L’anti-héros de son « Atomik Aztek », Zenzontli, a des allures de petit frère nervo-rêveur qui cultive dans son antre sacré les historiettes que lui dicte son imagination contaminée. Comme ces mauvais conteurs de blagues, trop pressés d’en arriver à la chute pour bien ménager leurs effets, Zenzo l’hystérique mélange intrigues et voix, sautant nerveusement d’une action dramatique à l’autre. Atomik Aztek, dépourvu d’une trajectoire claire (« I am getting fucked in the head and I think I like it »), est plutôt constitué d’un agrégat de situations explosives. Foster exulte en nous livrant sa vision des bouchers qui s’entretuent, des cochons-mouches qui s’effondrent en masse dans la salle d’abattage de Farmer John, du soldat de l’Imperium Socialiste Aztek qui dévore une Introduction à l’histoire du Jazz pour préparer l’Insurrection qui vient ou des allemands qui se font massacrer à coups de mitrailleuses supersoniques. Le conteur d’Aztek de cette (non) histoire assassine joyeusement, le stylo en guise de carabine à plomb, tous les dieux et les maîtres qu’il croise. La cohérence du tout, c’est son moindre souci: « Je me fiche de paraître incohérent, mais était-ce au moins créatif? Etait ce enjoué? As-tu pris des notes? »
C’est, en somme, un « punk survitaminé qui se fout de la réalité » (l’expression est, sans surprise, de F. Wallace) que l’on rencontre. Un narrateur génialement détraqué qui fait gicler, tous azimuts, morceaux de récits et bribes de style. Tantôt le narrateur s’exprime comme un shérif bourgeois, tantôt comme un hippie paranoïde et tantôt plutôt comme un boucher espagnol. L’absurde le plus jouissif: « La sale guerre en Argentine sera l’équivalent de la saucisse ! Le Viol de Nanking paraitra aussi frais que le café moulu sur place ! La Solution Finale ressemblera à un demi pamplemousse ! », côtoie l’analyse philo-politique éthérée: « Voilà pourquoi les Amérikains ne touchent pas leur bille dans le Monde Réel (…) Ce genre de Nation de l’Ennui est un Destin Pire que la Mort !»; le grotesque enfantin: « il pète tendrement, un gros ballon de baudruche perd lentement son air », succède à un lyrisme tempéré: « le ciel changerait bientôt de couleur, s’emplissant de flammes et de chair vive, orange tel un oiseau de paradis, les plumets blancs des nuages et des éventails bleus s’ouvrant dans toutes les directions ».
Il y a chez Foster des effluves de Miller, de Bukowski et autres Kerouac.
Il serait donc idiot de réduire cet hallucinant premier roman à un joyeux bordel inconséquent. La nonchalance assumée de Foster ne nuit en rien à son cri: plutôt, elle l’intensifie. Si le jeune ridé délire en lançant ses piques et en riant ses meurtres, il attaque cependant toujours toujours dans la même direction, d’un même geste résolu. Cette direction, c’est celle de la révolte contre l’ennui et l’inertie. Sesshu Foster semble faire de la littérature le meilleur moyen d’être en guerre constante contre l’impératif raison et clamer, à l’instar d’un Breton dans ses grandes heures, « Plutôt la vie! ». Alors ici, c’est l’emportement à l’égard du consumérisme idiot, du travail résigné ou l’ennui satisfait; là, c’est la guerre contre le pouvoir imposé et l’Histoire objectivée. Ailleurs, ce sera la rébellion contre le logique narrative et en permanence, c’est le combat contre l’orthographe figée (tous les [k] du roman s’écrivent avec la lettre K, tous les « et » sont transformés en «&»). La guerre est finalement déclarée ouverte à tout ce-ki-se-réduit-à-n’être-ke-ce-ki-est, à tout ce qui se Fixe et qui Renonce. En écrivant, Sesshu Foster ouvre donc en grand les portes sa chambre kramée pour s’exhiber qui, sainement, éjacule sa prose guerrière.
Ce scandale littéraire de la vie qui s’écrit comme elle vibre, j’ai voulu le creuser davantage en dialoguant avec Foster par mails interposés.
Seulement, le capharnaüm ontologique de l’écrivain à vite nié mon projet de questions/réponses bien compartimentées. Non seulement Sesshu Foster a demandé à d’autres écrivains de s’arrêter sur mes questions, mais surtout, il a glissé des messages subliminaux HS et improbablement policés entre deux réponses. Toujours le rien-à-voir qui fait-tout-voir; la grossièreté de l’élève surdoué, les traces de mégots sur le cahier neuf, les dents de la chance d’une mannequin, les tâches d’encre sur les mains du pianiste. Chez Foster, toujours un joli pas de côté, un rire de sourdine qui échappe à la logique et à la norme – ne serait-ce que celle d’une interview.
