6 décembre 2024

Marek Zerba pense à la célébrité pop, et pas qu’en se rasant

Dandy à moustache et lunettes fumées, vagabond des nuits parisiennes : mais qui est donc Marek Zerba ? Dès le départ, ses compositions aux intitulés aussi farfelus que ses textes intriguent sans pour autant décrocher de succès manifeste sur la scène indé. Alors pourquoi jeter l’éponge quand l’approche s’oriente davantage vers Philippe Katerine que Benjamin Biolay ? 

Rencontré pour la première fois à une heure tardive au feu Pop In, ancien repère d’une jeunesse parisienne indie, il convenait d’interroger Marek Zerba dans ce bistrot qui lui est si familier pour percer à jour cette figure mondaine. Artiste à son échelle, il importait d’éviter un échange pompeux qui tient à la promotion d’un disque intriguant, parfois drôle, sans être fameux pour autant et qui se nomme « Bourgeoisiveté ».
Après le décès de son gérant Denis Quélard, l’établissement cosy et branchouille de la rue Amelot s’est rebaptisé le Chaton Indépendant. Puisque Marek Zerba en est toujours un habitué, cela permettait d’espérer lui délier la langue autour d’un verre là où il se sentirait suffisamment à l’aise pour s’exprimer sans entrave. «
Est-ce que je vais avoir un article genre comme Kevin Parker ou Grand Blanc ? Un truc violent ? Je voudrais me faire déchirer par Gonzaï », s’enquiert-il sans laisser transparaître s’il s’agit d’une inquiétude ou d’un masochisme avoué. Alors, Marek Zerba, es-tu un troll ou bien un artiste prostré en quête de distraction perpétuelle ?

As-tu une anecdote sur le Chaton Indépendant ?

J’ai sorti une chanson de Noël il y a 8 ans qui s’appelle Le Père Noël s’est tiré une balle dans le cul. Avec Denis Quélard, on avait organisé un concert de Noël ici à l’époque où c’était le Pop In. C’était violent dans la cave. J’ai ensuite tout nettoyé, il y avait du sang partout. C’est tout ce qui me vient à l’instant.

 

Pourquoi ce nom pour l’album, « Bourgeoisiveté » ?

Vu que je suis bourgeois et oisif, j’ai toujours dit que j’étais bourgeoisif, ça me semblait sincère. Je crois que j’avais peur qu’on me vole ce néologisme donc c’était comme aller à l’INPI [Institut national de propriété industrielle, NdlR] et mettre un copyright dessus. Et puis, ça traduit bien aussi les chansons qui y sont présentes. 

Tu sembles inspiré et avec assez d’autodérision pour baptiser tes albums « Qu’on leur donne de la brioche ! », « Fiasco » et maintenant celui-là…

Ouais, ouais, ouais, je ne sais pas si c’est de la dérision. On peut le prendre comme ça mais aussi de plein d’autres manières. « Fiasco » pour moi c’était vraiment un fiasco. Je ne parle même pas de ventes ou tout le bordel parce que de toute façon ça ne se vend pas, mais c’était une période un peu compliquée dans ma vie et toutes les chansons vont vers un fiasco. Ça commençait par Akoibon – donc à quoi bon faire un disque en gros – et ça se finissait par Rire et jouir – est-ce que je pourrai encore rire et jouir ? Après, arrive « Bourgeoisiveté » qui est un peu une reconstruction. « Fiasco » c’était une espèce de bombe, tabula rasa, je vomissais mes dernières tripes et puis après il fallait reconstruire. 

Parle-moi des morceaux présents sur « Bourgeoisiveté ». Cherches-tu les jeux de mots ou y racontes-tu quelque chose ?

 Ah … ! Je suis très nul pour ça, je pense qu’il y a au moins une vision par auditeur. Ce sont des petits machins de trois minutes qui racontent toujours quelque chose.

Ce n’est ni léger ni gai ce que je raconte, la plupart du temps c’est plutôt sombre. Ce ne sont pas que des éléments commerciaux. Il y a mille sous-textes.

Dans le titre d’ouverture, à un moment donné tu finis ton vers par « trop de cuuuuu… mulus ». Ne s’agit-il pas d’un jeu de mot ?

