Mars 2011. Y a de l’électricité dans l’air à la Java, vieux dancing des années 20 reconverti en salle de concert cradingue où Gonzaï a élu domicile depuis quelques semaines. Sur l’étroite scène, les rockeurs dilatés aux pupilles pas très claires de Kill For Total Peace s’apprêtent à lever le manche pour tenter d’éclairer le cerveau des spectateurs. Le cœur y est, mais pas les instruments, grippés, ballonnés ; le groupe fait semblant d’y croire et puis jette l’éponge au bout de 45 minutes, lessivé par tant de difficultés à faire vrombir le groove. « C’est à cause des balances, s’énerve le groupe en sortie de scène, on n’a pas eu assez de temps, et puis la sono est pourrie ici. » Soit. Après tout, c’est pas facile de cracher un « Get Yer Ya-Ya’s Out! » tous les soirs. Cinq minutes plus tard, les Anglais de The Oscillation débarquent sur la même scène et livrent, sans avoir fait la moindre balance, un set sec comme un coup de trique, d’une virtuosité telle que même les enceintes pourries se prennent à danser le Charleston, comme au bon vieux temps. Silence en backstage, y a comme un malaise en Malaisie.
Avril 2012. Un an après cet épiphénomène auditif, et alors que Gonzaï a déménagé de la Java à la Maroquinerie, une bande de jeunes rockeurs lookés comme des seconds rôles de Californication a la lourde tâche d’ouvrir pour ces mêmes Oscillation avec des chansons enregistrées par Brett Orrison, ingénieur du son attitré des Black Angels. La foule massée à l’avant s’interroge : « faut-il trouver ça cool ou sortir fumer une clope ? » Le jeune gang de Brice Borredon, fraîchement signé chez Born Bad, sait son heure prochaine. Mais quant à déclencher ce fameux « mur de la mort[1] » dont il est question dans le nom du groupe, ce sera certainement pour une prochaine fois. Affairé à serrer des mains tel Jacques Chirac en représentation à Woodstock, je rate le concert des Wall of Death, mais ne manque pas de les féliciter pour « ce show assourdissant qui, à n’en point douter, aura marqué les esprits ». En rock comme en politique, il faut savoir mentir avec assurance plutôt que de passer sincèrement pour un con. Quelques heures plus tôt, on a appris que les bandes du premier album des Wall of Death ont cramé dans un incendie au Texas à cause d’un ingénieur du son, euh, un peu négligent. Pas grave, répond le groupe, philosophe, les Black Angels les adorent tellement[2] qu’ils viennent de leur payer un billet d’avion pour tout remettre à plat. À ce moment précis, un doute s’installe : des Français bien fringués qui partent enregistrer leur album de l’autre côté de l’Atlantique, ça n’a jamais rien donné d’autre que de mauvais disques de Dick Rivers, Michel Sardou ou des Plastiscines. Quant à la caution Black Angels, autant confier les codes nucléaires à un babouin et prendre un Lexomil en attendant le grand soir. Je n’étais pas vraiment pressé d’écouter « Main Obsession » qui, ce soir-là, portait vraiment mal son nom.
Octobre 2012. Alors que votre humble serviteur a, depuis, radicalement changé son fusil d’épaule, que nous disent ces deux anecdotes sur le premier album de Wall of Death ? Primo, qu’en matière de rock les Français ont toujours été à la traîne, la faute à des producteurs locaux syndiqués et, disons-le, quelque peu incompétents en la matière, mais aussi à une certaine idée du rock confort avec nécessité de trois ingés-son derrière la console pour faire sonner correctement un do bémol. Secundo, qu’à l’inverse, les rockeurs d’ici qui vont là-bas, ça procure toujours un frisson d’épouvante depuis qu’on sait que les requins de studio de Los Angeles en ont déjà plumé plus d’un, comme le touriste un peu con-con à qui on promet les cabines Leslie de « River Deep – Mountain High » pour au final lui servir un plan de basse fretless enregistré dans un studio miteux à 300 $ la demi-heure. Et tertio, qu’au final, le premier album du Death avait autant de chances d’ébranler l’auditeur que les BB Brunes d’atterrir dans les colonnes du New Musical Express.