Dans un interview donnée à Global Graffiti Magazine, vous dîtes: « Mon écriture serait plus meilleure si j’étais moins foutraque dans mon esprit, dans mon cerveau. Si j’étais pas dérangé de tous les bords par les guerres, et les émeutes, et les manif, avec la musique qui crache dans mes oreilles, mes bouquins seraient plus faciles à lire: ils auraient davantage de sens. ». Est-ce que vous pensez qu’un « trop plein de monde, un trop plein de vie » nuit toujours, quelque part, à la qualité d’une écriture singulière? L’écrivain peut-il être et excellent et bordélique?
Un écrivain peut-être excellent même s’il est confus – et même complètement bordélique comme Louis Ferdinand Céline – précisément grâce à cette confusion. Pour mieux comprendre cette conscience humaine foutraque, j’ai demandé à deux romanciers Nord Américains, Rick Harsch et Ben Ehrenreich, de m’aider à répondre à ces questions. Rick (auteur de La vérité de Billy ou du Bal des inertes en français, et Arjun and the Good Snake et autres livres en anglais) et Ben (qui a écrit Author et The suitors) vont aussi répondre à ces questions. Ce sera au lecteur de décider qui d’entre nous délivre la réponse la meilleure.
Par exemple pour la première question:
Rick: Ces mecs de Global Graffiti se sont plantés dans les grandes largeurs. Je parlais simplement de la soupe de poisson. J’en ai fait tomber la moitié d’un bol sur mon clavier et trois des personnages de mon roman se sont transformés en queue de fenouil. Dans certains chapitres, ils se prennent d’amour pour un flétan femelle, mais à la fin elle se transforme en gousse d’ail. Faut se méfier.
Ben: Aucun écrivain n’est excellent. L’acte d’écrire, d’ailleurs, est l’un des projets les moins dangereux de la planète. Pas de danger encouru. Malheureusement, le moindre succès pousse les écrivains à se livrer à des journalistes, et parfois on est bien obligés de dire le genre de trucs que j’ai raconté à Global Graffiti. La vérité c’est que parfois je n’ai rien à écrire, alors je me tourne vers la guerre qui secoue le monde. Voilà, c’est tout.
Derrière cette question, je voudrais savoir si vous souffrez de la distance entre le Monde et le Moi, la société et l’individu, ou si, au contraire, votre écriture est un moyen de résoudre le conflit entre ces deux entités…
Sesshu: Oh. Je n’analyse jamais rien, tu sais. C’est ce qui est bien avec la fiction; tu n’as jamais besoin d’analyser quoi que ce soit.
Rick: Entre le monde et l’individu, entre soi et la société, il y a trois écrivains – laissez les répondre. L’un va faire la plus lyrique des envolées, l’autre va boire et danser la polka, l’autre va juste porter le poids de tout ça.
Ben: Pour ce que je comprends de tout ça, le conflit société/individu a été résolu dans une note de bas de page, trop méconnue, ajoutée au Watts Truce, le traité de paix signé entre les deux gangs qui se combattaient dans le quartier de Nickersons Gardens de Los Angeles, en 1992, un jour avant les émeutes, le fameux Rodney Kings Riots. C’est d’ailleurs le vrai motif qui a conduit Bush Senior a envoyer les marines dans au centre-sud des Etats-Unis. Je veux dire: il n’en avait rien à foutre des Rodney King. Les politiciens se tapent royalement de touts les bambins et autres les bout de viandes qui crament dans les quartiers voisins – franchement, quand s’en sont-ils vraiment préoccupé? En revanche, le conflit entre l’individu et la société les font vraiment flipper. Si ce conflit prenait à fond, ils savent bien que ça ruinerait toute leur entreprise. Donc à ce moment là, au moment du Watts Truce, ils se sont bien assurés que le papier de paix entre le moi/le monde n’avait pas été signé. Et depuis, la LAPD, le FBI, Interpol et la CIA font de leur mieux pour que personne ne recommence à vouloir résoudre ce conflit. Toujours est-il que pour ma part, je considère cette petite guerre comme périmée: sur le papier, elle a été abolie.
David Foster Wallace a dit de vous que « vous étiez à l’histoire ce que Hunter Thompson fut au journalisme, un punk survitaminé qui se contrefout de la réalité ». Précisément, quel rapport entretenez-vous avec l’information/le journalisme en général, avec le journalisme Gonzo en particulier?
