Crédit : Roberto Frankenberg

Désormais solo depuis la mort tragique de son compère Philippe Zdar en 2019, Hubert Blanc-Francard, alias Boombass, porte la bête électronique Cassius sur ses épaules. A l’occasion de la sortie d’un Best of impeccable et efficace, on lui a demandé de revenir sur les 25 ans du groupe en classant ses albums par ordre de préférence.

Chouette, un nouveau concept sur Gonzaï ? Faute avouée parfois pardonnée, pas vraiment. Puisqu’il faut rendre à César ce qui était en sa possession, avouons que l’idée de demander à un groupe de classer ses albums ne vient pas de nous, mais du feu et excellent site Noisey France, ancienne émanation de Vice. Le média n’est plus, mais cette idée lui survit. Après Ride et Metronomy, c’est à Boombass de Cassius de se prêter à cet exercice peu évident de l’auto-analyse.

(Je lui tends une feuille avec la liste des 5 albums de Cassius et un stylo pour qu’il l’annote et fasse son classement. C’est presque immédiat. En cours d’interview, il me demandera d’ajouter l’EP The Rawkers, important dans le parcours du groupe).

6. DREEMS (2019)

Cassius - Dreems - Les Oreilles Curieuses

C’est votre album le plus récent. Il est sorti dans un moment très difficile pour vous.

HBF : Je l’ai réécouté il y a quelques temps, notamment Don’t let me be que j’ai trouvé hyper bien. Le problème, c’est que cet album est lié à un souvenir qui est aujourd’hui, heureusement, commence à s’éloigner. Mais j’ai pas réussi à apprécier ce disque. Quand tu sors un album, tu l’apprécies, tu l’accompagnes, tu le vis à fond. Sinon on ne le ferait pas. Là, ça n’a pas été possible. J’ai jamais pu le réécouter jusqu’à il y a peu. Je le classe là pour des raisons extra-musicales. C’est un bon album. J’avais encore peur que ça soit douloureux pour moi de l’écouter. Ca ne l’est plus mais je ne sais pas encore bien l’apprécier. Cet album est lié à la disparition de Philippe. Il est sorti deux jours après sa mort. On aurait dit un scénario de film de rock. Le mec qui tombe par la fenêtre deux jours avant la sortie du disque, tu ne l’imagines même pas dans un scénario dans un film des 60’s. Je le classe en dernier, mais pas pour des raisons musicales.     

Vous sortez un Best of. Vous avez réécouté tous vos albums pour en déterminer le tracklisting ?

HBF : Non. Ce que j’ai fait, c’est que j’ai demandé à des jeunes d’écouter tout ça et de me faire un retour. Des jeunes de chez Because music et de Grand Management, avec qui je travaille. Je trouvais ça marrant que ces morceaux soient sélectionnés par des gens qui n’ont pas vécu l’histoire Cassius de l’intérieur. Si je l’avais fait, je n’aurais pas eu la bonne vision. J’aurais sûrement eu une vision trop « Best of perso », alors que l’idée, c’était de faire un Best of avec des hits mais aussi d’autres tracks. Je sais d’expérience qu’en général, les Best of sont toujours réalisés par la maison de disques ou le marketing. J’aimais bien l’idée que ça soit fait par d’autres gens. Quand j’ai écouté le résultat, j’étais sur le cul. C’était pas forcément la sélection que j’aurais faites, et ce qui m’a le plus surpris – sans prétention aucune – c’est la diversité de styles qu’on a pu aborder pendant toutes ces années. Il y a bien sûr nos trois singles majeurs, mais cet objet montre aussi assez fidèlement l’image de notre histoire. Je trouve le choix des titres vraiment réussi.

« J’aime l’idée de conserver son identité française dans la langue. C’est sûrement pour ça que j’ai un accent de chiottes quand je parle anglais. J’ai envie de défendre un peu notre culture »

Aucune hésitation entre Best of et Greatest hits ?

