Jean-Daniel Beauvallet par Renaud Monfourny

A l’occasion de la parution inespérée des souvenirs de l’Inrockuptible en chef JD Beauvallet, judicieusement intitulés Passeur, on a fait comme lui, fouillé dans nos mémoires. Et on est tombé sur ça.

On ne va pas vous la faire à l‘envers, la discussion qui suit date du 8 juillet 2019. Parue dans le volume 1 de Profession rock critic, elle nous a paru suffisamment intéressante (synonyme : putaclick) pour être diffusée.

Forts de notre capacité à innover, capables de coller à l‘actualité comme un journaliste de BFM sous diet coke, cette parution en accompagne une autre, plus essentielle : les mémoires de JD Beauvallet. Ca s‘appelle Passeur, c‘est publié aux éditions Braquage, et pour faire simple, c‘est vachement, vachement bien. Et infiniment plus complet, drôle et touchant que l‘interview qui suit.

Pendant près d‘un quart de siècle, ce fou furieux connu sous les initiales JD a occupé la position ultra enviée de rédacteur en chef musique des Inrockuptibles. Près de cinq quinquennats au cours desquels son influence sur le rayonnement indé aura été conséquente. Via le magazine bien sûr, mais aussi par sa position de programmateur du festival des Inrockuptibles, et lors de ses fameux duplex sur France Inter avec Bernard Lenoir dans les années 90 où il partageait ses dernières découvertes britanniques. Toujours aux avant-postes, cet éclaireur parti très tôt vivre outre-manche nous raconte sa vie de rock critic avec un enthousiasme intact. Mais qui est vraiment l’homme qui signe ses mails d’un étrange Jd the DJ?

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis JD Beauvallet depuis que j’ai décidé de ne plus être Jean-Daniel Beauvallet. A chaque fois que j’entendais ce prénom, j’avais l’impression qu’on allait m’envoyer au tableau, que j’allais être ridicule et que j’allais me faire engueuler comme lors de ma scolarité. Je déteste tellement jean-Daniel que j’ai fini par opter pour JD. Aujourd’hui, tout le monde m’appelle comme ça. Même ma mère. Je suis un dingue de musique mais j’ai aussi d’autres passions. Je collectionne le street-art depuis très longtemps, j’en ai une très grosse collection.

Vous connaissez donc l’identité elle de Banksy ?

Oui, mais je ne dirai rien. Je fais parti de ceux qui n’ont pas lâché le morceau.

Venons-en à vos débuts existentiels. Vous êtes né à Montluçon et vous avez ensuite vécu à Tours.

Même si je ne suis resté que trois ans à Montluçon, j’ai des atomes crochus et une intimité avec les gens du coin. Quand je vais à la Coopérative de mai à Clermont-Ferrand, je me sens proche des gens. Ils savent souvent que je suis né à Montluçon. Mais je n’y ai jamais vécu. Toute ma vie de jeune homme, je l’ai passé en Touraine. Là-bas, je commence à aller à des concerts très tôt parce que mon père en organisait tout en étant dans une voie professionnelle complètement différente. Dès que j’en ai eu la possibilité, je me suis mis moi aussi à organiser des concerts. Le virus de la musique m’a pris très très jeune, vers 10-12 ans.

Quel type de concerts organisait votre père ?

Des concerts de jazz. Des musiciens de jazz restaient souvent à la maison. Il faut dire que les musiciens de jazz sont une troupe de nomades. Surtout le jazz manouche dont mon père était très friand. Il connaissait beaucoup de ces musiciens. Quand ils étaient en galère lors d’une tournée, ils savaient qu’ils pouvaient dîner ou dormir à la maison. Il y avait parfois des américains qui débarquaient à pas d’heure chez nous. Mon père organisait des concerts dans les caves rabelaisiennes de Chinon, ville où on habitait à l’époque. Il arrivait même qu’on ait droit à des concerts improvisés à la maison avec des musiciens américains et français qui jammaient.

« J’ai vu un gars qui s’appelait Le Bouillon fracasser un évier en céramique avec sa tête devant nous. Après tout ça, les excentricités des rock stars paraissent bien dérisoires »

Grâce à votre père, vous baignez très vite dans le jazz. Comment la pop et le rock débarquent-ils dans votre vie ?

Mon père était directeur d’hôpital. Quand j’étais gamin, il en dirigeait un situé en pleine forêt. Une énorme partie de cet hôpital était réservée la psychiatrie et l’établissement était entouré de barbelés. Nous habitions en plein milieu de l’hôpital psy. On avait sans cesse des contacts avec des patients. Nous n’étions évidemment pas du tout harcelés. J’ai toujours eu de très bons contacts avec eux sauf les deux ou trois fois où ils ont essayé de me tuer. Certains entraient parfois dans notre maison, c’était un peu particulier. Il est même arrivé que je trouve un patient dans ma chambre. J’avais deux frères mais on n’avait pas du tout d’amis de notre âge. C’était lié au fait qu’on habitait en plein milieu de cet hôpital. Les seules personnes de notre âge, c’était des patients avec qui on essayait de jouer un peu au foot mais c’était compliqué de se comprendre. Pendant très longtemps, mes camarades de classe me disaient « T’habites chez les fous ». Pour moi, c’était évidemment pas des fous, mais des patients. Honnêtement, j’ai rencontré bien pire qu’eux depuis que j’interviewe des rockstars. Quand un Liam Gallagher fait le mariole devant moi, je me dis que j’ai vu bien bien pire. J’ai vu un gars qui s’appelait Le Bouillon fracasser un évier en céramique avec sa tête devant nous. Après tout ça, les excentricités des rock stars paraissent bien dérisoires. Comme on n’avait pas d’amis de notre âge à l’école, nos seuls amis étaient les enfants d’amis ou de collègues de nos parents. Il y en a deux qui ont énormément compté pour moi dans mon éducation musicale : Christian Deyriès, qui était le fils de l’infirmier général psychiatrique et qui avait une dizaine d’années de plus que moi, et Frédéric Champaud, fils d’un directeur d’hôpital collègue de mon père dans la région et qu’on voyait assez souvent. Vers 10-12 ans, je passais mon temps avec eux dans leurs chambres, à faire des cassettes avec tous les disques. Ils en avaient énormément. Je trouvais ça fascinant. Tout avait démarré avec Bowie et son album « Alladin Sane » que l’un de mes deux amis avaient acheté à sa sortie. Il m’avait fait écouter ça et ça m’avait soufflé. La pochette, la musique,…Tout m’avait soufflé. Du coup je m’étais vite mis à chercher pour connaître les racines de cet album. Très vite, j’étais tombé sur Lou Reed et sur le Velvet Underground. A 12-13 ans, j’écoutais tout ça à fond. Puis il y a eu Brian Eno, Roxy Music,…Je découvre tout ça très jeune.

Ces albums étaient-ils faciles à dénicher à ce moment là ?

Mes copains les avaient déjà. Ils avaient des goûts très pointus. Je me souviens de « Autobahn » de Kraftwerk. Christian m’avait fait réviser le BEPC et comme je l’avais eu il m’avait dit que je pouvais choisir un disque dans sa collection. J’avais pris « Autobahn » qui venait de sortir. C’est comme ça que je me suis retrouvé à écouter beaucoup de musique qui n’était pas de mon âge avec des gens qui n’étaient pas du tout de mon âge. Aujourd’hui on trouverait peut-être bizarre de passer autant de temps avec des jeunes adultes mais à l’époque il n’y avait aucune ambiguïté.

Allez-vous aussi déjà voir des concerts?

Non, parce qu’il n’y a pas de concerts dans le coin. J’habite alors en pleine cambrousse. Mes seules occupations, c’est d’aller dans la forêt chercher des champignons ou trouver des points d’eau pour aller à la pêche. A part écouter de la musique, voilà mes seules activités. Les concerts sont venus plus tard. C’est Christian Deyriès qui m’amène à mes premiers vrais concerts. Je me souviens d’Higelin et aussi d’un festival punk vers 77 ou 78 à Tours où je m’étais beaucoup ennuyé. Je n’ai jamais aimé le punk rock.

Ce festival, c’était un peu le pendant du festival de Mont-de-Marsan mais en Touraine ?

On ne peut pas vraiment dire ça. Les groupes qui y étaient programmés ne sont pas restés dans la mémoire collective du punk. Ils sont restés dans l’anonymat le plus complet et c’est très bien ainsi parce qu’ils le méritaient.

Le punk rock ne vous parlait donc pas du tout ?

J’étais évidemment au courant de l’existence du punk. Déjà parce que je lisais Rock&Folk et Best depuis des années. Pour moi, les Sex Pistols, c’était rien d’autre que du rockabilly joué plus rapidement. Le premier groupe punk qui m’ait vraiment intéressé, c’est les Buzzcocks. Chez eux, il se passait un truc. C’était beaucoup plus évolué musicalement. Et Wire, quand le groupe est devenu un peu plus pop. Mais les Sex Pistols, non. Même Clash…J’ai mis longtemps à aimer Clash. J’aimais bien « London Calling », mais l’album qui m’a fait basculer vers eux, c’est leur triple album « Sandinista ». Là, je suis tombé fou de Clash. Je suis arrivé à Clash très tard, donc, et d’une façon assez bizarre, car « Sandinista » n’est certainement pas le meilleur album pour découvrir Clash. Mais quand je tombe sur ce triple album, je sens que ça me plaît énormément. Jusque là, je trouvais que Clash, c’était du rock’n’roll. Et à l’école, j’étais plutôt contre le rock. Mes copains de classe écoutaient du rock assez adulte. Je préférais les trucs un peu plus « arty » comme Lou Reed. Même si chez lui, il y avait déjà aussi des choses très rock’n’roll, comme « Rock’n’Roll Animal ».

(Quelqu’un sonne à la porte. JD s’absente quelques instants puis revient).

Vous avez reçu une livraison ?

Oui, et il ne faut jamais rater le moment où le livreur passe. C’est ça le monde moderne. C’est l’obsession de mecs comme moi qui font du shopping sur Amazon et qui se font livrer le lendemain quelque chose qu’ils ont commandé la veille mais dont ils ne se souviennent même plus !

Je suppose que vous passez aussi beaucoup de temps sur Discogs.

J’y passe beaucoup de temps mais je fais attention, car je finis par acheter des albums que j’ai déjà en 5 exemplaires.