Sesshu: Je suis en rage contre Hunter Thompson pour ce qu’il a fait à Oscar Zeta Acosta; il a fait du plus révolutionnaire des romanciers de l’époque une sorte de clown Samoan éthéré, surnommé Dr. Gonzo…. Ils étaient amis, Thompson et Acosta, ou du moins Thompson prétendait qu’ils l’étaient et ça avait l’air d’être le cas – Acosta ne le contredisait pas – mais ce vieux renard vicieux et alcoolique de Thompson a foutu en l’air son amitié pour une affaire de ventes de bouquins et un besoin de reconnaissance particulièrement débile. Après ça, il a sombré dans un alcoolisme et une haine de soi typique, ce n’est que des années plus tard qu’il s’en est sorti, en revenant avec son crew et un bordel terrible. D’après mes sources, Acosta est toujours en vie, hein. Il hante les frontières des Etats-Unis et se faufile entre les gardes racistes qui veillent au grain. Il noue leurs lacets à des chaises et pour les réveiller quand ils piquent du nez, leur hurle dessus avec un rire maléfique. Je l’ai aperçu une fois, dans un verger d’amandes, près de Modesto, Acosta. Il mangeait les noix directement dans les arbres et enseignait aux papillons et aux colibris comment lancer des mini-Molotov sur les bagnoles de polices et les agents de circulation.
Rick: Le gonzo journalisme, ce fut Hunter Thompson, et seulement Hunter Thompson.
Ben: Je suis victime des nouveaux médias parce que j’aime trop les histoires qu’on y trouve. Souvent, je m’assois avec mon café et je perd des heures avec le New York Times, le New Yorker, le Los Angeles review of Books, les articles de Facebook – ça fait couler mon nez, ça fait tomber mes dents. Je suis fou des news inconsistantes et des encadrés bidons; quand je les lis, j’ai toujours l’impression que j’y étais. Je n’y suis pourtant jamais.
Qui, aux Etats Unis, tient toujours la flambeau gonzo? Qui en sont les survivants et les précurseurs?
Rick: Je le répète: le journalisme gonzo c’était Hunter Thompson et seulement Hunter Thompson. Peut-être qu’en France il y d’autres journalistes engagés dans le Foie d’blaise, ou quelque chose comme ça.
Sesshu: Les précurseurs et les survivants sur Gonzo c’est tout à fois E. Hemingway, Jack London, Kack Kerouac, George Orwell, LF. Céline, Isabelle Eberhardt, Hernan Cortez, Bernard Diaz del Castillo, Alvar Nunez, Cabeza de Vaca, Thor Heyerdahl, Jose Lopez-Feliu, Mark Twai, Herman Melville, Kathy Acker, Osamu Dazai, Juan Goytisolo, Vladimir Mayakovsky, Jean Genet, Henry Miller, Oscar Zeta Acosta and et Charles Beaudelaire, entre autres. En fait il y en a un paquet, mais leurs bouquins restent coincés dans des coins inaccessibles ou sous des canapés.
Dans Atomik Aztex, votre écriture est merveilleusement déglinguée, un roman en véritable « pot-au-fou »; est-ce que vous êtes cinglé comme ça en permanence ou est-ce que l’écriture vous permet d’atteindre un point de folie interdit dans le quotidien? Vous iriez jusqu’à bouffer du loup en riant et danser sur la Bamba en abattant des cochons, par exemple?
Rick: J’ai bouffé des choses pour lesquelles je pourrais être condamné, c’est tout ce que je peux dire. Par ailleurs, la folie comme je crois que tu la comprends, est intrinsèque à l’homme post-Ramapithecus.
Sesshu: Tu penses sérieusement qu’il y a quoique ce soit d’interdit dans la «vie réelle»? Les abattoirs, par exemple, sont une spécialité locale propres à certains coins du globe – et ce depuis le 17ème siècle. On a élaboré tout une système pour assurer la protection du droit au massacre. Il y a une bureaucratie internationale qui s’occupe de ça. Ce que je vois, c’est que le massacre est super-populaire, au moins autant que Brad Pitt et Angelina Jolie, sauf dans quelques coins de la planète un peu paumés, qui n’ont pas encore internet et n’ont pas appris à fermer leur gueule et être cool. De quel loup veux-tu parler?
Comment est-ce que vous corrigez vos textes? Votre style, du moins dans Atomik Aztex, est comme un mur fraichement repeint, ça brille, c’est nouveau, c’est excitant, mais on sent bien qu’on pourrait se fouttre les doigts dedans aussi, que toutes les couches n’ont pas encore « durçi », que c’est fragile… On est loin de la logique de l’essai ou des rouages étudiés du roman policier. Est-ce que vous retravaillez tout de même chaque phrase, chaque mot, malgré cette impression (jouissive) de « laisser-aller » dans l’écriture?