HBF : Je vois ce que tu veux dire. Il y a quelques temps, A-Trak me dit « ça serait bien, si tu sortais un Greatest hits de Cassius ». J’avais adoré l’idée, mais ce terme de Greatest hits, c’est quand même très ricain ou anglais. Alors que le Best of – même si c’est deux mots anglais – c’est vraiment une expression qu’on utilise en France depuis des lustres pour ce type d’exercice. On l’utilisait déjà pour Michel Sardou ou Eddy Mitchell. J’aime défendre le français, de manière générale. On parle de plus en plus anglais, et c’est très bien, mais j’aime l’idée de conserver son identité française dans la langue. C’est sûrement pour ça que j’ai un accent de chiottes quand je parle anglais. J’ai envie de défendre un peu notre culture et notre langue. Le Best of, ça m’allait bien. Et puis Greatest hits, c’est génial si c’est les Stones ou Drake. Des mecs qui ont 29 tubes planétaires. Sur ces 29, les mecs peuvent en choisir 10. Dans notre cas, ça aurait moins marché, aha !

5. 15 AGAIN (2006)

15 Again, Cassius | Musique | bol

C’est le 3ème album du groupe, avant dix ans de silence ou presque.

HBF : Dedans, on trouve Toop toop que je trouve de plus en plus cool en vieillissant. Si on le compare à tout ce qu’on a fait, ce morceau, c’est un ovni. Cet album, c’est aussi un super souvenir. C’est Ibiza, c’est plein de trucs. Mais de tous nos albums, c’est peut-être celui que je pourrais le moins réécouter maintenant. C’est juste pour ça que je le place vers la fin de mon classement. Ca reste des bons souvenirs, on s’était éclaté à le faire. Heureusement qu’il y avait Toop Toop dedans. Sans ça, ça restait un disque assez expérimental, mais qui a ouvert la tournée qu’on avait fait un an après, où nous étions sept sur scène. C’était une idée de Philippe, et pour le coup, une idée impérissable.

« Au départ, le morceau était fait pour une pub potentielle d’une boisson de merde ».

On trouve dans ce troisième album « 15 again » l’idée de l’adolescence qui transparaît dans le titre mais aussi sur la pochette. 

HBF : Etrangement, il avait été plus facile à réaliser que notre deuxième, « Au rêve ». Le thème de l’adolescence était là bien avant le titre et la pochette. Quand on s’était retrouvé à Ibiza où Philippe louait une baraque à l’année – une baraque assez spartiate, en haut d’une montagne au nord-ouest de l’île, c’était le mois d’octobre – il n’y avait plus personne. Tous les bruits qu’on faisait résonnaient dans la colline. C’était un vrai truc de gamins. On avait passé trois semaines dans la montagne à faire pas n’importe quoi, mais presque. On bossait la nuit, le jour, on s’enregistrait, on mettait plein de voix, etc. Il y a eu à ce moment-là un vrai lâcher prise, une grande liberté. Nous étions partis dans toutes les directions. Pop, rock. Puis on l’avait terminé dans un studio. Le studio Plus Trente, un endroit où on allait tout le temps à Paris. C’est là aussi où est né « Toop Toop ». Cet album, on dirait aujourd’hui que c’est un objet hybride.

Après ce disque, il n’y pas pas eu de nouvel album pendant une dizaine d’années. Pourquoi ce quasi silence ?

