Dans un climat moribond chargé de "je suis programmateur et je fais jouer les mêmes groupes que mes potes dans une salle différente", le festival Sale et Sauvage avait tout pour être l'évènement rock'n'roll d'Île-de-France. Avec son affiche signée Arrache-toi un œil, sa com' sorti d'une propal Conforama ("10 groupes sur 4000 m2") une prog à faire pâlir tous ceux qui portent une veste en jean et des activités liées au DIY, cette soirée du 27 octobre devait percer un trou dans une programmation parisienne où l'on aura trop souvent vu les mêmes groupes sur scène.

L’ambition de la Sale et Sauvage (Nuit garage), c’est de « rendre hommage à l’une des esthétiques musicales les plus jouées et suivies [au sein de Mains d’Oeuvres]« . Un beau geste, mais une contextualisation du genre musical « garage » risquée tant le terme est une étiquette fourre-tout : on y trouve à la fois du blues brûlant (Movie Star Junkies), du psyché synthétique (Wall Of Death) et du punk incendiaire (The K-Holes). Le point commun des groupes garage n’est pas tant musical qu’idéologique. Dommage, donc, de souscrire à l’utilisation de cette appellation qui ne renferme plus forcément les idées d’indépendance, de do it yourself, de choix du circuit économique de production et de distribution, entre autres points communs des artistes invités.

Pourquoi une telle verve pseudo-sociologique ? Parce que j’ai l’impression qu’à l’instar du rock’n’roll, à force de vider le terme de son sens le plus profond, nous risquons de passer à côté de la chance d’inscrire le mouvement garage dans un contre-courant idéologique qui semble primordial à l’heure où les marques, les publicitaires ou les agences de com’ prennent en charge la création musicale. Au final, on considère les concerts garage comme un truc cool de plus, ce qu’était la techno minimale il y a encore cinq ans, ou le grunge il y a deux décennies. Public hype, passe ton chemin : ici on ne consomme pas la musique, et on retire ses œillères pour participer à un monde créatif transdisciplinaire et militant (malgré lui). Mais le simple fait d’utiliser l’étiquette garage sans autre forme d’explication me semble pousser le genre dans le Triangle des Bermudes du cool (même si le bermuda reste, heureusement, interdit sur scène).

Le concept de la Sale et Sauvage (Nuit garage), dont c’était la première édition, mériterait d’être encore plus strict dans le choix des groupes, encore plus engagé dans la communication… encore plus holistique, en somme. Même s’il entre seulement dans sa phase adolescente, justement la plus emblématique du garage. Quand les teenagers rejettent l’autorité, se libèrent des contraintes sociales, crient leur frustration, exhibent leur sexualité incontrôlée et inventent ainsi leurs propres règles : celles d’un monde souvent sale et sauvage.

Dans le genre, ma nuit à Saint-Ouen fut plus sauvage que sale.

La configuration des lieux joua sans doute un rôle dans l’inhibition des pulsions des artistes et du public. En gros, on se retint de cracher sa bière sur les murs et de pisser le sang pendant les pogos. Mains d’Oeuvres n’est pas l’archétype du lieu institutionnalisé, mais c’est toujours étonnant de voir une salle être à l’initiative du rassemblement d’un mouvement indépendant(iste) et autonome(iste).
Enfin, pour illustrer mes propos sur la grande diversité musicale du genre garage, quelques mots sur les groupes qui m’ont marqué, en bien. Autant dire pas Rikkha, qui fut un parfait hors-sujet ou alors je n’ai rien compris à leur rock cabaret peu subtil et qui cumula les clichés « burlesque + exhibition + vulgarité au micro ». Une simple moue de Poison Ivy avait 10 000 fois plus de puissance sexuelle.

Yussuf Jerusalem, qui me fait chialer au moins une fois par concert (With You in Mind, épique reprise du morceau de Marianne Faithfull, ou A Heart Full of Sorrow) a moins titillé mes glandes lacrymales ce soir-là. Sur scène, c’était plutôt une cavalcade infernale à la Black Sabbath, une croisade gothico-grunge qui ressuscite autant Sebadoh que The Cure. Moins d’émotion, mais plus de violence. Ce qu’il nous faut, c’est une bonne guerre contre le monde adulte. Yussuf Jerusalem est parti en éclaireur, avec dans son armée les New York Dolls, les Buzzcocks, les Undertones et tout le grunge.
Bas résille et gros paquet dans le slip, les Jack Of Heart reprennent The Cramps qui reprennent The Groupies (leur classique Primitive qu’on traduirait facilement par « sale et sauvage »), et creusent ainsi dans le sol un trou béant dans lequel plonge le public pour la plus belle mise en abîme garage de la soirée.

Les Magnetix n’ont pas volé leur invitation à cette nuit sale et sauvage, puisque je n’ai encore pas trouvé d’autre adjectif pour décrire leur concert. Définitivement la meilleure performance du duo bordelais que j’ai vue depuis cinq ans.

Enfin, je venais principalement pour les intrigants et nouveaux The K-Holes. Aucune déception, une excitation énorme et une envie d’encore… Sur scène, une marmite bouillante (l’effet saxophone stoogien ?), des saillies vocales indécentes et une maîtrise parfaite de la tension et de la frustration. Ces kids d’Atlanta installés à Brooklyn ont pas mal écouté l’Australie post-punk de The Birthday Party… mais sous speed et avec un chant féminin. The Cramps sans crampes en somme, puisqu’ils étireront leur concert bien au-delà du temps qui leur était imparti, offrant un inattendu rappel, après presque dix minutes de cris de douleur et de désir échappés d’un public transi.

Les Movie Star Junkies m’aideront à redescendre, avec leur swamp rock de marins lettrés dont on peut chanter les refrains à tue-tête, bourré comme un coing. En remontant à l’étage, je n’ai pas vu les stands tatouage et coiffure – dommage – qui auraient pu occuper un peu plus l’espace de ces 4000 m2 d’ancien centre social et sportif, à l’opposé des 10 m2 des garages originels dans lesquels répétaient les pionniers américains du genre.

Au final, une soirée un peu plus sauvage que sale, donc. À l ‘inverse de mes bottines, revenues bien sagement, mais très crades.

4 commentaires

  1. Yes man, super papier. J’étais également à la soirée et tu soulignes bien le point de limite. Après je trouve que tu vas un peu loin sur le côté Sebadoh/Cure de Yussuf Jerusalem mais y’avait une chanson qui rappelait en effet quelque chose de cette veine. C’était vraiment une chouette soirée au final et mes baskets sont rentrées dans le même état que tes bottines. Enfin ça fait toujours plaisir de pogoter comme un ado à 29 balais…

  2. Thanks Matt !
    Il y a 2 chansons qui m’ont fait penser à un truc gothico-grunge, que je n’avais pas repéré lors des précédents concerts de Yussuf Jerusalem. J’ai trouvé ça moins « garage 60s » justement, et plus massif, martial et épais. Et puis j’avais griffonné Sebadoh et Cure sur mon carnet pendant le concert, fallait bien que je le replace !

    Ah, et qui t’a dit qu’on n’était pas encore ado à 29 piges ?…

    Cheers !

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