Sesshu: Pour composer, j’utilise le collage, les expériences collaboratives comme « cette interview », l’empreint et le plagiat, le sample et la purge – donc certains passages sonnent comme des dialogues qu’on entend ici et là, parfois imparfaitement retranscrits ou enregistrés (avec des erreurs), et correspondent aux irrégularités quotidiennes, aux lacunes que l’on à remplir les activités ordinaires; ces activités et ces conversations qu’on ne finit jamais, qui sont régulièrement interrompues par d’autres. Parfois il y a une explosion de/
Rick: Je n’ai jamais rien corrigé dans ma vie, et encore moins mes « écrits ». Parfois, j’ai fait des changements, mais le moindre de mes changements à toujours été pour le pire. Je ne rate jamais une occasion de faire pire. Corriger serait commettre une énorme erreur. Si je peux me permettre de le dire comme ça, ce serait comme me débarrasser en douce d’un long pet contenu – il ne faut pas.
Est-ce que la logique, de manière globale, vous emmerde? Quel type d’écriture vous ennuie? Et sinon, contre quoi êtes-vous en guerre, du moins en lutte? Bonne chance pour répondre à ces trois questions en une seule fois.
Sesshu: La logique, c’est une amie qui ne veut pas dégager quand c’est l’heure d’aller dormir. Alors je l’abandonne, simplement, avec sa bière sur le balcon. Et je vais me coucher. Je suis en guerre avec tout ce qui, sur cette terre, participe de la destruction de l’humain; mais je m’ennuie souvent en lisant des livres trop logiques dans leur petites guerres contre ce qui détruit l’humain. Je suis, de manière générale, en lutte avec tout ce(ux) qui veu(len)t lutter contre moi. Si tu veux, je suis un catcheur né.
Rick: La logique est pareille à ces boîtes de magicien, truquées, avec un faux fond. Ce n’est un problème pour personne sinon pour le petit gars crédule au fond de la salle. Je suis généralement un mec paisible, mais je continue de me battre avec les nids-de-poule, la sétaire (ndlr: le graminée pour oiseaux), les produits standardisés, les brocolis, le zèle excessif de la police et la régulation de l’espace aérien, le bouillon mal assaisonné, les champignons qui s’étendent sur toutes les surfaces, la moisissure qui grandit sur les champignons, la pourriture qui tâche à son tour la moisissure.
Vous avez enseigné à la Jack Kerouac Summer School. Il n’existe aucune école de ce genre en France, ça parait compliqué à mettre une place, une « école des écrivains »; enseigner l’écriture à quelqu’un alors qu’on sait qu’il s’agit d’une activité solitaire et à priori informelle… Qu’est-ce que vous avez enseigné exactement là-bas? Est-ce que vous avez des techniques narratives bien précise? Est-ce que ça passe par autre chose?
Sesshu: Pour discuter proprement de ma manière d’enseigner, la seule chose que tu pourrais faire serait de traquer mes étudiants et de leur demander ce que c’était. Mais je peux tout de même te dire que la dernière chose que je fais quand j’enseigne, c’est essayer de leur apprendre à faire comme moi. Parfois j’oublie, mais je devrais constamment leur dire, à tous, de lire l’intégrale de Moby Dick.
Rick: J’enseigne « Ecrire pour Intervenir », basé sur les programmes de Gary Snyder et William Carlos Williams. Mais ça n’est plus aussi cool qu’avant. Avant, on voyait des filles nus entrer et sortir de chez Andrei Codrescu et sauter dans la piscine; on apercevait Diana diPrima, de mauvaise humeur parce que son écriture n’était pas assez légère, qui balançait tous ses meubles du haut de son balcon: tout le monde courait autour d’elle en respirant monstrueusement, des monstres hilares à la marijuana. Maintenant, il y a un signe sur la clôture : « Nudité prohibée ». Les boutiques de l’école sont pleines de médailles et de diplômes encadrés. C’est comme le Tassaja Zen Center, où sur les bords de la piscine il y a un écriteau « Les enfants sont interdits ». Comme si les Bouddhistes ne pouvaient pas autoriser les enfants à s’éclater dans la piscine pendant que les vieux se prélassent à moitié nus le long d’un petit torrent jusqu’à ce qu’ils aient pris la couleur d’un Weimaraner. Comme si les enfants devaient se retenir de brailler parce que des vieux shnocks, obnubilés par leur confort, se font tranquillement masser l’épiphanie.