HBF : Presque dix ans en effet. Mais entre temps, il y a quand même eu le Rawkers EP, qui a été très important pour nous. Tu peux l’ajouter dans la liste de nos albums, même si ça en est pas vraiment un. Rawkers, je le mettrai en 3 si je devais l’insérer dans ce classement (NDLR : Boombass reprend la feuille, ajoute le Rawkers, et modifie un peu son classement). L’air de rien, il est important pour nous. Finalement, notre plus grande absence en réalité c’était entre Au Rêve et 15 Again. A part « Toop Toop », qui a une vie de synchro, 15 Again n’a pas du tout marché. Cette période, c’est aussi la période où l’on quitte Virgin. On récupère tous nos clips, toutes nos bandes. En 2008, on possède toute notre musique mais on a plus de maison de disques. On se retrouve en mode indé. En 2008, faut bien comprendre que l’internet n’est pas encore un média organisé et que le streaming arrive à peine. Je me souviens même plus si ça existait déjà. Le rock, l’électronique,… On ne savait plus vers quoi aller. Tout était flou. 2008, c’est l’année où Edbanger V1 est à son summum. Nous, on sentait – non pas le moisi – qu’on commençait à être un peu sur la touche. Presque dix années s’étaient écoulées depuis l’enregistrement de notre premier LP, et ça commençait un peu à tirer la langue. On avait aussi presque 40 ans.

Remise en question ?

HBF : L’âge d’un début de remise en question, c’est sûr. Tout le merdier, quoi. Tu crois que tu vas y échapper, mais en fait, t’y échappes pas.

4. IBIFORNIA (2016)

Ibifornia - Cassius | Deezer

Un album avec énormément de featurings, comme Mike D, Cat Power, Pharrell Williams… Comment arrive-t-on à garder une cohérence globale sur un projet où il y a autant de feat ?

HBF : Je crois que nous n’étions pas vraiment parvenus à la garder, cette cohérence. Ibifornia, c’est un peu notre Au Rêve 2. On avait mis presque trois ans à le faire, comme Au Rêve. Avec une différence de taille, c’est qu’on était resté beaucoup moins enfermés pour Ibifornia que sur Au Rêve. Parce qu’on n’avait plus la même vie qu’en 2002. Au bout de quelques mois de fabrication, Ibifornia est devenu un monstre d’arrangements, de sons… Philippe expérimentait énormément sur cet album. Notamment des trucs de mix, que je kiffe aujourd’hui, mais à l’époque je ne comprenais rien. Ca va loin cet album. C’est impassable en radio par exemple. Et le son est très dense. Il y a des milliards de réverbs, de l’analogique dans tous les sens. C’est un mélange de 1982 et de 2016. Et qui sera, comme me le disent certains, beaucoup plus compréhensible dans 3 ou 4 ans. Quand  je dis compréhensible, je parle notamment des arrangements qui sont hyper fournis.

« Des mecs comme Pharrell n’ont pas le temps et sont super efficaces. Ils travaillent vite. Ils ont leur programme du jour. Le lendemain, ils peuvent avoir un show gigantesque, une émission de télé nationale, voire un autre feat dans un univers complètement différent. Moi, je ne peux pas vivre comme ça. »

Je me souviens d’un album ultra dense, à écouter sur des très bons systèmes sonores, voire audiophiles. Je l’avais découvert dans le studio Motorbass, mais quand je le repassais chez moi, ça fonctionnait un peu moins.

