Les personnages les plus nucléaires de la bande dessinée sont de retour dans "Les Practiciens de l’infernal tome 2"  et comme une catastrophe bienheureuse n’arrive jamais seule, Pierre La Police s’expose à Aix-en-Provence dès début avril. Pour l’occasion, le père des mutants Thémistecle et de Fongor Fonzym revient sur… Il revient.

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Vous avez déclaré que vous aviez du mal avec vos travaux passés : « j’en perçois toutes les maladresses et j’aimerais tout corriger. » Avec le temps, cette impression s’est accentuée ou au contraire, réduite ? 

C’est quelque chose que j’ai remarqué avoir en commun avec de nombreux artistes. Mon travail a évolué, c’est normal, tout comme le regard que je porte dessus. Cette impression concerne surtout ma production antérieure aux dix dernières années mais peut-être que dans dix ans mes travaux actuels me donneront envie de les brûler au lance-flammes.

Je crois d’ailleurs que Les Praticiens de l’Infernal tome 2 est votre première saga BD. Comment avez-vous envisagé de faire une suite ?

Ce volume 2 des Praticiens de l’Infernal est en fait le cinquième recueil de leurs aventures. Ces récits ont été conçus dès le départ pour être une série. Le premier recueil était auto-édité et imprimé en photocopies. Il a été suivi de deux ouvrages parus chez Jean-Pierre Faur. J’ai ensuite mis de coté ces personnages pendant une quinzaine d’années avant de relancer la série en repartant de zéro, cette fois en édition numérique puis en version papier chez Cornélius. Enfin, ce ne sont pas mes seuls récits à épisodes, j’avais publié d’autres séries avec des personnages récurrents : Les Nouvelles Marionnettes Thermiques, l’Equipe Sonique de La Paz… mais cela date un peu.

« J’ai bien conscience de jouir du rare privilège d’être payé pour dormir. »

Vous souvenez-vous de la naissance de Fongor Fonzym et des frères Thémistecle ? Leur matrice a-t-elle évolué ?

Fongor et les frères Thémistecle sont nés il y a bientôt 30 ans. Au départ c’était un dessin inspiré d’une minuscule photo découpée dans un programme télé. Assez vite, ce sont devenues de courtes histoires qui se sont allongées par la suite. Et au fil du temps, le dessin, les scénarios ainsi que la syntaxe ont évolué et se sont affinés. La structure, elle, n’a pas du tout changé : des cases de taille égale présentées séparément, pas de bulles mais un bandeau de texte en bas de chaque vignette opérant comme une voix off. Au début j’avais pensé engager un acteur professionnel pour faire cette voix mais j’ai finalement décidé de la faire moi-même, un peu comme si je parlais dans un tuyau qui déboucherait directement dans la BD.

Votre exposition Mondo Thémistecle retraçait leur histoire. Je me demandais : vous qui êtes attaché à votre anonymat (aucune photo de Pierre la Police n’existe à ce jour), avez-vous réussi à cacher votre identité le jour du vernissage? 

Pendant le vernissage j’étais à des centaines de kilomètres de là en train de jouer avec mes teckels. Je souhaite simplement disparaître derrière mon travail sans que cela ne devienne un objet de curiosité. On me questionne souvent sur mon choix de l’anonymat comme s’il s’agissait d’une option excentrique mais de mon point de vue c’est la recherche de la célébrité personnelle qui en est une. Je ne suis pas sur Facebook, un fan a créé une page à mon nom mais n’étant pas inscrit… je n’y ai pas accès.

Vous expliquez que, notamment pour Les Praticiens de l’Infernal, le livre vous est intégralement venu, presque à votre insu. Pardon d’être à nouveau si technique, mais pouvez-vous nous expliquer comment ? 