Ben: C’est en fait assez rigoureux, cet enseignement. Comme le programme n’est pas très orthodoxe, on ne peut pas vraiment décerner des diplômes mais on encourage nos élèves à s’entrappeler « docteur », « président » ou « pape ». La première année est consacrée à apprendre l’élevage animalier avec des cours facultatifs en géologie, en horticulture et les principes de base de l’aviation. La dernière année est pour sa part consacrée à la physique quantique et aux techniques de manipulation de couteaux. A cause des violentes restructurations néolibérales entamées ces trois dernières décennies, nos diplômés ont de plus en plus de mal à trouver un boulot dans la branche d’étude qu’ils ont choisi. Actuellement, on bosse sur l’ouverture d’une filière cosmétique, qui devrait permettre d’arranger tout ça.
Ici, le slogan c’est « seul le détail compte »: quelque chose à dire à propos d’un détail qui vous a marqué récemment (aujourd’hui, par exemple)? Quel détail pourrait vous inspirer une histoire?
Sesshu: Bonne question, qui arrive au bon moment. Eh bien aujourd’hui, j’ai regardé le film Miller’s Crossing et un des personnages, dedans, dit, pour faire je ne sais plus quelle métaphore, qu’un autre a une verrue sur le vagin. Quand j’ai entendu ça, j’ai réalisé qu’aucun des états de malaise que j’ai connu jusque là n’est comparable à ce qui doit se passer quand on a une verrue sur le sexe. Bon, et puis, en vrac, le thème de la synchronicité, le verso réel du métaphorique, le détail qui est universel, l’universel qui est négligeable, l’expérience et la vérité, le bouseux et l’avocat, la servante et ses jupes, la mère aux boucles d’oreilles, la crise du milieu sportif, l’impuissant petit drone, ça et beaucoup beaucoup d’autres détails me viennent à l’esprit. Mais le mieux, pour que tu aies la réponse à ta question, c’est que tu regardes le fruit de ce questionnement dans ce que je vais pondre à partir de ça – laisse moi un ou deux ans.
Rick: Un truc auquel j’ai pensé aujourd’hui: les visages qui avancent et qui reculent dans l’espace qui nous sépare les uns des autres. Ces visages, je les voyais déjà bouger comme ça dans mes cauchemars, quand j’avais huit ans. Les visages approchaient vivement et puis se rétractaient brusquement, comme s’ils étaient inspirés vers la vent, puis aspirés en arrière, en une ligne droite et sur un rythme soutenu. Ils approchaient très vite, comme s’ils m’attaquaient, puis, constatant que j’étais plus fort qu’eux, ils frémissaient de rage, de désespoir et ils fuyaient. (Une fois, dans la mer de Cortez, une lionne de mer a violemment bondit vers moi, abolissant douze mètres de distance en une fraction de seconde. Elle a sauté si rapidement que son nez s’est écrasé sur mon masque de plongée pour me fixer dangereusement. Elle pensait certainement que je me déroberais et ferais demi-tour, mais je l’ai à mon tour regardé avec une telle intensité que c’est elle qui a flanché. Elle a sursauté et s’est enfuie en nageant.) Seulement, j’ai fini par constater qu’à force de jouer à ce jeu-là, je ne pouvais plus communiquer avec personne. Alors je me suis tourné vers le visage plus proche et je lui ai demandé: « comment ça va ? ».
Sesshu: Une dernière chose: quand j’écoute de la musique, je me sens puissant comme un mammouth à poils longs. Je ne me sens jamais vide quand je rêve et discute avec l’univers. L’univers dit: « Poète, tue le poulet. ». Alors, je tue le poulet. Il suffit de foutre l’animal dans un cône de circulation retourné, tête en bas, patte en l’air. Tu tranches sa gorge alors qu’il te fixe avec ses yeux jaunis et médiocres, ses petites pupilles de la vérité. Moi, je mange du poulet en sentant que je suis le Poète de l’Univers. Ce n’est pas un mauvais boulot, y’en a des bien pires. Si je suis là où je suis maintenant, c’est parce que j’ai les doigts plein de graisse. Si tu passes chez moi me faire une petite visite, je cuisinerai des grillades pour toi.
Sesshu Foster // Atomik Aztek // Traduit en Français par les Editions Passage du Nord Ouest
http://atomikaztex.wordpress.com/
Merci à Janine pour l’aide à la traduction.
2 commentaires
ça me donne envie de pendre mon taureau par les couilles et de te faire revenir avec cette brochette d’écrivains juteux à souhait. Blandine R tu fais pas de la daube.