HBF : C’est ça. Parce qu’il n’a pas du tout été conçu – et c’est ce qui à l’époque m’a rendu fou – pour le téléphone ou pour des enceintes d’aujourd’hui. Et – encore une fois – il y a dessus une débauche d’arrangements. Philippe et moi, on était bons, mais on était pas non plus des arrangeurs traditionnels. Et ça s’entend sur cet album je trouve. C’était aussi un moment où, une nouvelle fois, on avait acheté pas mal de matériel. Des nouveaux synthés, etc. Ce qui fait qu’on a fini par remplir l’album jusqu’à la gueule. D’autant qu’il y avait aussi tous les effets liés au studio lui-même. Ibifornia, c’est une espèce de plat de pâtes de fou.
Ce qui par contre est hyper important dans cet album, c’est la rencontre avec Ryan Tedder, Mike D (membre des Beastie Boys, Ndr) et Chan Marshall (Cat Power, Ndr). Humainement, ça a été très fort avec tous ces gens qui ont participé à cet album. C’est grâce à Philippe par exemple que je suis devenu hyper copain avec Mike D. Et avec Ryan Tedder, qui fait de la musique complètement différente de la nôtre, mais qui correspond à mes fantasmes d’ado quand je voyais sur les pochettes américaines des mecs qui faisaient tout de A à Z. Il a son groupe OneRepublic qui cartonne. Et à côté de ça, c’est un songwriter. En le regardant bosser, j’ai appris énormément. Là où Philippe et moi passions des heures à nous prendre la tête sur des détails, lui peut t’écrire un truc en 15 minutes. Leur manière d’aborder la musique, qui n’est pas du tout une manière poétique, m’a totalement décomplexé. On avait aussi vu ça avec Pharrell. Des mecs qui n’ont pas le temps et qui sont super efficaces. Ils travaillent vite. C’était leur programme du jour. Le lendemain, le gars peut avoir un show gigantesque, une émission de télé nationale, voire un autre feat dans un univers complètement différent. Moi, je ne peux pas vivre comme ça. Je peux pas être aussi spontané. Cette spontanéité, elle correspond aussi à l’époque. Déjà, en 2016, passer deux ans à faire un disque, c’était anachronique. Il n’y a plus beaucoup de monde qui écoute religieusement son disque comme on le faisait dans les années 70, 80 ou 90. L’époque où tu découvrais un album à plusieurs, assis autour des enceintes, c’est fini.

3. THE RAWKERS EP (2011)

The Rawkers Ep: Cassius: Amazon.in: Music}

Tu as voulu insérer cet EP dans le classement. Pourquoi ?

HBF : Comme je te le disais, c’est le EP de la relance. Etrangement, on le fait hyper hyper rapidement. Sans autre idée que de faire de la musique sans penser à ce que ça va donner ou devenir. Sans idée d’EP ou d’album, donc. Juste faire des morceaux. On n’avait pas de label, rien. On avait monté une entité appelée Cassius records. Je sais pas pourquoi. A ce moment-là, on avait déjà deux boîtes chacun. Pour la première fois, on avait donc une boîte en commun, ce qui nous a bien fait perdre 20 000 balles. Personne pour nous driver. Du coup, au lieu de faire 10 soirées à Ibiza comme prévu, on en faisait qu’une, etc. Bref, peu à peu, on est rentré dans le sommet de l’autre merdier, le financier, mais toujours en se marrant. C’est à ce moment qu’est arrivé I <3 U So, qui nous a remis sur les rails accidentellement. Au départ, ce morceau était fait pour une pub potentielle d’une boisson de merde. C’était fait sans réfléchir. Pedro Winter ne l’avait même pas dans notre première proposition pour Edbanger. Tout est arrivé un peu par hasard. Finalement, quand j’y réfléchis, je me dis que ce qu’il s’est passé pour « I <3 U So » et The Rawkers ressemble beaucoup à ce qu’il se passe pour moi depuis septembre avec le Best of, les JO, le docu sur DJ Mehdi. Quand j’ai lancé l’idée de ce Best of en février dernier, je ne savais pas tout ça. J’avais juste dans l’idée de sortir un truc en 2024.

Tes planètes sont à nouveau alignées ?

HBF : J’ai l’impression. Pour le docu sur Mehdi, le tournage de mon interview a eu lieu il y deux ans. Dans ma tête, c’était pour Arte et je me disais « Bon, on va parler de Mehdi, ça risque d’être un objet underground, ce docu ». J’étais en pleine dépression à ce moment-là, et j’ai très vite oublié mon interview. Le docu est sorti une semaine après l’utilisation de notre musique aux JO… Là, je retrouve actuellement l’énergie qui était la nôtre au moment de The Rawkers, il y a déjà 14 ans. On se lance dans un deuxième cycle.

« J’étais en pleine dépression et j’avais transformé mon appart en entrepôt Amazon. Il y avait des cartons partout, je passais mon temps sur Discogs ou à cleaner des vinyles.»

Puisque tu évoque les cycles, faisons une petite incise. Il y a quelques semaines, tu as vendu pendant une journée dans un magasin de disques parisien une grosse partie de ta collection personnelle de vinyles. Ca a été difficile, émotionnellement ? 