« J’avais très peu de culture générale, je vivais dans la forêt, j’étais très loin des journalistes de rock. Eux me faisaient rêver, ils me racontaient des histoires extraordinaires. Je les mettais d’ailleurs plus souvent sur un piédestal que les musiciens. Pour moi, c’était eux les vraies stars »

Vous vous intéressez à la musique très jeune. A quel moment l’idée d’écrire dessus germe-t-elle dans votre esprit ?

Ca viendra beaucoup plus tard. Je voulais être journaliste, mais c’était à cause de Tintin. Pas à cause de critiques rock que je lisais pourtant déjà religieusement comme Michka Assayas ou Philippe Manoeuvre. Je plaçais des gens comme Yves Adrien, Michka Assayas, François Gorin, Philippe Paringaux et d’autres sur un tel piédestal que je n’avais aucune intention et aucune prétention de fouler leur terrain de jeu. Ces gens-là me paraissaient si cultivés et il me faisaient tellement rêver que je n’avais absolument aucune arme pour rivaliser avec eux. J’avais très peu de culture générale, je vivais dans la forêt, j’étais très loin des journalistes de rock. Eux me faisaient rêver, ils me racontaient des histoires extraordinaires. Je les mettais d’ailleurs plus souvent sur un piédestal que les musiciens. Pour moi, c’était eux les vraies stars. J’ai encore dans mes archives des vieux Rock & Folk des années 70, notamment un de 1975 que je connais absolument par coeur. C’est un spécial Lou Reed dont je connais chaque ligne. Philippe Manoeuvre avait tout écrit. C’est quelqu’un qui me fascinait, parce qu’il pouvait passer de l’humour à des choses très dark. Moi je n’avais pas les armes pour ça, donc j’ai commencé à écrire très tard sur la musique.

Dans des fanzines ?

Oui, ça a commencé dans les années 80. Je commence dans un fanzine qui s’appelle Paresse éprouvante, puis un autre, Kakou, où travaille également Jeff Aérosol, le graffeur. C’est là que j’écris mes premières lignes. Un travail que je ne revendique pas du tout, parce que c’était très mauvais. Surtout, c’était un décalque raté de ce que faisaient les autres. Je n’avais pas encore ma petite musique à moi. Il faut rappeler que je ne me destinais pas du tout à devenir critique de rock. Mon ambition, c’était de devenir un journaliste régional ou local. Travailler à la télé régionale ou dans une radio locale éventuellement. Déjà parce que je détestais écrire. Je n’étais pas un forcené du français à l’école. Ecrire, c’était vraiment pas un plaisir pour moi. C’était laborieux. Je détestais ça. Je fais parti de cette génération qui a grandi avec les radios libres, et mon idéal, c’était la radio. Je me destinais à ça.

Adolescent, vous faites d’ailleurs un peu de radio avec Christophe Conte et Pascal Bertin, qui deviendront plus tard deux piliers des Inrockuptibles.

C’était un « one-off ». Mais un « one-off » très sympathique. Quand j’étais à l’école à Tours, Pascal Bertin était quasiment mon seul copain. On partageait deux passions : le skateboard et la musique. Pascal me fascinait aussi parce qu’il avait des grandes sœurs qui écoutaient de la bonne musique. Moi j’avais un grand frère qui ne jurait que par le disco. Dans ma discothèque, j’ai encore aujourd’hui tous mes maxis disco. Je les vénère et je ne les ai jamais renié.

Comment se passionner pour le disco après avoir démarré par Bowie, le Velvet ou Kraftwerk ?

Parce que de Blondie aux Talking Heads, il y avait des ponts évidents dressés à New York. Du coup, en arrivant à Tours vers 78, mes parents nous ont dit : “Nous avons un grand sous-sol à la maison, avec son entrée indépendante. On vous donne un budget et vous en faites ce que vous voulez« . Immédiatement avec mes frères, on s’est dit : “un club”. On a acheté des centaines de mètres de fil électrique pour les jeux de lumière, on a demandé aux cuisines de l’hôpital de nous garder les emballages des œufs pour isoler la salle. Il a suffit d’une omelette pour couvrir tous les murs. C’était vraiment le rêve pour des jeunes ados, on avait un grand dancefloor avec une super cabine de DJ, un vestiaire et une salle pour papoter, avec un bar. Comme mes parents étaient en congrès quasiment un week-end sur deux, on a commencé à faire des fetes. D’abord pour les amis, puis de manière plus industrielle ! Le club s’est d’abord appelé Le Velvet, puis s’est resté le Sunset. On se partageait les platines avec mon grand frère : il passait principalement du disco et moi de la new-wave, du post-punk. Le seul impératif était que les gens dansent. Et c’était vraiment chaud, on avait nos propres tubes des trucs des Cars ou ESG. Quand je parle à James Murphy de LCD Soundsystem, je me rends compte que nous avons vécus la même chose, sur les mêmes vinyles. Mais à la fin, nos parents ont compris ce qu’il se tramait en leur absence, on a dû revenir à une taille plus intime. Visiblement, les Renseignements Généraux s’intéressaient à nous.

Revenons-en à cette émission de radio avec Christophe Conte et Pascal Bertin quand vous étiez adolescents.

Les grandes sœurs de Pascal lui faisaient écouter Joni Mitchell et plein de très bons artistes. Ca me fascinait qu’on puisse ainsi faire découvrir de la si belle musique à son petit frère. Pascal vivait à l’époque à Tours, puis il a suivi ses parents à Arcachon. On s’écrivait tout le temps. Des longues lettres où on se donnait des surnoms à la con. Lui c’était Danzig Deluxe et moi David de Leibniz. On était en pleine période post-punk. On n’avait pas de groupes mais on avait déjà des supers noms (Rires). Un jour, Pascal me dit qu’il a rencontré un mec qui écoute la même musique que nous. L’été suivant, je vais à Arcachon pour les vacances, et c’est là où je rencontre pour la première fois Christophe Conte. C’était vers 81 je pense. Ce soir-là, Taxi Girl jouait à Arcachon. On emprunte alors le gros magnéto à bandes du père de Pascal qui était le seul truc qui nous permettait d’enregistrer. On le trimballe à dos de mobylette jusqu’au lieu du concert. En arrivant sur place, nous rencontrons Alexis, le manager de Taxi Girl, qui nous dit qu’on pourra voir le groupe dans l’après-midi. Voilà comment on rencontre Taxi Girl. On fait l’interview à trois. Sauf qu’on a jamais pu réécouter la bande. Pour l’écouter, il faudrait avoir l’appareil sur laquelle elle a été enregistrée. C’est dommage parce que je crois que c’était pas si mal et que c’était assez long. Sans l’utiliser, on fait quand même une émission de radio autour de ça, parce que Pascal et Christophe faisaient un peu de radio libre là-bas.

« On organisait des soirées dans des distributeurs bancaires. On y allait avec un ghettoblaster et on dansait là-dedans jusqu’à ce qu’on se fasse virer par les flics »

Ce « one-off », c’est aussi une des raisons pour lesquelles vous vous destiniez à la radio ?

La radio me paraissait vraiment être un média plus facile. Il n’y avait pas besoin d’écrire. A l’époque des radios libres, j’étais allé voir le boss de Radio Cactus, une radio pirate à Tours. J’avais eu du mal à les trouver parce qu’ils changeaient sans arrêt d’adresse. Le boss est intéressé par ma candidature. Il me dit « T’as l’air de bien connaître la musique. Tu as des disques ? ». J’avais déjà pas mal de 45 tours et d’albums. Ils avaient tellement besoin de bénévoles et de gens que je me retrouve à l’antenne le soir-même. Rapidement, je me prends au jeu. J’avais déjà une grosse discothèque et je lisais la presse musicale anglaise et française depuis des années donc j’avais accumulé pas mal de connaissances. En plus, j’ai vraiment une mémoire assez forte pour les sujets qui me passionnent. C’est d’ailleurs très étonnant. Dans la vie quotidienne, je ne me rappelle portant de rien. Je connais pratiquement les catalogues de Creation records ou de Factory records par coeur alors que je ne suis pas capable de me rappeler mon numéro de sécurité sociale. A ce moment-là, je rencontre aussi d’autres gens qui font des émissions musicales sur d’autres radios pirates concurrentes. On finit par se dire qu’on devrait se mettre tous ensemble et proposer une émission à la grosse radio locale de la Nouvelle République. Et là, rebelote. Ils nous prennent très rapidement et on se retrouve quasiment à l’antenne le soir même. Nous étions une bande de copains. On se faisait appeler le collectif Epsilon. C’était très mystérieux. Les rôles des uns et des autres n’étaient pas clairement définis. On se prenait un peu pour le Wu-Tang-Clan 20 ans avant. On organisait des choses rigolotes, on était un peu dans l’agit-prop. Ou l’agit-pop si tu préfères. Je me souviens qu’on organisait des soirées dans des distributeurs bancaires. Tu sais, ces petites salles où tu entres avec ta carte bancaire et où il y a plusieurs distributeurs automatiques à l’intérieur. On y allait avec un ghettoblaster et on dansait là-dedans jusqu’à ce qu’on se fasse virer par les flics. Il nous arrivait aussi de faire des affichages sauvages. C’était bien avant que le street art soit reconnu. On avait notamment acheté de gigantesques affiches rouges. Et on a intégralement recouvert la vitrine d’un magasin avec. Ca devait faire une dizaine de mètres de long. Et on avait écrit en énorme à la bombe « Epsilon strikes again ». On s’amusait comme ça parce qu’on s’ennuyait beaucoup à Tours. Il ne s’y passait pas grand-chose. Rien ne nous était donné, donc si on voulait faire des choses, il fallait se prendre en main.

Cet ennui adolescent a été formateur pour beaucoup de critiques rock.

Ca ne m’étonne pas. Et pour ça, la province était leader. On s’ennuyait beaucoup. Ca me rappelle cette fameuse phrase que m’avait dit Björk : « En Islande si tu veux une chaise, tu la fabriques ». Nous, on a fabriqué notre chaise partout. En faisant de la radio et en commençant à organiser des concerts par exemple. Pour cela, nous étions allés voir le patron d’une boîte gay à Tours qui nous avait à la bonne. On lui avait dit qu’on voulait faire venir une fois par mois à Tours un groupe anglais ou américain. Il avait accepté et nous avait donné du budget pour ça. On s’est retrouvé à organiser plein de concerts de groupes et c’est finalement comme ça que j’ai commencé à rentrer dans le milieu de la musique.

Vous vous souvenez des groupes que vous faites venir à Tours à ce moment-là ?

