L’art conceptuel n’attire pas les foules. Et si certains artistes du mouvement ont réussi à acquérir une vraie street cred’, Stanley Brouwn n’est pas de ceux-là. L’homme fuit les mondanités et continu à produire discrètement une œuvre radicale et sans concession. Une exposition de son travail n’aura pas lieu cet été en France. C’est donc l’occasion de revenir autrement sur une pratique artistique qui nous change du vieux poster de Matisse accroché dans la cuisine.
Stanley Brouwn est l’un des derniers acteurs du mouvement conceptuel, un mouvement qui a émergé dans les années soixante d’une radicalisation du courant minimal et de la préoccupation des artistes pour la nature de l’œuvre d’art et ses conditions d’exposition. L’œuvre de Brouwn est construite à partir de mesures qui se rapportent toujours à un objet réel. Un portait réalisé par l’artiste prendra la forme d’une fine règle de métal posée sur une table à tréteaux. Cette règle de métal aura la même taille que la personne. Simplement posée sur cette table, la règle est une abstraction pure de l’individu, elle est pourtant, en même temps, un présence intense. Elle nous confronte à une donnée physique réelle, on se trouve là comme devant un corps endormi ou gisant.
Ses portraits d’espaces se présentent comme des suites de mesures simplement énoncées ou réunies dans des livres sobre et modeste. Là encore, avec des moyens d’une infini simplicité, Brouwn parvient à rendre visible notre rapport à l’espace. En ne donnant que les mesures, il oblige à un effort de visualisation qui nous donne alors une mesure de ce qui nous environne. Il nous pousse à nous interroger sur nos coordonnées dans l’espace : quelles sont les dimensions de la pièce dans laquelle je suis assis ? Comment serait cette pièce si elle était un mètre plus profonde ? Un mètre plus basse ? Si les architectes vivent avec ces questions, nous nous les posons bien plus rarement. Les espaces dans lesquels nous évoluons sont des structures que nous ne questionnons pas, le plus souvent parce que nous ne les voyons même pas.
Pourtant ces mesures jouent un rôle dans notre manière d’exister. Nous avons tous, de manière animale, une distance de sécurité. C’est la distance à partir de laquelle un inconnu devient menaçant, non pas à cause de son attitude mais simplement par sa proximité. Cette distance n’est pas la même dans une grande ville et dans une zone rurale. De même, la distance qui signifie l’intimité est codifiée avec précision chez les animaux comme dans toutes nos cultures, elle diffère si je suis à Kyoto ou à Madagascar. Le monde est codé, souvent à notre insu, quadrillé par des frontières que nous franchissons inconsciemment à chaque instant.
Pour son arpentage du réel, Brouwn utilise diverses unités de mesure, le mètre, le pied anglo-saxon ou d’autre plus étranges tel le royal cubit, une ancienne unité de mesure égyptienne.
Par cette variation, il rappelle que nos références sont également des choix, des conventions culturelles, économiques et politiques. La mise en place du mètre étalon, au moment de la révolution française, visait certes à unifier le territoire par l’adoption d’une mesure commune, mais le mètre venait également remplacer le pied, dont l’étalon symbolique était le propre corps du roi.
Cette manière de s’inscrire dans le réel est encore une préoccupation de Brouwn qui veille avec un soin parfois maniaque à la présentation de son travail. Il refuse en effet de commenter son travail artistique. Il interdit pareillement tout discours ou reproduction de son travail. Un malentendu sur cette question a provoqué récemment l’annulation d’une des premières expositions majeures de son travail en France, quelques jours seulement avant son vernissage. Ces positions radicales reviennent souvent chez les artistes conceptuelles. Leurs œuvres sont avant tout des propositions, des idées mises en forme pour interroger la définition de l’œuvre d’art, sa fonction. Elles viennent donc souvent remettre en question la galerie, le musée, le spectateur ou l’artiste lui-même.
À partir du moment où une œuvre repose sur la tension subtile entre une idée et un spectateur, la présentation et la transmission de cette idée revêtent un caractère central. Pour un tableau, il s’agira de bien l’éclairer, pour une idée il s’agit de la transmettre au mieux, dans son contexte. La volonté de Brouwn d’écrire son propre nom sans majuscule pourrait sembler aujourd’hui une coquetterie de graphiste, elle prend cependant un sens différent dans le contexte des années soixante et soixante-dix, quand ce choix était moins une marque d’égocentrisme, mais un signe d’abandon, le rejet d’une autorité absolu de l’auteur. L’artiste conceptuel est un artiste du peu, un homme du retrait. Le paradoxe est qu’il doit souvent imposer cette position, qu’il doit défendre ses gestes pour que ceux-ci restent en surface, discret mais visible.
Stanley Brouwn avait participé à l’exposition Vides du centre Pompidou qui réunissait un ensemble d’artistes ayant dans leur carrière proposé un espace vide comme exposition. L’œuvre de Brouwn réalisée pour l’exposition est mentionnée dans le sommaire du catalogue, mais ne renvoie à aucune page. L’artiste apparaît en creux. Le sommaire mentionne simplement l’existence de deux œuvres : un espace vide dans le Centre Pompidou et un espace vide à la Kunsthalle de Bern. Plutôt que de recouvrir le travail par un discours, l’artiste ramène simplement notre attention sur l’espace dans lequel nous évoluons.
De la même manière, il ne sera pas possible de voir cet été le travail de Stanley Brouwn en France, mais rien n’empêche d’en sentir l’influence. L’institut d’Art Contemporain de Villeurbanne proposera cet été une exposition intitulé Dimensions Variables, dont les œuvres et les artistes étendent ces perspectives ouvertes par Stanley Brouwn, une manière comme une autre de prendre la mesure de son travail.
En partenariat avec La Gaîté Lyrique, sur http://www.gaite-lyrique.net/gaitelive
4 commentaires
stanley brouwn… sans majuscule. stanley brouwn… sans majuscule. stanley brouwn… sans majuscule…
c’est justement là toute la question. ne serait-ce pas faire preuve de cette même absence de libre-arbitre que pointe le travail de stanley brouwn que de s’astreindre à la même gymnastique syntaxique que lui? ne serait-ce pas justement empiéter sur un terrain qui est le sien et pour le coup faire basculer dans l’afféterie une posture qui est politique parce qu’elle est singulière ?
Si toutes ces expositions dont il est fait la rétrospective ont en commun d’avoir fait le choix du vide, elles se différencient par la signification qu’elles lui attribuent. D’Yves Klein à Roman Ondák, en passant par Robert Barry, Art & Language ou encore Maria Eichhorn, chacun des artistes présentés illustre, de différentes manières, souvent complémentaires, le désir de travailler le vide.
Cette manière de s’inscrire dans le réel est encore une préoccupation de Brouwn qui veille avec un soin parfois maniaque à la présentation de son travail. Il refuse en effet de commenter son travail artistique. Il interdit pareillement tout discours ou reproduction de son travail. Un malentendu sur cette question a provoqué récemment l’ annulation d’une des premières expositions majeures de son travail en France , quelques jours seulement avant son vernissage. Ces positions radicales reviennent souvent chez les artistes conceptuelles. Leurs œuvres sont avant tout des propositions, des idées mises en formes pour interroger la définition de l’œuvre d’art, sa fonction. Elles viennent donc souvent remettre en question la galerie, le musée, le spectateur ou l’artiste lui-même.