HBF : Non. C’est vrai que ces morceaux de plastique sont parfois aussi des morceaux de vie. J’avais commencé en 2021. Je faisais des collector packs, un truc sur lequel j’avais passé un temps fou à me prendre la tête. Plus de 6 mois à me demander comment faire. J’étais alors, sans trop le savoir, en pleine dépression et ça m’occupait. J’avais transformé mon appart en entrepôt Amazon. Il y avait des cartons partout, je passais mon temps sur Discogs ou à cleaner des vinyles. Au départ, c’était un peu difficile pour moi. Et en même temps, j’adore l’idée de transmettre. Depuis 4 ou 5 ans, j’ai envie de transmettre tout ce que j’ai pu apprendre vivre et savoir. J’ai commencé par écrire mon livre (NDLR : Boombass. Une histoire de la french touch (Editions Léo Scheer)). Pour mes vinyles, c’était un peu différent. Il faut savoir que les 2/3 étaient dans un garde-meubles, parce que ça prend beaucoup beaucoup de place. Et je déménageais souvent. Au bout d’un moment, t’en peux plus. Je ne voulais pas garder ces disques qui dormaient et que je connaissais par coeur. A chaque fois que j’en remettais un sur la platine, je me disais « Merde, je vais quand même pas le vendre ». Et puis, très vite je me disais, « Mais si. Parce que je le connais par coeur ». A chaque fois, ça me rappelait aussi beaucoup de souvenirs, avec mes amis, mes enfants… Et il y a un moment dans la vie où les souvenirs, tu les portes en toi. T’as plus spécialement besoin d’être avec eux matériellement. La vie passe, et je ne suis pas passéiste. Mes packs avaient cartonné. Il me restait encore 2000 disques à écouler et je me voyais pas refaire ce système de packs. Il se trouve que Grand Management, chez qui on fait cet entretien aujourd’hui, a monté entre temps un magasin qui s’appelle Hark. J’ai proposé au patron de venir une journée pour vendre le reste de mes disques.

Aucune hésitation à le faire ?

HBF : Mon premier doute, il a été financier. Je me demandais si je n’allais pas perdre une fortune. Et puis j’ai réalisé le travail que ça représentait. Le travail de préparation, la manutention, une société où quand tu vends 100 euros il ne te reste pas du tout 100 euros… Je me suis lancé et j’ai kiffé comme jamais. Il m’en reste encore 1000 chez moi, en Normandie, et je le referai probablement. Même si c’était épuisant. Grand Management a tout préparé, tout « stické », listé, etc. A 10h30, il y avait la queue devant le magasin. On a vendu de 12h30 à 19h. J’étais à la caisse. Tout est parti et c’était génial. J’avais ce fantasme d’avoir un magasin de disques. Je ne le réaliserai jamais parce que si j’avais un jour un magasin, je le coulerais en quelques jours en donnant tout. Je ne me compare évidemment pas à eux, mais je revois l’époque où j’aurais kiffé d’aller acheter des disques chez DJ Premier ou Jimmy Page, aha. Ca crée un lien. Un lien assez vrai. Tu suis un artiste, et le mec ne te vend pas une chaussette ou un tee-shirt de tournée, mais une partie de sa collection de disques. Je trouvais l’idée cool. C’est des disques qu’on a achetés, samplés, écoutés,… Ca matche aussi avec mon envie de transmettre les choses. Faire un tri, c’est aussi assez sain. Tu ne peux pas vivre en permanence avec tous tes souvenirs.

2. AU RÊVE (2002)

Au rêve: Cassius: Amazon.fr: CD et Vinyles}

Il nous reste vos deux premiers albums. Le deuxième en deuxième ? C’est d’une logique implacable.