Bien sûr. On avait fait joué The Wedding Present, les Beloved, les Shamen, les Shop Assistants,…

Comment aviez-vous connaissance de l’existence même de ces groupes ?

Via le NME et le Melody Maker. Parce que Rock & Folk et Best ne parlaient pas vraiment de ces groupes-là. Je les découvre aussi grâce à mes réseaux. Il faut savoir qu’en 82 ou 83, je suis parti vivre à Manchester. J’ai claqué la porte de chez mes parents et je suis parti. J’avais 20 ans. Je pars contre l’avis de mes parents, en faisant ma valise en pleine nuit. C’était assez traumatique. Pour eux surtout. Parce que pour moi c’était exaltant, ce départ vers l’Angleterre.

« Un jour, je me rends chez New Rose et je vois une fesse sur une pochette de disque. C’était le premier single des Smiths. Je l’achète. Et je découvre un monde que je ne connaissais pas »

Pourquoi décidez-vous à 20 ans de partir vers Manchester ?

Parce que je me dis que c’est là que je dois être. Il s’y passe plein de choses. L’Hacienda vient d’ouvrir quelques mois avant. Je collectionnais tout sur Factory Records, j’étais obsédé par ce label. Il fallait que je sois là, à Manchester. Ce qui avait déclenché ce besoin, c’est New Rose. Un jour, je me rends chez New Rose et je vois une fesse sur une pochette de disque. C’était le premier single des Smiths. Je l’achète. Et je découvre un monde que je ne connaissais pas. C’est la première fois que je trouve un groupe que je ne peux comparer à aucun autre. Ca ne ressemble à rien de ce que je connais. Depuis, je suis bien sûr un peu plus capable de remonter la filière de leurs influences. Mais à l’époque, c’était terra incognita. Et là je me suis dit « Il faut absolument que j’aille à Manchester ». Je me retrouve enfin là-bas, dans le quartier le plus délabré, mais j’y suis. J’ai enfin une adresse à Manchester ! Je me souviens alors de la fierté que j’avais eu à communiquer à Pascal Bertin cette adresse.

Vous avez alors 20 ans. Où en êtes-vous de vos écrits ?

Arrivé là-bas, je vais voir les Smiths dans une toute petite salle, presque un café. Je me prends une claque phénoménale. Déjà parce qu’il y a une connivence fantastique entre le public et le groupe. Dans cette salle, il se passe un truc très fort dépassant largement le cadre de la musique. Les gens qui sont là ressemblent surtout à une confédération de parias. Je sens que j’ai affaire à des gens qui ont jusque-là peu eu l’occasion de s’exprimer ou de rencontrer des pairs. C’est comme un réseau social en vrai. Et c’est la première fois que je ressens quelque chose d’aussi fort dans un concert. Je rentre chez moi dans mon petit appartement, je sors ma machine à écrire d’enfant et je tape un article de 3 ou 4 pages sur les Smiths. Au flanc, j’envoie ce papier à Michka Assayas et Philippe Manoeuvre chez Rock & Folk . Juste avant de l’envoyer, je me dis qu’il doit y avoir besoin de photos pour ce genre de choses. Sur le premier single des Smiths figure une adresse à Manchester. Alors je m’y rends. Et je tombe sur le management du groupe qui me file gentiment des photos. On me donne aussi le prochain 45 tours du groupe, étonné et émerveillé qu’un gamin français soit aussi fan des Smiths. J’envoie mon paquet à R&F. Et je n’aurais jamais la moindre réponse. Pas le moindre signe. Des années plus tard, dans les années 90, je fais un voyage de presse avec Philippe Manoeuvre à Los Angeles. On en vient à parler de cet article. Il s’en souvient très bien et m’explique que cela avait créé un mini-schisme dans leur rédaction entre les anciens et les nouveaux. Les anciens n’ayant rien à foutre d’un nouveau groupe guimauve de pop anglaise, et les jeunes disant « Il y a un mec qui a 20 ans, qui vit à Manchester et qui se passionne pour la musique. Faut qu’on le fasse écrire ». Sauf que tout ça, je ne l’ai évidemment jamais su quand j’avais 20 ans. J’avais donc très vite abandonné la partie avec R&F.

Véro Servat on Twitter: "7/ les #RitaMitsouko sont les seuls à avoir connu  les #Inrocks avec ce type de couverture qui est donc abandonnée en mars  1987 quand le titre devient plus

Cette déception ne te démotive quand même pas complètement.

Je crois que c’est même l’inverse puisque je vais repartir un peu plus tard en France pour suivre des études de journalisme. Je reviendrai ensuite vivre à Liverpool, Newcastle, Brighton,… De toute façon, je ne me destine pas du tout au journalisme musical. Et cette déception n’a fait que renforcer mon envie de travailler dans la presse régionale. Peut-être que si j’avais su à ce moment-là que mon papier avait été discuté chez Rock & Folk , je me serai accroché. Mais là, je n’avais eu aucun retour. Donc la presse musicale, c’était pas pour moi. Je regrette un peu de ne pas avoir du tout documenté cette période de ma vie à Manchester ou à Liverpool. C’est seulement une fois arrivé à Newcastle que je me suis remis à la documenter car je m’étais remis à écrire. Mais c’était déjà des années après avoir terminé mon école de journalisme.

« Un matin, je me réveille. Un de mes deux articles est publié dans Libé. En pleine page avec une grosse photo. La semaine suivante, mon deuxième papier est publié. Je me dis alors que ça y est, je suis lancé »

Après cette école de journalisme, vous arrivez chez France 3. Comment se passe votre arrivée ?

Je me fais peur. Je suis là, chez France 3, en costard cravate. Très vite, je comprends que je ne vais pas pouvoir faire ça toute ma vie et que ce n’est pas pour moi. Alors je repars vivre à Newcastle, en me disant quand même que désormais je suis journaliste. En tout cas de formation. Je décide donc d’essayer de faire quelque chose dans ce secteur. Toujours au flanc, j’envoie deux articles à Bayon à Libération. Tous les jours, je vais alors lire Libé à la bibliothèque de l’université pour voir si mes papiers paraissent. Un matin, je me réveille. Un de mes deux articles est publié dans Libé. En pleine page avec une grosse photo. La semaine suivante, mon deuxième papier est publié. Je me dis alors que ça y est, je suis lancé. Bayon avait été magnifique, car il n’avait quasiment pas corrigé mon papier. Il ne m’avait pas « Bayonné ».

En commençant votre carrière de journaliste rock dans Libération, vous entrez par la grande porte.

On doit être vers septembre ou octobre 86. C’est le moment où Olivier Bas, un de mes copains de radio libre à Tours, devenu entre-temps attaché de presse dans la maison de disques Virgin, me dit que des mecs sont venus lui présenter un fanzine et qu’il faut que je les rencontre. « Ils adorent les Smiths et sont fans des groupes anglais que tu adores ». Ce fanzine, c’était Les Inrockuptibles. Je passe noël 1986 en France. Je profite de l’occasion pour rencontrer Christian Fevret dans un restaurant de Belleville. On a une conversation comme celles à venir et qui dureront des années et des années. Celle-là dure des heures. A partir de ce jour là, je n’envoie plus rien à Libé. Sauf quelques années plus tard, où je ferai pour eux un article sur le foot. Sur Manchester United. Mais ce sera le seul. C’est étonnant, parce que même si je n’ai écrit que trois articles pour eux, Libé, c’est un peu ma maison. J’ai une grande tendresse pour ce journal. Je déteste que les gens n’aiment pas Libération, même si le journal m’exaspère parfois.

Vous rencontrez Bayon ?

Oui, je le rencontre. Je suis étonné par sa timidité, par sa réserve, sa gentillesse et son humour. Je n’arrive pas à lui dire à quel point ses articles m’ont touché. Et encore moins à lui dire à quel point ses romans m’ont bouleversé. On ne peut pas faire du Bayon. C’est impossible. C’est comme Yves Adrien. Ca sert à rien de faire du Yves Adrien, parce qu’on va se ridiculiser.

« Comment veux-tu faire de la musique quand tu as grandi avec Lou Reed, Bowie et Brian Eno ? Ca sert à rien. C’est presque ridicule d’essayer »

Vous évoquez les livres de Bayon. Pourquoi n’avez-vous jamais sorti de romans ou de longs formats pendant votre carrière ?

Je me pose la question d’écrire un livre depuis que j’ai quitté les Inrocks en 2018. Parce que maintenant, j’ai un peu plus de temps. Mine de rien, pendant 32 ans de ma vie, ça a été un travail 18h sur 24. Parce que quand je n’écrivais pas ou que je ne relisais pas, j’y pensais. Ca m’arrangeait aussi sûrement de ne pas me confronter au long format, il y avait sûrement une part de lâcheté là-dedans. Je n’ai jamais fait de musique non plus. A côté de moi, au moment même où on se parle, il y a un Korg MS-20 que j’ai acheté en 1979 et qui est neuf. Complètement « Mint », comme on dit chez les collectionneurs de disques. Il n’a jamais servi, ce qui en dit assez long sur mes ambitions de musicien. Mes ambitions d’écrivain sont tout aussi médiocres. Le problème, c’est aussi que je lis beaucoup. Que ce soit Arnaldur Indridason ou Steinbeck, je me sens tout petit par rapport à eux. Je sais que je ne pourrais jamais faire aussi bien. Lors de mon pot d’adieu aux Inrocks, François Gorin m’a dit « Il faut absolument que tu écrives un bouquin sur ton rapport à la musique ». Ma réponse a été très simple. « Il y a un mec qui est en face de moi et qui la déjà fait d’une façon tellement brillante que je n’arriverai jamais à faire aussi bien ». Pareil pour la musique. Je n’en ai jamais fait parce qu’il y avait trop de groupes et d’albums que j’adorais et que je vénérais. Comment veux-tu faire de la musique quand tu as grandi avec Lou Reed, Bowie et Brian Eno ? Ca ne sert à rien. C’est presque ridicule d’essayer. Je n’ai aucune envie d’encombrer les rayons avec de la musique médiocre ou inutile. Parce que je n’ai jamais voulu faire quoi que ce soit d’inutile. Mon petit talent, c’était celui d’être passeur. J’ai décidé de creuser cette piste là.

Pendant ces 32 années aux Inrockuptibles, vous avez pourtant eu le temps de vous rendre compte que de nombreux groupes faisaient ou font encore de la musique inutile.