Ah ouais ?! Je n’avais même pas pensé au cul. Surtout que j’aurais pu parler du cul des miss météo. Bien sûr, c’était évident et c’était tellement évident que je ne l’ai même pas vu ! Je pense à cumulus direct. Maintenant, je n’arrêterai pas d’y penser. Pour Ignorer l’annonce, par exemple, ce sont des mots qu’on me répète souvent dans la journée. Je vais sur YouTube et j’y vois mille fois « ignorer l’annonce », c’est pour ça que je suis passé sur le bloqueur de pub 

 

Le titre Nonosse peut parler des chiens mais peut aussi parler d’autres choses. Quand j’ai écrit cette chanson, j’étais à un moment de ma vie où j’avais besoin d’un os à ronger. Je n’avais rien et c’est sûrement cette chanson et cet album lui-même qui étaient ce « nonosse ». Ce n’est ni léger ni gai ce que je raconte, la plupart du temps c’est plutôt sombre. Ce ne sont pas que des éléments commerciaux. Il y a mille sous-textes. Les chansons s’imposent à moi, après, j’essaye d’y trouver de la matière quand je les chante. Il y a beaucoup de chansons pour lesquelles je pars du titre. Ignorer l’annonce, je l’avais depuis des années. Parfois l’idée vient d’un mot, parfois d’une ligne de basse, d’un rythme, d’une idée de texte.

Je suis un peu comme le peintre japonais qui observe une plante pendant trente ans et qui d’un coup la peint en deux secondes.

De quels instruments joues-tu ?

De tout très mal, mais je ne pense pas qu’on soit obligé d’être un bon musicien pour faire des bonnes chansons et c’est ce que j’essaye de faire. C’est la première fois sur un album que ce n’est pas moi qui fais tout, qu’il y a d’autres gens impliqués dans le processus. Je suis allé juste à côté, il y a un studio, on a fait de vraies batteries enregistrées par Hugo Rd, accompagné de David Bouhanna et Frank Lobielti, qu’on a ensuite doublées par des fausses dans un autre studio. On les a un peu gonflées de kick et snare avec Maxime Breton, aka MightyMax, qui bosse dans le hip-hop.

Qu’est-ce qui distingue concrètement cet album des deux précédents ?

Stéphane « Alf » Briat qui l’a mixé m’a confié que c’était mon premier album hi-fi. J’ai l’impression qu’il est un peu plus tubesque. Dans le précédent, il y avait une chanson de 15 minutes 30, celui-là est un peu plus direct, plus expansif aussi j’ai l’impression. On peut me reprocher beaucoup de choses mais pas ma sincérité. Il y a une nana que j’ai vu la dernière fois à la téloche qui disait qu’on avait 5000 mots par personne et qu’on en utilisait 150 par jours ou un truc du style. Avec trois albums, je n’ai pas compté le nombre de mots à chaque fois mais il faut que j’évite les répétitions. Je suis au début du prochain album, normalement j’ai déjà une date de sortie. Je suis un peu comme le peintre japonais qui observe une plante pendant trente ans et qui d’un coup la peint en deux secondes. J’ai l’impression d’être un peu de cette école-là.

Dans ton communiqué de presse, tu écris que cet album « dure un peu moins de 33 minutes, mais qu’on y trouve à bouffer pour les vingt prochaines années ».

On m’a obligé à pondre un texte et vu qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même… C’est difficile parce qu’il ne faut pas être trop complaisant mais pas non plus dire que c’est de la merde. Il s’agit d’une phrase de Céline à Gallimard je crois en envoyant le Voyage au bout de la nuit. Il me semble qu’il disait « vous y trouverez à manger pour le prochain siècle » ou un truc comme ça. [En avril 1932, Louis-Ferdinand Céline aurait écrit à Gaston Gallimard : « Cinq ans de boulot… du pain pour un siècle entier de littérature ». La première édition de l’ouvrage est finalement parue chez l’éditeur Denoël et Steele, NdlR].

Je suis plus outre-Manche que Kyo.

Tu te dis oisif, ça veut dire que tu ne branles rien ou que tu profites de la vie à une époque où il semble pourtant compliqué de se détacher de cette société avilissante ?