HBF : C’est notre deuxième album en effet. Même si on s’en rendait pas compte sur le moment, c’est un disque fondateur. On sortait du premier album. Il avait marché. On avait un contrat de malade qui nous permettait d’avoir pour Au Rêve une avance énorme parce qu’on avait dépassé un certain nombre de ventes et que le contrat prévoyait ça. Du coup, on avait pu acheter beaucoup de matos. La moitié de ce que tu trouves au studio Motorbass et de ce que j’ai chez moi, on l’a acheté à ce moment là. C’était notre période « caverne Ali Baba ». Pour Au Rêve, on avait plein plein de nouveau matos qu’on avait jamais utilisé. Comme on a voulu tout utilisé, on a mis 2 ans et demi pour le faire ! Musicalement, on quittait le sample pour se lancer dans l’arrangement. On aurait peut-être d’ailleurs du faire un sample traditionnel avec une boucle pour faire le lien entre le premier LP et le deuxième. J’ai pas de regrets dessus même si on l’a peut-être un peu trop arrangé.

« L’argent a permis de créer le studio Motorbass qui est quasiment devenu le troisième membre de Cassius, vu tout ce qu’il se passait dedans. »

En vous parlant, on se rend compte que l’évolution technologique et les moyens financiers ont joué un rôle important dans l’évolution de Cassius.

Evidemment. Vital, même. L’argent a permis de créer le studio Motorbass qui est quasiment devenu le troisième membre de Cassius, vu tout ce qu’il se passait dedans. Mais la technologie a été hyper importante. L’arrivée des plugs-in par exemple. La technologie, ça a de toute façon toujours été important dans la musique. Prends Jimi Hendrix. Tu peux te dire « Putain, mais comment il a ce son ? ». Mais à l’époque, il n’avait pas du matos vintage. Il avait ce qu’il y avait de mieux. Les meilleures pédales, les meilleurs amplis. Après il mettait tout ça dans le rouge, et les mecs disaient « Waouh, c’est fou ». Je me suis toujours dit qu’il fallait qu’on fonctionne comme ça, qu’on utilise les trucs fabuleux des années 50, 60, les micros etc, mais aussi la technologie du moment parce qu’on faisait de la musique électronique.

1. 1999 (1999)

1999: Amazon.com.be: CD et Vinyles

Votre album préféré est donc votre tout premier. Impossible d’en parler sans évoquer la French touch. Est-ce qu’elle vous influence ou c’est vous qui l’influencez ?

HBF : Toute la génération de cette période – Daft Punk, nous, Air, Phoenix, Gilb’R, désolé j’ai pas tous les noms en tête mais on était une dizaine de potes -, on va dire entre 97 et 2002, était bouillonnante. Je ne crois pas que Cassius était influencé par la French touch. Je rentrais de New York, je baignais dans le hip-hop et dans les débuts de la découverte de la House. Philippe, lui, venait de terminer Motorbass. On avait aussi fini les deux albums qu’on avait fait avec MC Solaar. C’était la fin d’une histoire et ça me foutait un peu le cafard. Histoire de tourner la page, on avait réservé un studio et on voulait juste faire de la musique, pour nous. On pensait à rien. De mon côté, j’accélérais tous mes tempos parce que j’en avais marre des tempos du rap. Philippe, lui, écoutait déjà de la speed. On a mélangé tout ça et cet album est né. Musicalement, je ne dirai pas que c’est notre meilleur. Mais c’est sans aucun doute le plus spontané. Comme le sont souvent les premiers albums.   

C’est très variable, car certains groupes portent leur premier LP pendant des années.

HBF : Je pense qu’on le portait en nous, mais sans jamais savoir qu’un jour on ferait un disque ensemble. Cet album, c’est le résultat de notre travail avec MC Solaar et des frustrations de la fin de l’histoire. J’étais aussi déçu de la manière dont le rap commençait pour moi à tourner un peu en rond. Je voyais les recettes derrière les samples. Dès qu’il commence à y avoir des codes, je me sens enfermé. A un moment, il fallait que toutes les prods soient faites avec une boîte à rythmes  SP-12, dans tel tempo, etc. Et ça devenait chiant. Alors qu’on avait toujours aimé expérimenter. D’un seul coup, passer à 133 BPM au lieu de 90, c’était une bouffée d’air frais. D’autant que Philippe découvrait aussi à ce moment-là la liberté de ne pas être qu’au son. Ce disque a changé nos vies. Ni plus, ni moins.