Ca ne m’a jamais dérangé. Un groupe médiocre qui ferait une seule super chanson, ça suffit à mon bonheur. C’est pour ça que j’ai toujours adoré les compilations qui sont ensuite devenues des mixtapes et qui sont depuis devenues des playlists. Même un groupe complètement nul et inutile peut sortir une chanson qui me bouleverse. Tiens, Baccara, par exemple, le groupe espagnol de disco. Ils n’ont fait qu’une seule bonne chanson. Mais leur Yes sir, I can boogie, je peux l’écouter des millions de fois. Ce morceau me fera toujours chialer. Donc je m’en fous que Baccara soit un mauvais groupe ou que ce soit un groupe fabriqué. C’est l’avantage de la pop music. Tout le monde a droit à son quart d’heure de gloire. Tout le monde a le droit à son petit morceau de soleil. Parfois, c’est un miracle. Une mélancolie et une mélodie qui s’unissent et ça fonctionne, sans même que le groupe ne comprenne comment ou pourquoi.

Après votre rencontre avec Christian Fevret dans un restaurant de Belleville, vous intégrez les Inrockuptibles dès le premier numéro ?

Je dois arriver au deuxième ou troisième numéro des Inrocks. Je n’ai évidemment aucune difficulté d’intégration dans l’équipe puisque je vis encore à Newcastle. On se parlait au téléphone, car il n’y avait pas encore d’internet. L’e-mail n’existait pas. C’était un peu plus compliqué qu’aujourd’hui, mais je parlais régulièrement au téléphone à Christian. J’étais sûrement le plus informé. J’achetais des disques tous les jours, j’allais voir des concerts tous les soirs. Je commençais aussi à recevoir pas mal de disques. Il faut dire que j’ai toujours eu cette manie d’écrire des lettres et des e-mails aux gens. C’est une vraie manie. Pendant toute mon adolescence, j’écrivais tous les mois à Marlène Dietrich. Elle ne m’a jamais répondu mais parfois, les gens finissent par répondre. Scott Walker, je lui ai écrit pendant des années tous les mois en lui envoyant un exemplaire des Inrocks pour lui proposer une interview. Au bout de dix années à recevoir les Inrocks, il a du se dire qu’il n’en pouvait plus de mes lettres, et c’est comme ça qu’on a pu faire la seule interview de Scott Walker en 20 ans à l’époque. Léos Carax, pareil. Toutes ces interviews, on a pu les faire parce qu’on écrivait des belles lettres.

Certains fonctionnent encore comme ça. Le seul moyen de contacter le rock critic Yves Adrien, aujourd’hui, c’est de lui écrire une lettre.

Je n’ai rien contre. Ecrire une lettre manuscrite, en 2019, c’est rare et c’est un vrai exercice de style. C’est très beau de recevoir une lettre écrite à la main alors qu’on est noyé d’e-mails et de SMS où il n’y a parfois ni bonjour, ni au revoir. Je reconnais que j’ai un rapport à la politesse qui est un peu suranné. Quand je rencontre un groupe, ça m’arrive de dire à ma femme « Ils étaient bien élevés ». C’est sûrement dérisoire, mais j’aime bien que les gens soient respectueux.

Vous avez d’ailleurs dans la profession cette réputation de répondre à tous les mails que vous recevez, ce qui n’est pas si fréquent.

J’estime que quand quelqu’un a fait l’effort de m’écrire un message ou de m’envoyer de la musique, la moindre des choses, c’est déjà d’écouter la musique en question. Puis de répondre à cette personne, même brièvement, et de donner un avis qui n’est pas forcément positif d’ailleurs. Il m’est arrivé de recevoir des maquettes de groupes français et de répondre que ce n’était pas bon du tout. Même dans ce cas, on me remerciait. Déjà parce que j’avais écouté, ensuite parce que j’avais donné un avis. Peut-être que le groupe avait besoin d’une confirmation pour s’assurer que leur chanteur était tout pourri, aha !

Pendant ces trois décennies, quelle était votre journée type aux Inrocks ?

J’ai un avantage, c’est que pouvais écrire mes papiers tout en écoutant des albums. De toute façon, j’écoute de la musique tout le temps, du réveil au coucher. Il y a de la musique dans toutes les pièces de mon appartement londonien. Il y a des sources de musique absolument partout. Le fonctionnement de certaines d’entre elles m’est même inconnu. Celles qui sont sensées te suivre d’une pièce à l’autre, par exemple. C’est une technologie un peu trop avancée pour moi. Je n’ai jamais vraiment eu de journée type mais je me lève très tôt. Vraiment très tôt. Ca m’arrive de commencer à écrire vers 6 ou 7 heures du matin sans aucun souci. Et puis je travaille tard. Quand j’étais aux Inrocks, je prenais des notes tout le temps. J’avais des phrases qui me faisaient marrer et qui me venaient en tête. Des conneries. Mais des conneries que je notais sans cesse. Des sortes de punchlines. J’aurais presque pu écrire pour Booba, aha !

« Le départ de la décadence, c’est Oasis. Un groupe flamboyant et drôle, mais tellement rétrograde qu’il empêche toute idée de progression, toute innovation. Ce groupe porte en lui le virus de la mort »

Les Inrocks ont démarré en surfant sur la vague indie. Aujourd’hui, le hip-hop est la musique dominante. Que s’est-il passé ?

Le rock indé a perdu la bataille. Une défaite nette, sans bavure. Cette bataille, il l’a perdu par sa propre faute. Le départ de la décadence, c’est Oasis. Un groupe flamboyant et drôle, mais tellement rétrograde qu’il empêche toute idée de progression, toute innovation. Ce groupe porte en lui le virus de la mort. Il a tué toute la scène anglaise. Tout le monde a voulu faire du Oasis et s’est penché vers le passé. On a commencé à regarder les Kinks, les Beatles, les Who, etc. Et ça a été le début de la fin. Le seul qui s’en est vraiment bien sorti, c’est Damon Albarn, un garçon qui a eu l’intelligence de se dire « Attends, on court en marche arrière, là. On ne va pas faire progresser l’affaire comme ça ». Albarn est passé à autre chose assez rapidement. Quand on imagine aujourd’hui qu’il y a 25 ans, on comparait Damon Albarn à Liam Gallagher, on hallucine. La discographie d’Albarn est sans comparaison possible avec celle de Gallagher. Avec Oasis, le rock indé est devenu une formule. C’était le début de la fin. Le rock indé est devenu un marché. Et puis il y a eu tous ces groupes en K : Kaiser Chiefs, Kooks, Kings of Leon…

Kasabian…

Oui… L’industrie a misé et dépensé beaucoup d’argent sur tous ces groupes en K qui n’ont jamais vraiment donné les résultats escomptés. Et là, c’était le début de la fin. Il y a eu des changements de direction à Radio 1 qui est la radio omnipotente en Angleterre. La nouvelle direction a mis un gros stop au développement de ces groupes à guitares de petits blancs. Tous ces groupes, c’était grosso modo le scéma Beatles décliné à l’infini. A un moment, la photocopie est devenue tellement pâle qu’elle devenait invisible. C’est là que des jeunes sont arrivés et qu’on a commencé à voir de nouveaux sons apparaître. Je suis par exemple passionné par tout ce qui se passe dans le grime. Même si je ne me sers jamais de mon corps, j’adore le son. Ca m’a toujours fasciné. A chaque fois que j’entends le son de ces nouvelles productions, je me demande comment ils font. Alors qu’avec le rock, je ne me pose plus jamais la question. Ou alors vraiment très rarement, sur un ou deux morceaux d’Arcade Fire par exemple. Par contre dans le hip-hop, le grime, la drill, la trap, je me demande sans arrêt comment certains artistes parviennent à faire quelque chose d’aussi funky avec un bruit de tôle défoncé et deux notes de piano.

Vous venez de citer Radio 1. Aviez-vous des rapports particuliers avec John Peel au cours de votre carrière ?

On se connaissait et on se parlait de temps en temps. Je l’avais régulièrement au téléphone. Tous les ans, je l’appelais aussi pour avoir sa playlist de l’année pour les Inrocks. Une de mes copines était son assistante. John et moi, on se connaissait sans se connaître. Parce que je connais finalement véritablement assez peu de monde. Même à Brighton où j’ai pourtant vécu très longtemps. On trouvait là-bas toute l’intelligentsia de la critique. Je ne les fréquentais pas du tout. Je suis quelqu’un d’assez secret et d’assez discret. Et je suis bien avec ma famille, mes disques et mes livres. C’est aussi une des raisons qui m’ont fait quitter Paris définitivement. J’y connaissais trop de monde. Ca devenait impossible d’aller à un concert sans croiser des connaissances. Ensuite, il fallait aller au bar, et je finissais par rater la musique. Alors que la musique est plus que centrale dans ma vie. A côté d’elle, je ne compte pas. Je ne suis pas là pour avoir de la notoriété.

Après toutes ces années de journalisme musical, vous êtes vous parfois senti oppressé par les disques que vous possédez chez vous ?

Non, parce que je fais quand même du tri de temps en temps. J’en donne énormément aux œuvres caritatives. J’arrive à peu près à tenir ça sous contrôle. Je suis loin de savoir combien j’ai d’albums chez moi. Probablement 10 000 ou 15 000 disques. Ca reste humain.

« J’ai jamais vraiment exploité ou utilisé cette passion, parce que je me sentais dans la peau de l’imposteur et que j’avais peur de ne pas avoir le vocabulaire pour en parler, mais je suis passionné par le hip-hop américain »

Pour vos premiers papiers dans les Inrockuptibles, vous inspirez-vous de grands journalistes rock ou y allez-vous sans filet, en mode autodidacte complet ?

Bizarrement, et même si je lisais beaucoup la presse anglaise, mes modèles étaient surtout français. Ce n’est que des années plus tard que je me suis rendu compte de l’importance du style de Nick Kent. Fallait déjà que je comprenne de quoi et de qui ces auteurs anglo-saxons parlaient avant même de songer à appréhender leur style. Les français que j’adorais, c’était Yves Adrien, Michka Assayas, François Gorin, Francis Dordor. Beaucoup de gens avec qui j’ai ensuite travaillé, ce qui était un miracle. Et Philippe Manoeuvre, dont j’adorais l’humour, la désinvolture, et le côté un peu branleur. Mes premières chroniques dans les Inrocks sont assez disparates. La première qui a été publiée, ça doit être LL Cool J, le rappeur américain, et un groupe de pop anglaise un peu psychédélique, Daughter’s Children. Il devait aussi y avoir Soup Dragons. C’était déjà un peu tous azimuts en fait. J’ai jamais vraiment exploité ou utilisé cette passion, parce que je me sentais dans la peau de l’imposteur et que j’avais peur de ne pas avoir le vocabulaire pour en parler, mais je suis passionné par le hip-hop américain. Ca ne se voit pas et ça ne s’entend pas toujours mais…Tiens, le Wu-Tang Clan est un des groupes qui a le plus compté dans ma vie. Pour moi, le Wu-Tang, c’était le Velvet du rap. Un groupe où les rôles sont mal distribués, où on ne sait pas qui fait quoi mais avec une aura maléfique et fascinante autour. Quelque chose de très attirant parce qu’on ne le comprend pas. Je peux remercier pour ça Laure Narlian qui a été une brillante journaliste pendant des années. C’est elle qui m’a communiqué sa passion du Wu-Tang.

