Juste après l’affaire de la sex tape de Griveaux, qu’on n’a d’ailleurs aucune intention de commenter ici parce que tout le monde s’en branle (c’est le cas de le dire), vous avez sûrement pu constater comme moi qu’un grand nombre d’individus sur les réseaux s’auto-proclamaient « critiques d’Art » en donnant un avis, forcément avisé, sur l’artiste russe Piotr Pavlenski.

De faits d’armes en faits divers, Piotr Pavlenski interroge nos sociétés, nos consciences, et les médias soumis au pouvoir, sur la liberté d’expression et la liberté de conscience. Il repousse quelques limites sans jamais vraiment les transcender, arrive à choquer le bourgeois avec une bonne dose de ce mauvais goût punk qu’on retrouvait chez le Coum Transmission de Genesis P-Orridge et Cosey Fanni Tutti dans les années 70.

Après un bref passage aux Beaux Arts qu’il trouve trop soumis au pouvoir et à des dogmes qui ont tendance à émasculer l’artiste et à le rendre inoffensif il décide de se lancer dans l’expression plastique en faisant de son corps son outil, son arme et son média. Ses performances visuellement rudes ont tendance a excéder les pères la pudeur de nos sociétés encadrées et rythmées par un flux médiatique abrutissant, un esprit consumériste mortifère et un joug capitaliste ultra libéral qui domine le monde sans autre forme de partage. Ce natif de Leningrad, né en 1984 (on ne pouvait pas mieux faire niveau symbole si on se réfère à Georges Orwell et son célèbre roman), a fait ce qu’il fallait depuis 2012 pour provoquer l’ire de Vladimir Poutine en se clouant les testicules sur le parvis du Kremlin, en se cousant les lèvres pour protester contre l’arrestation des Pussy Riots, en s’enroulant nu dans du barbelé pour dénoncer l’homophobie, en incendiant la façade de l’ex-KGB et en prenant peu à peu de l’ampleur dans les milieux les plus extrêmes de l’Art et de la contestation. Après de brefs passages en prison en Russie et en France (après avoir mis le feu à une annexe de la Banque de France) Piotr Pavlenski fait tout ce qu’il peut pour attirer sur lui le feu des projecteurs, certes il n’invente rien mais il perpétue une forme d’agit prop hardcore, quelque part entre le happening et une forme de technique de mobilisation de l’opinion publique comme cela se pratiquait en U.R.S.S. et dans les pays socialistes au siècle dernier pour d’autres raisons et avec d’autres finalités.

Dans la France socialement atomisée d’aujourd’hui, à l’aune de l’ego roi qui rend toute forme de communication quasi impossible sur le web, avec l’invective incessante – cette forme de communication souvent hostile à toute forme d’intelligence et de pensée raisonnablement argumentée – il y a encore beaucoup trop de rigolos qui se la jouent arbitres de l’élégance ou donneurs de leçons sur des tas de sujets dont ils ne maîtrisent à peu près pas grand chose. Certes, qu’on se pose la question de savoir si tel ou tel artiste fait de l’Art ou pas n’est pas très nouveau en soi. Sauf que nous sommes en 2020 et que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis les grottes de Lascaux. Mais si t’as vraiment rien à d’autre à faire de ta life et que toi aussi tu trouves légitime de te poser ce genre de questions primordiales pour ta survie de primate technologique, la moindre des choses c’est de ne pas oublier que l’Histoire de l’Art a depuis longtemps réglé ces raisonnements existentiels sur ce qui est de l’Art ou ce qui n’en est pas.

La grande question, à savoir si telle ou telle forme d’expression rentre dans le champ de l’Art ou n’est pas digne d’y figurer, se confine à un débat ludique si l’on possède un minimum de connaissances en Histoire de l’Art.