Crédit : Pedro Winter

 

Ce disque, c’est pas un premier succès pour vous, mais c’est la première fois que vous êtes devant et pas dans l’ombre.

HBF :  Bien sûr. Notre morceau 1999 cartonne. Il se retrouve – je crois – 7ème en Angleterre. Mais le souvenir fabuleux que j’en garde, c’est que ce succès nous a ouvert toutes les portes. Que ça soit au niveau DJ, au niveau producteur. Ca allait bien au-delà d’une simple hype que je connais aussi. Là, il y avait un vrai truc, puisqu’aujourd’hui, on m’en parle encore. C’était allé très vite, et sans qu’on s’y attende. Je peux le dire, je crois qu’on avait pris la grosse tête à ce moment-là. On va dire qu’on n’avait pas l’habitude, et que ça faisait partie du jeu.

Après ce Best of, quelle suite envisages-tu pour Cassius ?

HBF : La suite ?… J’ai encore un dernier blocage avant de pouvoir renaître. Ce blocage, très bizarrement, c’est la musique. C’est un truc de fou, mais je ne fais que de la merde. Ca ne m’est jamais arrivé dans ma vie, mais le fait de me retrouver réellement sans filet, ça me bloque. Sortir un Best of, rejouer des anciens morceaux de Cassius, ok, c’est pas un problème. Mais pour faire de la musique, des nouveaux morceaux, créer, il faut que je parvienne à me débarrasser de ce blocage. Pour ça, il faut que je m’entoure de gens avec qui je pourrai échanger sur la création d’un morceau. Pour reprendre confiance, il faut que je m’entoure. De plusieurs personnes. Ce regain de confiance, je l’ai eu en 2019 en sortant l’EP Le virage sous mon nom, Boombass. Il y avait notamment ce morceau, Pour que tu. Et après il y a eu l’album WWWIPEOUT, avec Mathieu. Mais c’était sous mon nom, et ça n’engageait que moi. Avec Cassius, c’est plus compliqué. Même si j’ai bien conscience que c’est moi seul qui alourdis la charge mentale.

Je me dis « Si c’était arriver aux Daft, qu’aurait fait le survivant ? ».

Qu’est ce qui pourrait être le déclic ?

HBF : Je me sens pleinement légitime pour continuer, mais il faut que je trouve le truc qui me permettra d’avancer. J’en suis parfois à me dire qu’il faut que je fasse une modif sur le logo. Par respect du travail fait avec Philippe. Quand je réfléchis à tout ça, j’essaye de me mettre dans la peau d’un autre mec qui aurait vécu la même chose. Je me dis « Si c’était arriver aux Daft, qu’aurait fait le survivant ? ».

C’est un peu l’histoire du New Order après la fin de Joy Division.

HBF : C’est ça. Mais ce qui va me débloquer, je crois que c’est vraiment un élément extérieur. Il faut que je fasse de la musique à plusieurs. En me mettant peut-être un peu en retrait pendant le processus de création, mais en orientant le truc pour le faire atterrir au mieux. Le plus difficile à faire, c’est d’arrêter de penser comme on faisait avant, avec Philippe. Sinon, ça va me miner car je ne retrouverai jamais cette façon de faire. Il faut que je me crée un nouvel espace, une nouvelle team. Quelque chose qui m’excite et me donne envie de me dépasser. Je ne veux pas devenir Rick Rubin, mais fonctionner en mode « un kid + un vieux », ça pourrait être pas mal par exemple. La cote d’amour sur Cassius a toujours été forte et elle est toujours là. Je sais que si je prends mon téléphone demain pour proposer un projet à quelqu’un, il sera probablement content de venir dans un studio.

CASSIUS – Best Of (Because)  

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