L’interview est aussi un des premiers temps forts d’un rock critic. Vous souvenez-vous de vos première fois ?

Ma toute première interview, c’était bien avant les Inrocks. J’avais 15 ans. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais en faire, d’ailleurs. Et elle n’a jamais été publié. C’était une interview de Bo Diddley. Il jouait dans un petit club de Tours. Je savais qu’il avait joué avec Clash, et ça m’avait donné envie d’aller le voir, toujours au flanc, avec mon petit magnéto Phillips. Il avait été hyper sympa avec moi. Ses deux filles étaient là, à côté de nous. Elles jouaient dans le groupe et avaient l’air assez délurées. Elles devaient avoir 4 ou 5 ans de plus que moi. Elles m’avaient beaucoup fait rougir pendant toute l’interview parce qu’elles n’arrêtaient pas de me brancher. Mais Bo Diddley était adorable, il m’avait appelé « Son » pendant tout l’entretien. On avait parlé de Clash, de punk rock, de la musique du sud des Etats-Unis. Ma première interview, c’était ça. J’avais 15 ans et pour rencontrer Bo Diddley, je n’étais pas passé par une maison de disques ou un attaché de presse.

Et votre première interview pour les Inrocks ?

Merde… Je ne m’en souviens même plus.

Peut-être parce que vous n’étiez pas si stressé, puisque vous en aviez déjà fait quelques-unes avant. On en parle, de la gestion du stress du rock critic?

J’ai toujours été stressé. Que ce soit quand je rends un papier ou quand je me rends à une interview. Déjà, il y a le stress de rencontrer les artistes parce qu’en général, ceux que je rencontre, je les rencontre parce que je les vénère. Si quelqu’un a réussi à me bouleverser avec une chanson, il a gagné ma vénération absolue. Hier, j’ai interviewé Parson Jones, un groupe californien dont personne n’a jamais entendu parler au moment où on se parle toi et moi. Et bien j’étais dans mes petits souliers. J’étais très intimidé. Jamais je n’ai ressenti de la nonchalance ou du mépris en allant rencontrer un groupe. Je prépare mes interviews à fond. Je bosse comme un chien pour essayer d’obtenir des choses précises d’eux. Et je n’ai jamais traité à la légère une interview. Je ne me suis jamais rendu à une interview sans l’avoir préparé pendant au moins une journée. Ca, c’est un truc de respect.

« Je sors souvent des interviews dans un état lamentable. Je me souviens notamment d’une interview de John Cale, à Londres. Quand je suis sorti de là, j’étais un zombie. J’ai fait cinq fois le tour du quartier en parlant tout seul »

Quels conseils donneriez-vous à un pigiste débutant dans le journalisme musical ?

Une interview n’est pas une conversation. C’est jamais une conversation. Si c’est une conversation, ça peut être fascinant sur le moment. On a l’impression d’être pote avec le mec mais lorsqu’on retranscrit tout ça, c’est la catastrophe assurée. Il n’en sort rien. Quand j’interviewe un artiste, j’essaye toujours d’avoir 10 portes d’avance sur la réponse. Em me disant que telle question devrait me permettre d’avoir telle réponse, ce qui me permettra ensuite d’embrayer sur quelque chose que j’ai préparé et identifié. L’idée, c’est de conduire l’entretien le plus possible sans que ça se voit. L’interview, c’est un jeu de pistes exaltant. Je sors souvent des interviews dans un état lamentable. Je me souviens notamment d’une interview de John Cale, à Londres. Quand je suis sorti de là, j’étais un zombie. J’ai fait cinq fois le tour du quartier en parlant tout seul. C’est pas très bon signe.

Parce que vous n’aviez pas obtenu ce que vous étiez venu chercher chez Cale ?

Ca s’était bien passé mais c’est l’époque où John Cale était encore une espèce d’ogre. On était dans un restaurant un peu chicos de Londres, et je me souviens qu’il avait mangé devant moi son saumon à pleines mains, sans couverts. Ca m’avait un peu effrayé. Je m’étais dit qu’il était vraiment aussi fou qu’on le disait alors. Depuis, je l’ai rencontré dans d’autres circonstances, et je me suis rendu compte qu’il s’était alors un peu amusé de moi. Il avait du sentir que j’étais fan du groupe et que je connaissais très bien toute la mythologie qui l’entourait. Du coup, il m’en avait probablement donné pour mon argent en jouant à fond la carte de la mythologie, aha !

Les gros groupes voient énormément de journalistes au cours d’une carrière. Certains ne sont d’ailleurs pas faciles à interviewer.

Je les comprends très bien. Quand tu fais une tournée promotionnelle et que tu dois faire 10 interviews à Paris, 10 interviews à Berlin, 10 autres à Rome ou Londres, il vaut mieux raconter des mensonges que la vérité sinon tu vas vite t’emmerder.

« J’avais compris que j’avais affaire à deux imbéciles, à des gens très désagréables. Je posais des questions et puis je leur souriais. Eux ne répondaient pas. J’ai fini par poser toutes mes questions dans une ambiance assez glaciale. En partant je leur ai dit « Vous savez, c’est très con ce que vous venez de faire parce que c’est moi qui vais écrire l’article » »

Vous avez interviewé énormément d’artistes. Certaines rencontres se sont-elles avérés assez foireuses ?

Pas tant que ça finalement. Il y a eu des interviews catastrophiques, c’est vrai, notamment Mazzy Star. On arrive à Los Angeles où c’était prévu, et là, on nous dit « Non, non, il faut que vous veniez à San Francisco ». On repart donc à San Francisco et là je me retrouve face à des gens qui ne me parlent pas. Il y avait eu un quiproquo entre leur maison de disques et eux. Ils étaient à un point de rupture avec leur label américain et avaient décidé qu’ils ne feraient aucune interview. C’est exactement à ce moment-là que nous nous sommes pointés. Le label leur avait imposé les interviews, j’en ai payé les pots cassés. Hope Sandoval et David Roback ne me répondaient pas. Je me souviens de Renaud Monfourny qui était assis juste à côté et qui voyait ça, l’air atterré. Moi je m’en foutais complètement. J’avais compris que j’avais affaire à deux imbéciles, à des gens très désagréables. Je posais mes questions et puis je leur souriais. Eux ne répondaient pas. J’ai fini par poser toutes mes questions dans une ambiance assez glaciale. En partant je leur ai dit « Vous savez, c’est très con ce que vous venez de faire parce que c’est moi qui vais écrire l’article ».

Billetterie et concerts de Mazzy Star en 2021 2022 | Wegow France

On en vient naturellement à la notion du pouvoir, prescripteur ou non, du critique rock. Existe-t-il encore ?

Probablement moins qu’avant. Personnellement, je ne me suis jamais acharné sur un groupe, sauf si des gens avaient vraiment été désagréables. J’ai pas souvenir d’avoir dégommé des gens pour le plaisir. Il y a tellement de disques qui me plaisent que j’ai plutôt envie d’en défendre. Parfois il y a des déceptions bien sûr, surtout avec des groupes qu’on a suivi depuis des années. Si aujourd’hui je devais écrire sur Morrissey, ça serait au lance-flammes. Parce que ce qu’il est en train de faire, c’est dégueulasse. Je pense que ce mec est en train de devenir complètement dingue. C’est très triste, après tout ce qu’il a représenté pour moi et toute une génération. Il s’est construit sur un truc de tolérance et sur l’acceptation des différences. Le voir aujourd’hui revendiquer des slogans de l’extrême droite anglaise, c’est ahurissant. Je l’ai déjà dégommé par le passé, mais parce qu’il avait fait des albums qui ne me plaisaient pas. Ceci étant, j’ai une tendance générale à être un peu bisounours, pas à défoncer les groupes.

Vous êtes un peu le Philippe Manoeuvre de l’indie, en somme.

On a sûrement en commun quelque chose sur la naïveté, sur un côté éternel adolescent. Et surtout on n’a jamais eu envie de soigner notre enthousiasme naturel. C’est une des raisons pour laquelle je suis venu vivre en Angleterre. C’est parce qu’il y a ici une effervescence, peut-être parfois un peu vaine, que je ne trouvais pas à Paris. Ici, des gens s’enthousiasment chaque jour pour des nouveaux artistes, que ce soit dans les médias ou sur des blogs. Il n’y a pas cette force d’inertie terrible qu’il y a à Paris où mes collègues sont souvent très blasés et très cyniques. Même aux Inrocks, il est arrivé qu’on me dise « Mouais…Attendons deux ou trois albums avant d’en parler, non ? ». Alors que non, il faut se décider sur le premier 45 tours. Si un truc nous plaît, il faut y aller. C’est pas parce qu’on s’enthousiasme sur un single qu’on va être mariés à vie. Il faut avoir cette capacité à réagir sur un moment précis, sans avoir forcément à mettre en perspective, c’est un truc qui me plaît beaucoup. Evaluer ce que va devenir un groupe, on s’en fout. On n’est pas madame météo.

Lors de votre arrivée aux Inrockuptibles, comment passez-vous de simple pigiste à dacteur en chef musique ?

Très vite, finalement. Parce qu’on était très peu nombreux. Cette énergie fait d’ailleurs beaucoup de bien à un journal qui est naissant. Je crois que Christian Fevret était très content de trouver quelqu’un qui partageait son enthousiasme, même si je ne partageais pas forcément les mêmes références que lui. Il n’aimait pas Bowie, je lui ai fait aimer Bowie. Je connaissais mal Léonard Cohen, il m’a fait aimer Léonard Cohen. On arrivait tous les jours au journal avec des piles de disques et on se faisait écouter ça. Je suis physiquement arrivé en 87 au journal, et mon évolution s’est faites toute naturellement. Il y avait vraiment besoin de toutes les bonnes volontés et de toute cette énergie. J’avais aussi un avantage, c’est que j’arrivais avec mes contacts. J’avais déjà mes réseaux. On ne s’est même pas posé la question de mon positionnement je crois bien. Un jour, Arnaud Deverre, qui était le directeur financier, nous a dit « On ne s’est jamais payés mais il faut qu’on se distribue des actions ». J’ai tout de suite reçu un paquet d’actions qui correspondait à un travail qu’ils pensaient que j’avais accompli.