Ça me fait bien marrer qu’on se pose ce genre de questions en 2020 alors que tout un chacun de nos jours se prétend « artiste », mais on pressent bien que les attaques ad hominem contre la légitimité artistique d’un Piotr Pavlenski sont motivées par une forme d’incompréhension, pétrie de conformisme bourgeois et d’inculture crasse. La grande question, à savoir si telle ou telle forme d’expression rentre dans le champ de l’Art ou n’est pas digne d’y figurer, se confine à un vieux débat un peu stérile qui peut s’avérer fort ludique si on possède un minimum de connaissances en Histoire de l’Art. On ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu de multiples mouvements qui ont révolutionné le monde des Arts depuis Le Salon des Indépendants (1884), Filippo Tommaso Marinetti et son Manifeste Futuriste de 1909, Le Salon d’Automne qui lança le Cubisme (1911), Marcel Duchamp (quand celui-ci expose son « Nu descendant un escalier » en 1913, l’immense majorité des galeristes et des amateurs d’Art crient au scandale). Et puis sont arrivés le Bauhaus de Walter Gropius, l’Abstraction, les Actionnistes viennois, Antonin Artaud et Le Théâtre et Son Double, Georges Maciunas et Fluxus, les Happening des années 50, le Living Theatre, Joseph Beuys, Gina Pane et le Body Art, Andy Warhol et le Pop Art, Jackson Pollock, l’Art Visuel et l’Art Numérique… Bref ça fait plus d’un siècle que l’Art ne se cantonne pas à ce qui rentre dans le cadre d’une peinture. Il a explosé sous toutes les formes possibles depuis que l’humain est entré dans l’ère industrielle.

Résultat de recherche d'images pour "Manifeste Futuriste de 1909,"Pour répondre à cette pauvre prof d’Arts Plastiques qui pourfendait Pavlenski sur la page Facebook du Monde, avançant que ce que faisait le performeur russe n’était pas de l’Art, j’ai eu envie de faire remonter une citation témoignant de l’absurdité de ce genre d’assertion. En 1911, suite au Salon d’Automne à Paris, le peintre Albert Gleizes racontait les réactions des visiteurs dans la salle VIII dédiée aux cubistes : « La plupart des journaux nous houspillaient avec une violence peu commune, la critique perdait toute retenue et les invectives pleuvaient. On nous accusait des pires intentions, de chercher le scandale, de nous moquer du public, de vouloir nous enrichir vite au détriment des snobs, on nous chargeait de tous les péchés (…), on nous vouait aux gémonies. Le grand grief qu’on nous faisait était celui de l’illisibilité ; on prétendait ne rien voir dans nos tableaux. Cela nous valut l’excommunication majeure de la part de la critique et du public. »1

En 2020 la connerie est mille fois plus contagieuse que le coronavirus.

Le surréaliste André Breton écrit son premier manifeste en 1924 et le deuxième en 1930. Dans les années 30 les réactions envers ce mouvement artistique sont à leur comble, lors de l’ouverture du Bar Maldoror à Montparnasse des surréalistes et des dissidents se foutent sur la gueule violemment et René Char est blessé d’un coup de couteau. Lorsque L’Age d’Or de Luis Buñuel passe dans un cinéma de Paname des manifestants d’extrême droite saccagent le cinéma et les tableaux qui y étaient exposés. En 1937 Antonin Artaud est interné en hôpital psychiatrique et l’année suivante Dali est exclu du mouvement.

Résultat de recherche d'images pour "Dali 1938"Les profanes qui se tripotent la nouille sur l’Art sans rien connaître de ses paradoxes, et qui savent peu de choses sur son évolution, ses divers courants conceptuels, ses postulats, ses manifestes, ses perceptions et ses différentes écoles de pensée, feraient mieux de continuer à regarder Netflix et de s’occuper de ce qui les regarde. Une chose est sûre chers lecteurs : en 2020 la connerie est mille fois plus contagieuse que le coronavirus. Et il n’y a jamais eu de vaccin pour se prémunir des cons. Que ça plaise ou pas aux lecteurs du journal Le Monde, Piotr Pavlenski s’inscrit bien dans un mouvement artistique nourri de Fluxus, du Happening, des actionnistes viennois, de Gina Pane et d’une forme d’anarchisme russe qui dérange profondément dans nos contrées, et que l’on aime ou pas ses actions c’est bel et bien un putain d’artiste, une sorte de GG Allin ou de Jean-Louis Costes qui aurait réussi. Oui, depuis Marcel Duchamp le monde de l’Art nous prend pour des cons, mais je préfère mille fois un sociopathe comme Pavlenski qu’un Paul McCarthy avec son plug anal du Louvre ou que tous ces ineptes décorateurs de rond points que sont Jeff Koons, David Hockney ou Takashi Murakami.