J’essaye un peu les deux. De mes journées, je fais des chansons et je bois des coups depuis à peu près mon premier album. Je vais voir des concerts aussi. Je pense que la bourgeoisie y est pour beaucoup parce que j’ai la chance de pouvoir être oisif et de faire des disques qui ne me rapportent pas une thune juste parce que j’ai un petit peu de sous de côté. C’est pour ça que je voulais mettre ce titre et me dire qu’au moins je devais avoir cette honnêteté envers l’auditeur au lieu de dire tout le temps que je suis un branleur forever. Société avilissante, je suis d’accord mais l’oisiveté peut être prise comme une forme d’inaction. Aujourd’hui, par exemple, c’est une grosse journée pour moi. Je viens te voir et ensuite je dois aller en répèt. C’est gros parce que sinon je suis chez moi à décuver de la veille donc c’est un petit peu moins… je ne vais pas dire contraignant, mais ça demande moins d’énergie.

 

Étant très anxieux, je ne sais pas si ça peut être considéré comme du développement personnel mais je fais de la méditation transcendantale. Peut-être que ce soir je vais faire une séance de neurofeedback dynamique. En soi, il y a moyen que je sois dans cette oisiveté-là aussi. Je ne suis pas un mâle alpha mais un jour je vais devenir un mascu incel, c’est mon but. Je n’ai pas encore eu le temps, je n’ai pas les couilles je crois. Ils devraient appeler ça « stage pour retrouver ses couilles ». Je ne sais pas si ce sont des mecs qui te gueulent dessus toute la journée : « ELLES SONT OÙ TES COUILLES ?! ». C’est un truc humiliant où tu avilis les gens. Il y en a qui adorent ça.
Je pense que tout le monde est paumé et ceux qui ne se disent pas paumés… Je pense à des gros cons que je connais, je dis ça en toute amitié parce que la connerie c’est le propre de l’humanité pour moi, mais les gens qui ont l’air bien droit dans leurs bottes et qui savent tout sur la vie sont généralement les plus paumés dès que tu les mets face à leurs contradictions.

Que peux-tu dire de la scène francophone actuelle ? Ton instrumentation est assez pop rock …

Il y a à boire et à manger, il y a des trucs supers et d’autres atroces. Tout m’inspire, je suis une putain d’éponge qui prend tout. J’écrivais en français avant que ce ne soit la mode, avant la vague La Femme. J’ai commencé à écrire des chansons en 2007. Il y a beaucoup de Français que je kiffe, mais je pense – comme beaucoup d’entre eux – qu’on se réfère plutôt à la scène anglo-saxonne. Je suis plus outre-Manche que Kyo. Je ne sais même pas si c’est de la désuétude aujourd’hui de faire du rock en français. Je parlais avec Marlon de La Femme une fois, je disais que je suis un popeux français à mort et lui me disait que c’était plus un rockeur mais quand je vois ce qu’il fait j’ai l’impression que c’est quand même plutôt l’inverse, surtout le dernier album. Je connais aussi Manu depuis longtemps, le bassiste de Lulu Van Trapp, je lui ai dit qu’il fallait que j’écoute son groupe mais je n’ai jamais écouté un de leurs disques en entier.
J’écoute souvent plus les chansons que les artistes mais en francophone j’apprécie les trucs un peu éculés comme Gainsbourg, Bashung, Christophe. Aujourd’hui, qui écrit bien ? Je suis assez mauvais chanteur mais on est six mecs sur scène : Romain Meaulard qui joue dans Pop Crimes, Fred Abad de Clemence Violence et d’autres groupes, Thomas Gachod de Hoorsees et mille autres choses et Hugo Rd qui est le seul musicien parmi ces personnes-là à avoir joué sur le disque. Je ne peux pas gagner le Ricard Live, ça m’emmerde. Un de nos musiciens s’est barré hier et on va le remplacer mais je l’aime. Il a fait la couverture de Gonzaï d’ailleurs ! Sa tête, c’est le pendu sur la couverture du numéro sur Mac DeMarco. C’était mon homme à tout faire : claviériste, tambourineur, guitariste. Il ne joue plus avec nous mais s’il lit cette interview, je lui fais un bisou !

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