Aujourd’hui, vous possédez toujours des actions dans les Inrockuptibles ?

Non. On a tout vendu à Mathieu Pigasse quand il a racheté le journal.

The Go-Betweens : 4 minutes pour changer ta vie - Section26

Lorsqu’on est rédacteur en chef musique, n’y a-t-il pas un danger à faire passer ce qu’on veut dans un magazine ?

Malheureusement, si. Quand j’ai écrit pour d’autres journaux, j’ai aimé le fait d’être parfois freiné. Le fait qu’il y ait des gardes-barrières à mes enthousiasmes. Aux Inrockuptibles, j’étais sans garde-fou pendant des années et des années. Certaines couv’, certains groupes mis en avant relevaient presque du caprice. Un exemple typique, c’est la couverture sur Wu Lyf, un groupe de Manchester que je pense être le seul à avoir adoré à ce moment-là et que je continue d’ailleurs de vénérer. Pour moi, c’est un groupe fondamental, même s’il n’a pas résisté aux egos. Les mettre en couverture des Inrocks, c’était sûrement disproportionné. Ou alors il aurait fallu le faire plus régulièrement. Mais le fait que ce soit un one-off, ça n’avait pas de sens. Bien sûr que j’ai fait quelques erreurs, mais en règle générale, je crois que l’enthousiasme a toujours raison. Quand je me suis enthousiasmé pour des trucs qui ne le méritaient pas, ils le méritaient sans doute au moment précis où je le faisais. J’aime en tout cas à le penser, parce que ça a toujours été très honnête de ma part, que ce soit dans la bonne ou la mauvaise foi d’ailleurs. Je n’ai jamais écrit quelque chose que je ne pensais pas pour me positionner ou faire le mariole. Ca n’a jamais été mon truc de me servir de la musique pour me donner une aura. Que je dégomme ou que j’encense un groupe, l’honnêteté prime toujours. Je n’ai jamais été dans une posture.

Vous parlez d’honnêteté mais au cours de votre carrière vous avez écrit sous plusieurs pseudos. Je pense notamment à Simon Triquet. Pourquoi ce choix ?

Simon Triquet, c’est Bourvil dans La cité de l’indicible peur, un film de Mocky que j’adore. « C’est la grande frousse, c’est la grande peur, prenez bien garde à l’inspecteur, le dénommé, Simon Triquet ». C’est le générique de ce film génial. C’est vrai que j’ai écrit sous pas mal de pseudos : Simon Triquet, King Soul Boy que Fevret détestait à raison, et pas mal d’autres.

C’était pour donner l’impression que vous étiez plus nombreux à écrire pour le magazine ou c’est parce que vous n’assumiez pas complètement certaines chroniques ou certains choix critiques ?

Déjà, c’était un jeu. Et ça donnait une impression de nombre, un peu comme l’extrême-gauche. L’idée, c’est de donner l’impression qu’on est une armée alors qu’on est un commando. J’avais aussi un ou deux pseudos qui étaient spécialisés dans des trucs un peu plus précis, mais pour dire vrai, je me souviens même plus pourquoi j’écrivais parfois sous pseudo. A une époque, j’en avais 6 ou 7. Et je me mélangeais les pédales dedans. Heureusement, c’était avant les e-mails. S’il avait fallu que je crée autant de boîtes mails que de pseudos, la supercherie aurait été vite ingérable. Tout ça, c’était des potacheries. A nos débuts, on avait un côté très potache. On était des adolescents attardés, voire des adulescents. On a par exemple plusieurs fois écrit des articles sur des groupes qui n’existaient pas.

Une idée assez géniale qu’on aurait du mal à reproduire aujourd’hui avec internet.

C’est certain. Je me souviens qu’on avait écrit un article dithyrambique sur un groupe qui n’existait pas et qu’on avait appellé Ayatollah Elvis and The Vietnam Surf Fuckers, avec une photo d’un espèce de monstre trouvé dans le public du festival de Reading. On leur avait créé toute une biographie où on racontait que John Cale était venu pour les produire et qu’ils lui avaient dit d’aller se faire voir. Tout ça était évidemment complètement faux. On l’avait fait aussi pour d’autres groupes. Je me souviens très bien être allé à la boutique Rough Trade quelques jours après la parution de ce papier. Des mecs étaient en train de parler du groupe qu’on avait inventé. L’un d’entre eux disaient même que c’était un groupe hyper surestimé.

Cela me fait penser que le snobisme fait aussi parti de la culture pop. Avez-vous senti à un moment de votre carrière que c’est un reproche que certains faisaient aux Inrockuptibles ?

J’avais de très bons copains dans d’autres journaux mais on sentait malgré tout une hostilité voire un mépris, notamment de la vieille génération qui s’offusquait qu’on ait le culot de parler du Velvet Underground, d’Alan Vega ou d’Iggy Pop. Pour eux, tout ça, c’était chasse gardée. C’était leur culture. Leur clientèle. Il y a eu des moments où nous avions peut-être l’air d’être dans une forme d’imposture mais ce n’était pas le cas. Le hip-hop, par exemple. On nous a reproché de ne rien y connaître, alors qu’on avait des journalistes comme Thomas Blondeau ou Laure Narlian. On avait ce qui se faisait de mieux à l’époque pour parler du hip-hop. J’ai toujours ressenti de l’hostilité et de l’agressivité à notre encontre. Heureusement, j’ai habité en Angleterre pendant une longue période donc j’étais assez tranquille. Je ne connaissais personne là-bas. Mon postier est souvent la seule personne à qui je parle pendant la journée, ça montre bien mon niveau de sociabilité. Quand les Inrocks arrêteront ou quand je serai mort , peut-être que certains oseront enfin dire « 0h là là, ils ont marqué ma jeunesse ». Mais dans les années 90, je sentais vraiment un mélange de jalousie et d’exaspération. C’est vrai qu’on était des trous du cul, quand même. On était assez exaspérants avec nos positions souvent très radicales sur la musique. On s’enthousiasmait pour des groupes qui ne le méritaient pas aux yeux du grand public. On avait la réputation d’être des snobs, alors qu’on n’a jamais été snob. Je ne suis pas du tout un snob. Qu’on ait pu être élitistes, peut-être, qu’on essaye de tirer les choses vers le haut, sans doute, mais snob, jamais. J’ai un entourage qui m’aurait tout de suite coupé les ailes si j’avais commencé à l’être.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du journalisme musical entre vos débuts et votre départ des Inrocks en 2018 ?

Le premier constat, c’est l’effondrement total des journaux sur lesquels je me suis construit. C’est quand même pas rien. Le New Musical Express n’existe pour ainsi dire plus, le Melody Maker n’existe plus, Rock & Folk…- Ah si Rock & Folk existe, en fait ! Mais est-ce que c’est bien aujourd’hui ? J’avoue ne plus du tout lire la presse musicale.

Personnellement, je trouve le magazine de très bonne qualité. On y trouve des plumes comme Christophe Basterra, Basile Farkas, Benoît Sabatier,…

Je ne lis plus rien mais je trouve de toute façon formidable que Rock & Folk soit là, qu’il y ait encore un journal qui défende ce genre de musiques. .

Pourquoi ne lisez-vous plus du tout la presse musicale ?

Acheter Mojo pour savoir exactement ce qu’on va y lire, ça ne m’intéresse plus des masses. Pour en revenir à l’évolution du journalisme musical, c’est vrai qu’elle a commencé avec l’effondrement de la presse. Il y a aussi eu un grand renouvellement des journalistes. J’ai vu plusieurs générations de journalistes passées aux Inrocks. Par exemple, ceux qui sont venus à la musique avec les Strokes et les Libertines et qui ne connaissaient rien avant. Incapables parfois de faire la moindre filiation avec des groupes post-punk. Ca me donnait l’impression d’avoir affaire à une micro-culture. Il y a aussi eu des journalistes qui sont arrivés après, sur le hip-hop français. Certains connaissaient Booba ou La Fouine mais connaissaient à peine NTM et IAM. A une époque où la musique est si disponible, si facile à écouter, ce manque de curiosité et ce côté micro-niche, je trouve ça hyper triste. J’aurais rêvé de grandir à une époque où il y aurait eu internet et où on aurait pu tout écouter en un clic. Même si la frustration a aussi ses bons côtés. Pendant des années je me suis baladé avec une liste de disques à acheter impérativement si je tombais dessus. J »ai toujours cette liste dans mon portefeuille, même si j’ai mis 20 ans à trouver certains disques qui sont dessus.

« Ce que je constate aujourd’hui, c’est que plus la musique est disponible, moins elle est expliquée »

Quand j’avais 18 ans, je rêvais des albums de Claudine Longet. J’ai mis des années à les trouver.

Oui, mais là, c’était de la perversion, aha ! En tout cas, la frustration peut être une très bonne chose. Et la frustration, c’est un truc de provincial. Pendant longtemps, mon père bossait entre Tours et Paris. Il m’amenait à Paris une fois par semaine, et j’allais directement chez New Rose. Je donnais ma liste à Gérald, le vendeur. Immédiatement il me disait ce qu’il avait dans ma liste et ce qu’il n’avait pas. A chaque fois, je revenais hyper frustré chez moi de ce que je n’avais pas ramené. Aujourd’hui, je trouve qu’on manque pas mal de prescripteurs. Parlons de Spotify, Deezer ou Apple Music deux minutes. Ils manquent sérieusement de conseillers. Les intelligences artificielles font un boulot troublant, parfois bouleversant parce qu’elles arrivent à me faire passer d’un truc à un autre auquel je n’aurais jamais pensé. L’autre jour, j’écoutais Hot Chip et l’algorithme m’a fait basculer sur un truc malien. Je n’aurais jamais fait la liaison moi-même et le truc malien passait super bien derrière. Ce que je trouve dommage, c’est que tous ces conseils ne soient pas plus incarnés. Je préfèrerais vraiment suivre les conseils d’hommes ou de femmes plutôt que ceux d’une intelligence artificielle. J’adorerais avoir des playlists de gens à qui je fais confiance. Ou à qui je ne fais pas confiance, d’ailleurs. Mais qu’ils me fassent découvrir des trucs qui leur sont personnels. C’est ça le plus important. Tu vois, tu me parles de Claudine Longet, je ne suis pas certain que sa version de apparaisse sur beaucoup de playlists. Si tu avais une playlist, j’irai probablement fureter dedans. J’ai grandi avec les compils, les walkmans, etc. Quand on se faisait des cassettes entre copains ou pour draguer une fille, l’ordre des morceaux était fondamental. Chaque chanson avait une place bien précise dans le tracklisting. Ce que je constate aujourd’hui, c’est que plus la musique est disponible, moins elle est expliquée. Parce qu’il y a de moins en moins de presse, et de moins en moins de culture dans la presse.