1 Albert Gleizes, extrait du texte « Le Salon d’Automne de 1911. La Salle VIII » dans Souvenirs : le Cubisme 1908-1911, Ampuis, 1997 p. 20-24.

14 commentaires

  1. Gloubiboulga indigeste pour nous convaincre que Pavlensky est un artiste, et franchement même s’il en est un
    on s’en fout.
    C’est la théorie défendue ici qui fait rire : le scandale serait l’échelle de valeur artistique suprême.
    Et le name dropping pour convaincre que oui il y a d’autres scandales ont ont fait « L’Histoire de L’art »,
    merci du renseignement on avait pas remarqué.
    Combattre les clichés par d’autre clichés ça s’annule.
    Puisque que vous parlez de connerie, je vous conseil de lire « L’idiotie » de Jean-Yves Jouannais qui porte sur la connerie assumée dans l’art et vous découvrirai que Paul McCarthy n’as pas fait que du plug annal.
    bonne semaine

    1. Convaincre ? non du tout, juste rappeler quelques faits de l’Histoire de l’Art pour les Nuls.
      Écrire pour convaincre c’est totalement vain à notre époque ou tout le monde est spécialiste de tout, c’est déjà bien de tenter d’éclairer quelques lanternes de personnes qui n’ont parfois – malgré elles- pas toutes les clefs pour comprendre ce que signifient ces performances un peu crues et subversives des artistes précités, mais sans aucune autre intention de ma part que celle de la pédagogie (ce que toi tu nommes « name dropping » c’est une suite d’exemples dans l’idée de donner envie au lecteur de googleliser et de se renseigner par lui même). Je ne suis pas politicien, je m’en bat les couilles que les gens soient convaincus ou pas, je voulais réagir à beaucoup d’absurdités lues de ci de la, c’est fait. Aucune théorie n’est défendue ici, c’est juste factuel. Et comme tu n’es pas le centre du monde dans ton savoir immense je me suis adressé au lecteur lambda, celui qui n’as pas forcément toutes les données sur ce sujet, et j’ai tenté d’éclairer un tout petit peu la lanterne des personnes qui n’ont peut être pas tous les éléments historiques pour comprendre de ce que l’histoire de l’art juge digne ou pas de mériter la dénomination d’ARTISTE. Je fais un constat pas un manifeste. N’étant pas friand de la pensée kleenex de Twitter ni de ses « 280 signes » j’ai préféré développer un chouia, mais si cette mise au point pourtant succinte t’a parue trop indigeste prends du Maalox ou une tisane. Je suivrai ton conseil pour le livre de Jean-Yves Jouannais mais je dois d’abord finir celui de Jean Clair « L’Hiver de la culture » sur l’escroquerie de l’Art contemporain car ce n’est pas parce que je relate brièvement l’historicité de ces mouvements que je cautionne leurs concepts. Pour moi depuis Marcel Duchamp l’Art est mort définitivement. Nous sommes entrés il y a 100 ans dans le Post-Art, c’est juste autre chose.
      *Anal prend un seul « n » comme « Anus ».
      Bisous

      1. c’est toi alors qui m’a mis la note de 12 sur 10 ou 57 etoiles sur 55 sur le site de vente de cravates , tu t pas encore achete le tabouret ?

  2. Non seulement je ne suis pas le centre du monde mais en plus j’ai pas écrit l’article.

    Je suis comme tu dis le lecteur lambda (qui fait des fautes) mais pas forcement inculte ou limité à 280 signes.
    Mais tu prends l’histoire de l’art officielle comme l’alpha et l’oméga de ta démonstration,
    bof pas vraiment pertinent.
    Puisque tu parles pharmacopée ; arrête les laxatifs pour éviter une diarrhée textuelle sans intérêt.
    Ah oui pour une lecture confortable fait des paragraphes.
    bien à toi

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