N’ayant aucune certitude à ce sujet j’ai tendance à penser que c’est le travail opéré par le cerveau à notre insu pendant le sommeil. On sait que celui-ci classe, calcule et organise de nombreuses données lorsque nous sommes déconnectés des stimuli extérieurs. Il m’est arrivé de me réveiller après des siestes avec des idées très détaillées concernant des projets, des scénographies d’expositions, des scénarios de récits complets, etc. J’ai bien conscience de jouir du rare privilège d’être payé pour dormir.

« Installer le lecteur dans une zone mentale de télé-achat. »

Il semblerait que des chercheurs et professeurs d’université en Louisiane écrivent des études critiques sur les mécanismes linguistiques de vos ouvrages. Savez-vous où en sont leurs études ? 

Oui, Livio Belloi, chercheur et maître de conférences à l’Université de Liège et Fabrice Leroy, professeur à l’Université de Louisiane à Lafayette écrivent depuis une dizaine d’années déjà des articles théoriques sur mes ouvrages. C’est pour moi bien sûr un honneur et une reconnaissance inespérée. Ils abordent également le sujet lors de colloques universitaires un peu partout aux Etats-Unis. Un article d’une vingtaine de pages devrait bientôt paraître dans la prestigieuse Revue des Sciences Humaines. Ils travaillent également sur un essai entièrement consacré à mon travail et qui devrait sortir chez Serious Publishing en 2018.

En vous lisant, on peut noter une occurrence de l’enseigne Foir’Fouille. Avez-vous eu un rapport particulier aux zones industrielles, aux magasins de hangar ?

C’est simplement, telle que je l’utilise, une façon d’installer le lecteur dans une zone mentale de télé-achat.

Parfois chez vous les visages changent ou ne sont pas ceux qu’on pense; une technique  qu’on peut retrouver chez Joan Cornellà. Est-ce que son travail compte pour vous ? 

J’ai découvert avec plaisir son travail il y a quelques mois seulement. On y retrouve en effet une certaine similitude avec le traitement que je réserve parfois aux physionomies. C’est toujours attrayant quand la fiction joue avec la notion même de perception. Cela me rappelle cette idée que j’avais de glisser dans un film un personnage dont le visage changerait radicalement entre le début et la fin. Il évoluerait mais de façon tout à fait imperceptible d’une séquence à l’autre si bien qu’on y verrait que du feu. En déformant les idées et les représentations de façon très graduelle il est possible de faire accepter n‘importe quoi à n’importe qui, comme dans la fable de la grenouille dans l’eau chaude. C’est un sujet d’actualité brulant à plus d’un titre.

« L’œuvre de Pierre La Police se situe dans la droite ligne de l’art idiot. L’artiste utilise des techniques très diverses avec le souci constant de fouler aux pieds les règles du bon goût et de l’esthétique. » C’est votre page wikipedia. À quel point dit-elle la vérité ? Est-ce que vous l’avez rédigée ? 

N’aimant pas trop parler de moi et qui plus est à la troisième personne, je ne me serais jamais livré à cet exercice sur Wikipédia. J’ai visité la page qui m’est consacrée bien sur et ne trouve rien à redire sur l’essentiel, bien qu’elle soit incomplète.

Est-ce qu’à un moment dans votre vie, vous avez décidé de faire rire l’humanité, ou pas ? 

L’humour est un choix qui correspond à ma sensibilité et surtout qui m’aura aidé à prendre la vie par ses bons cotés. Mis à part le tri sélectif des ordures, je ne suis pas certain d’avoir contribué à grand chose pour l’humanité.

Pierre La Police ne sera pas à son vernissage le samedi 8 avril à 19h au Musée de la Tapisserie à l’occasion des Rencontres du 9e art à Aix-en-Provence.

Praticiens de l’infernal 2 est en librairie, déjà depuis plusieurs heures, et quelques planches inédites sont à découvrir dans le numéro 20 de Gonzaï (sortie le 13 avril)

Images : © Pierre La Police / Cornélius 2017

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