Par contre, il y a beaucoup plus de livres sur la musique qui paraissent qu’il y a 20 ou 30 ans. En tout cas en France. Comment expliquer ce phénomène ?

Je suis mal placé pour parler des livres sur la musique. On m’en a proposé des dizaines et je n’en ai jamais écrit un seul. Pour être honnête, je n’en lis pas du tout. J’ai bien sûr lu ceux de Gorin ou Assayas, parce que ce n’est pas seulement sur la musique mais aussi sur leurs parcours personnels. Mais des livres stricto sensu sur la musique, je n’en lis pas. On vient de m’offrir un livre sur Joy Division par exemple. Ca a l’air passionnant puisque c’est un recueil d’interviews de Joy Division, ce qui est assez rare. On n’a pas entendu 1 000 fois la parole de Ian Curtis. Et bien je n’arrive pas à le lire, parce que j’ai toujours un roman qui passera devant. Dans mes lectures, un roman aura toujours la priorité par rapport à un livre sur la musique. Parce que ça me permet de m’évader, de découvrir des styles, des formules stylistiques,…C’est assez bizarre, je dois être le seul rock critic qui ne lit pas du tout de livres sur la musique. Tiens.. .Je viens d’utiliser le mot rock critic alors que je ne le revendique pas du tout.

Vous ne lisez même pas de biographies d’artistes ?

Non, encore moins. J’ai un vrai problème avec ça. A chaque fois qu’on me propose de faire un livre sur la musique, ma réponse est invariablement la même : « Pourquoi j’écrirais un livre que je ne lirai pas ? ».

Au cours de votre carrière, pensez-vous avoir fait preuve de plus de mansuétude avec les groupes de Tours ?

Est-ce que j’en ai seulement chroniqué ? As-tu des exemples en tête ? Parce que je n’ai pas souvenir d’avoir chroniqué des groupes de « ma » ville.

Je n’en ai pas, non. C’est une question assez générale.

Ce que je sais, c’est que je n’ai pas que des copains à Tours. Donc c’est forcément qu’il y a un malaise quelque part. De toute façon, j’ai très peu de copains qui sont dans des groupes. Et ça va très bien à tout le monde, je crois, parce que je ne crois pas être très intéressant au quotidien. Cela me laisse aussi ma liberté d’écrire ce que je veux. Souvent, les gens me disent « ça doit être super d’être pote avec untel, untel, untel… ». Il y a évidemment des gens avec qui je vais boire un coup si on se croise, mais la seule personne qui soit venue dormir chez moi, c’est Miossec. Parce que tous les deux, on a une histoire qui est longue et qui remonte à ses débuts.

« On peut tout à fait dire qu’il y a en effet eu des tentatives de corruption. On m’a menacé d’aller aux Bahamas pour écouter le nouvel album d’un artiste. J’ai participé à une écoute d’album dans un Concorde entre Paris et New-York »

A un moment donné, les Inrocks étaient très prescripteurs. Certaines maisons de disques essayaient-elles de vous corrompre pour avoir des papiers positifs ?

On peut tout à fait dire qu’il y a en effet eu des tentatives de corruption. On m’a menacé d’aller aux Bahamas pour écouter le nouvel album d’un artiste. J’ai participé à une écoute d’album dans un Concorde entre Paris et New-York. On m’a aussi raconté – mais là je n’y étais pas – que lors d’un voyage de presse, les attachées de presse dans l’avion remettaient à chaque journaliste un brouillon d’article. Il y a donc eu tentatives évidentes de corruption. A chaque fois qu’il y avait un nouveau directeur marketing dans un label, il fallait d’ailleurs lui réapprendre les règles du jeu parce qu’il arrivait avec ses gros sabots, nous disant « Ben voilà, j’ai acheté des espaces pub dans votre journal, pourquoi vous ne faites rien sur mon artiste ? ». On lui expliquait alors pourquoi ça ne se passait pas comme ça aux Inrockuptibles. Mine de rien, ça s’est toujours bien passé. Bien sûr, il y a parfois eu des clashs, des engueulades, des bouderies, des longs silences, mais de toute façon c’était inconcevable d’envisager autrement nos relations. J’avais quand même des rapports très cordiaux, voire amicaux avec eux. Parce que j’écoutais tout. Ce qui me permettait aussi d’être intouchable. On ne pouvait pas me reprocher de ne pas avoir écouté les choses. J’écoutais même des groupes de hard-rock français. Pas longtemps, mais je le faisais. Parce qu’il y a une curiosité naturelle. Tu vois, par exemple, Gojira, je trouve ça fascinant même si a priori, c’est pas du tout ma musique. Je n’ai par contre aucun vocabulaire pour en parler. Je sèche totalement. Je me sentirai en imposture totale si j’écrivais là-dessus. Je n’ai jamais écrit sur le heavy-metal parce que ça m’intéresse pas du tout. Par contre il m’est arrivé d’interviewer Angus Young ou Lars Ulrich. C’est des gens qui me fascinent car je ne viens vraiment pas de ce milieu. En la préparant bien, je peux tout à fait faire une interview d’eux. Par contre écrire sur leur musique, ce serait mentir aux gens pour qui cette musique compte. Et j’ai trop de respect pour eux pour parler de cette musique en faisant le mariole. J’ai un respect dingue pour le public du Hellfest qui continue envers et contre tout à écouter cette musique.

Ce côté tribal, le rock indé l’a complètement perdu.

En Angleterre, il y a encore un peu de résistance. Il y a toute une scène londonienne autour de groupes comme Shame, HMLTD, etc. Mais c’est vrai que les gens ne se définissent plus du tout en fonction de ce qu’ils écoutent. En ce moment, par exemple, je suis en train de faire pour une commande un reportage sur la scène de Clermont-Ferrand. Tout les gamins là-bas écoutent du hip-hop. Même ceux de 15 ans qui sont habillés comme s’ils jouaient dans les Strokes. Ils accompagnent leur père à des concerts de rock mais ce qu’ils écoutent, c’est du hip-hop. J’ai vraiment l’impression que désormais, plus personne ne se construit en fonction de ce qu’il écoute. Quand j’étais au lycée, les ados se positionnaient et se regroupaient en fonction de ce qu’ils écoutaient. Ce n’est plus le cas. J’avais été viré de mon école à la fin de la première. Quand je suis arrivé en terminale dans un autre lycée, j’ai tout de suite eu des copains parce que j’avais une bonne gueule de fan de New-wave, avec mes badges, etc. Le premier jour dans ce lycée, deux filles viennent me voir dans la cour de récréation et me demandent « Est-ce que t’es branché ? ». Je ne savais même pas ce que l’expression voulait dire. On a commencé à parler musique et l’une des deux est restée une copine depuis ce jour-là. A l’époque, on était ce qu’on écoutait, on s’habillait ce qu’on écoutait, on fréquentait ce qu’on écoutait. C’est un peu la chanson de Courtney Love sur Rock Star : « We all listen the same, we all fuck the same » . Parfois, t’avais des incohérences. J’ai rencontré un ancien Curiste roux m’avouant qu’il avait arrêté de se fringuer et de se coiffer comme Robert Smith le jour où il s’était vraiment rendu compte qu’il était roux !

Les Inrocks 2 (France) n° 7 - The Cure | Flowers Of Love | www.thecure.cz

Vous écoutez donc tout ce que vous recevez depuis vos débuts. N’avez-vous jamais craint le burn out musical ?

Non. Je ne me suis jamais fatigué. Quoi de mieux au monde que de découvrir des nouvelles chansons, des nouveaux groupes ? Et si je me lasse d’un genre, je vais vers un autre genre. L’indie rock, par exemple, je n’en écoute presque plus. Enfin, ce n’est pas complètement exact, puisque je viens de me remettre à en réécouter un peu grâce à Radio 6 qui passent des choses que je ne connaissais pas. Il y a là-dessus deux ou trois DJ’s de Manchester qui passent des trucs indie qui me plaisent alors que ça fait des années que je n’écoute plus du tout ce genre de musique. C’est une super radio, avec des gens comme Iggy Pop ou Jarvis Cocker qui ont leurs propres émissions. Ils font tous découvrir leur jardin secret. Iggy Pop, par exemple, c’est une source d’informations précieuses pour moi sur le hip-hop underground américain. Autant dire qu’il faut vraiment en vouloir pour en arriver là ! Pour en revenir à la lassitude du rock critic, j’ai lutté contre par le changement de genre. Quand j’ai perdu l’intérêt pour les fins de race, les fins de copies, les fins de photocopies des groupes à guitares, je me suis mis à d’autres choses. Je me suis notamment passionné pendant des années de musique néo-classique, genre Max Richter, Johan Johansson ,…Tous ces mecs souvent scandinaves, souvent tristes et souvent suicidés à la fin qui font des musiques absolument magnifiques. En ce moment, je me fais plein de playlists de hip-hop, notamment de hip-hop anglais qui me fascine. Les anglais ont cette capacité, même lorsqu’ils font du hip-hop, à faire quelque chose de très pop. Il y a toujours un refrain qui traîne, un loop, etc. Même si, je le redis, cette musique hip-hop n’est basée sur rien. Le fait que ce soit quasiment des sons décharnés, ça me fascine. J’ai grandi avec « Music for films » de Brian Eno, un album que j’ai écouté des milliers de fois. C’est sûrement pour ça que, pour moi, moins il y a de choses dans la musique, mieux c’est.

Vous avez des enfants. Comment arriver à faire ses propres choix musicaux quand on a un père qui écoute autant de choses ?

