est à la littérature ce que Fight Club est au cinéma : une oeuvre mineure, érigée en mythe et passée à la postérité par la grâce d’adolescents en mal d’aventure.

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