Ma fille a décidé de m’emmerder, me demandant de récupérer des places pour Justin Bieber ou ce genre d’artistes. Elle a choisi son camp. Ceci dit, c’est très bizarre. Elle écoute beaucoup moins de musique que son frère mais elle est passionnée par Moondog. Elle n’écoute quasiment que Moondog et Justin Bieber. Mon fils a par contre été très vite passionné de musique. Peut-être parce qu’à 7 ans, il était déjà allé voir Jonathan Richman. Aujourd’hui, il travaille dans une maison de disques. On déjeune très souvent ensemble, et il me fait découvrir des choses incroyables dans le back-catalogue. L’autre jour, il est arrivé avec un vinyle et m’a dit « Il faut absolument que tu écoutes ça ». Je ne savais pas ce que c’était. Je pensais que c’était un truc contemporain, et en fait, c’était une pianiste éthiopienne du début du siècle dernier. Une religieuse dont c’est le seul enregistrement, et on trouve ça sur ce label génial, Mississippi Records. Comme elle n’a jamais appris de piano, elle joue faux. Mais constamment faux. A tel point que ça en devient magnifique. Mon fils est incollable sur le grime de Manchester, sur la musique éthiopienne, sur la pop indé des années 80… Il fait partie de cette génération qui a tout le temps un appareil sur elle. Dès qu’un nom apparaît dans une conversation, il lance tout de suite le truc sur Spotify ou autres. Ca lui permet d’avoir une culture phénoménale que je n’avais absolument pas à son âge.

« Je vais chez Rough Trade régulièrement. Je me précipite, encore comme un con de 56 ans, sur le bac de 45 tours. Sur les nouveautés de 45 tours…Je paye 9 livres pour un single que je vais parfois écouter une seule fois, mais je m’en fous »

Contrairement à certains de vos collègues rock critic, en vieillissant, vous n’avez jamais perdu le goût des nouveautés.

Ca vient aussi du fait que j’habite en Angleterre. Je vais chez Rough Trade régulièrement. Je me précipite, encore comme un con de 56 ans, sur le bac de 45 tours. Sur les nouveautés de 45 tours…Je paye 9 livres pour un single que je vais parfois écouter une seule fois, mais je m’en fous. Parfois, je le mets sur ma playlist Spotify et je ne vais même pas le poser sur ma platine. J’ai chez moi plein de disques qui sont encore sous cellophane. Mais je voulais avoir l’objet. Parce qu’il m’attirait. J’ai une attirance presque sexuelle pour les disques. C’est quasi maladif. J’ai même un frisbee en forme de vinyle. Sur un côté tu as la phrase « I collect records. I am obsessed with them », et de l’autre « Frisbee, stupid frisbee ».

On a peu parlé dans cet entretien de vos rapports avec les lecteurs.

C’est assez troublant. Avant les réseaux sociaux et les mails, on recevait parfois des lettres. Mais pas tant que ça. C’est quelque chose de très militant d’écrire une lettre. Envoyer un e-mail par contre, ça a un côté très léger. Du coup, il y a plus de communication avec des lecteurs. Depuis des années, certains sont devenus des amis alors qu’à la base, nous n’avions que quelques chroniques de disques en commun.

Avez-vous déjà regretté d’être devenu rock critic ?

Oui. Au départ je me destinais à la médecine. Par mon bac, par mon background familial, etc. Et je pense que j’aurais été plus utile en étant psy qu’en étant journaliste musical. Même s’il m’est arrivé de faire psy sans le vouloir avec certaines stars du rock. Un paquet d’artistes se sont servis de moi pour faire des psychanalyses gratuites. L’un dans l’autre, j’ai quand même réussi à mêler les deux. Et surtout, mes rêves de gamin sont devenus réalités. Quand je me retrouve face à Bowie pendant plusieurs heures et qu’il répond exactement ce que je rêvais qu’il réponde à chacune de mes questions, c’est quand même très fort. Quand je lui dis « Bonjour, je m’appelle Jean-Daniel », et qu’il répond « Bonjour, je m’appelle David. Au fait, je voulais te féliciter pour ton article sur John Cale il y a deux numéros dans les Inrocks », je suis heureux. Même si tu sais bien sûr que tout ça est un peu mis en scène, tu le prends quand même. Tu te souviens de toi gamin, habitant dans la forêt et écoutant Bowie avec des posters de lui un peu partout sur les murs. Et tu te dis que tout ça n’a pas été vain.

(Histoire de faire un update, on a posé en septembre 2021 une question complémentaire à JD Beauvallet. Et on s‘est rendu compte que l‘entretien supra avait joué un petit rôle dans la rédaction de Passeur)

Pourquoi ces mémoires?

Au départ, il n’y a aucune volonté, aucun besoin de raconter cette histoire. Sans l’insistance et la patience du jeune Romain Lejeune, que j’avais connu comme journaliste aux Inrocks avant qu’il ne devienne éditeur, je n’aurais pas écrit une ligne. Ma première réponse avait été que même ma mère ne serait pas intéressée par ces mémoires. Je ne me sentais pas d’écrire à la première personne du singulier après trente années pendant lesquelles aux Inrocks, on avait quasiment banni le « je », par pudeur, par refus de la mise en scène de soi-même. Puis il y a 5 ou 6 ans, j’ai été informé brutalement que j’étais atteint par la maladie de Parkinson, avec un calendrier de dégénérescence assez précis. Avant que la mémoire ne soit trop touchée, j’ai commencé à fouiller dans les souvenirs, ça a été assez troublant de me replonger dans les vieux Inrocks, je lisais parfois des interviews entières dont je n’avais aucun souvenir, comme si elles avaient été écrites par d’autres. Impossible de me souvenir des rencontres, des lieux, de l’entourage alors que pour la plupart, j’ai été sidéré par la précision des réminiscences : des détails sont immédiatement remontés à la surface, les consigner par écrit a été une expérience frénétique, joyeuse et rapide. Grâce à l’entretien avec vous pour Profession Rock Critic, j’avais remisé les questions de “je“, cette pudibonderie : je pouvais me lancer en racontant ce qui me passait par la tête, sans fil parfois, en rebondissant, en digressant… J’ai toujours adoré cette phrase d’Holden Caulfield dans L’Attrape-cœur de Salinger : “L’ennui avec moi, c’est que j’aime ça quand quelqu’un s’écarte du sujet (…) C’est chouette quand quelqu’un vous parle de son oncle. Surtout quand il commence par vous parler de la ferme de son père et puis que tout d’un coup, il s’intéresse d’avantage à son oncle. Je veux dire, c’est dégoûtant de lui gueuler “Digression” quand il est bien parti et tout emballé.” Ma machine s’est emballée, j’ai eu l’impression pendant toute l’écriture de mettre de l’ordre dans mon chaos, comme lorsque je range mes disques de manière maniaque. Ce sont des petits rituels qui me relient à un avant, à des acquis, quand j’ignore ce que réserve demain. Et puis ça m’a permis de purger mon mauvais sang de quelques noms de profs, de curés, de « phoneys ». Mais surtout, ça a été une façon de me rappeler à quel point je dois tout ce que je sais, tout ce que je suis à la musique. Chaque anecdote, chaque rencontre, chaque étape du livre possède sa bande-son. Et ça, ce n’est pas comme une cassette audio qui finit par s’effacer, c’est indélébile.

JD Beauvallet / Passeur (éditions Braquage)
https://www.leseditionsbraquage.com/passeur

Toujours disponible : Profession Rock Critic, volume 1

Profession : rock critic (volume 1) – Gonzaï

A venir avant décembre 2021, dès qu‘on aura vaincu la pénurie de papier :
Profession Rock Critic, volume 2

28 commentaires

  1. cher Albert Potiron et jb beavaullet ,que pensez vous de la nomination de joseph ghosn à la tête des inrocks? personnelement depuis le rachat du titre en 2009 par le bellâtre mathieu pigasse ,les inrocks c’est devenu n’importe quoi, joseph ghosn peut il redressé la barre ?

    1. Bonsoir, je ne sais pas ce que Jean-Baniel en pense. Pour ma part, le sujet est complexe. Le challenge paraît en effet difficile et les temps ont changés. Si tu t’attends à une renaissance des Inrocks canal historique, tu risques en effet d’être déçu. Mais les temps ont changé. Lirait-on aujourd’hui les Inrocks sauce 91 alors qu’on like des posts Instagram quand on est sur le trône? Je m’interroge. Laisse donc la surprise venir à toi, jeune Padawan. Et n’oublie pas : Trop de douleur distrait le spectacteur, comme disait Jacques Tati.

      1. je n’attends pas du tout une version les Inrocks sauce 91 ,cela n’aurais pas de sens en 2021 ,mais tous de meme il se passe encore de belle chose musicalement actuellement ,et je trouve cela trop facile que la couve des derniers mensuel de inrocks ce fut le le velvet ou nirvana ,c’est un peu racoleur et d’un consensuel moi ,je ne m’attends pas ce que du jours au lendemain les inrocks deviennent subitement un magazine de contre culture mais il y a quand même la possibilité de faire beaucoup mieux , . En 2021 la musique est partout et nulle part, nous avons plus que jamais besoin de passeurs et de prescripteurs ,

        1. Envoie ton cv à Joseph, Alexandre. Je suis d’accord avec toi, il y a toujours la possibilité de mieux faire. Ceci dit, il faut aussi faire entrer un peu d’oseille quand on est à la tête d’un magazine. Et il est probable que Nirvana, le Velvet ou Gainsbourg en fassent entrer un peu plus qu’un groupe qui sort son premier album en 2021. Patiente jusqu’au retour du rock. C’est prévu vers le 18 février 2023.

          1. mon cv a joseph ,mdr quand il va voir que c’est moi il va direct le jeté à la poubelle , il ne m’apprécie guère ,et je ne sort pas de science po comme lui ,je suis un pur autodidacte sans diplôme aucun ,je me suis fais tout seul à la force du poignet ,et j’ai eu mille vie professionnel dans des jobs de subalterne pas toujours reluisant ,la collection de disque que je possède je l’ai transpiré par tous les pores de la peau ,je suis a des lumières de la pseudo intelligentsia parisienne des joseph ghosn et consorts ,je n’ai jamais de disquaire fréquentable à porté de metro ni ne recevais de disques gratos ,je devais me tapé des centaines de km pour trouvé un disquaire ,

  2. Trop punk Arcachon Wouarf wouarf! Punk à Arcachon ahah ahah !!! C’est comme être heu red neck dans la liste à Hidalgo ahahah trop naze!!!! Au fait joh’nny Thunder est toujours maire de ce patelin de vioques ? Ah tu m’a fait ma journée man!!!

    1. Non, ça c’est un autre rock critic des Inrocks que tu trouveras dans Profession rock critic volume 2. Pas encore dispo en précommande mais on y travaille.

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