Comme écrit précédemment, on en a vu des critics se déformer les lobes sur des mauvais disques. Mais des trucs de la trempe de « Main Obsession », produits avec cette science du détail et cette avalanche d’orgues et d’échos trempés dans le sable bouillant, beaucoup moins. Passée la surprise de ce déluge électrique comme on en a rarement entendu chez des groupes français, vient le moment de reprendre logiquement ses esprits pour, au final, se reprendre un coup sur la tête avec l’intégralité de titres de ce premier album qui écrabouille la concurrence dans son grand ensemble, l’anéantit jusqu’à rendre ridicule l’idée même d’une rivalité avec un quelconque groupe hexagonal citant les Stones, les 13th Floor Elevators, The Zombies ou Black Rebel Motorcycle Club dans ses influences.
On aurait alors vite fait de cataloguer « Main Obsession » au rayon des joujoux psychés, du genre qu’on écoute qu’une seule fois en faisant cramer l’encens — ne rigolez pas, c’est peut-être comme ça que les premières démos du groupe ont brulé. L’écoute minutieuse de ce bijou d’horlogerie laisse pourtant apparaître d’autres influences que le désert de Mojave et le mirage d’un Jim Morrison produit par Phil Spector. Il y a d’abord ces chœurs angéliques noyés sous les nappes (Tears of Rainbow) et ce coté cathédrale & shoegazing qui font penser au Ride de l’Angleterre des années 90 ; puis aussi ces ponts et autres ruptures fantastiques (Heaven by the Sun, In your Arms) qui évoquent les plus belles chevauchées de The Horrors — à qui on aurait d’ailleurs envie de conseiller l’écoute du Wall of Death pour pondre enfin une suite décente à leur « Primary Colours » jadis réalisé par un autre producteur bien connu, Geoff Barrow.
Encore une fois, chez Wall Of Death, la présence au générique du faiseur de son des Black Angels n’est qu’accessoire. Là où tant d’autres se sont perdus à maquiller l’absence complète d’idée à jeter sur la partition par des effets psychés aux allures de placebo(bo), Brice the nice et ses deux compères répondent par une singulière envie de se démarquer dans un genre musical — le psyché, grosso modo — où l’on pensait jusque-là que tout avait été dit, écrit, composé, rabâché et usé jusqu’à la corde de mi. Barbes et vestes à franges remisées au vestiaire, ces jeunes gens chantent juste, savent aligner plus de trois accords dans un même morceau, et balancent ça et là de petits requiems anachroniques qui sentent autant les cactus de l’Arizona que les fins de nuits post-industrielles de Manchester. Cette capacité à faire sortir le diable de sa boîte et à écraser les poncifs avec des parti-pris originaux, ça s’appelle simplement le talent. L’ultime contrepied de ce « Main Obsession » au tracklisting illisible — cryptage volontaire ? — c’est que, contrairement à d’autres étoiles plus proches et moins brillantes, la lumière de cet astre devrait, distance oblige, parvenir à la presse rock française avec un peu de retard. Nul n’est prophète en son pays. Et l’adage compte double si vous avez le malheur d’enregistrer un grand disque de rock français loin de chez vous.
Wall of Death // « Main Obsession » // Born Bad (Sortie le 6 novembre)
http://www.myspace.com/inthewallofdeath
[1] Source Wikipedia : « Le mur de la mort (tiré de la désignation anglophone ‘wall of death’), est un mouvement de foule parfois rencontré dans les concerts metal et rock. » En gros : se faire défoncer la cage thoracique par des rockeurs éméchés au premier rang. Et aimer ça.
[2] Les Wall of Death ont assuré les premières parties européennes des Black Angels, puis ont été invités à jouer au Psych Fest d’Austin.
6 commentaires
Un petit wall of death sympa organisé par Exodus au Wacken
http://www.youtube.com/watch?v=EORH8Nx6FHU&feature=related
pour info un wall of death c’est surtout et avant tout une affaire de motos et de forains :
http://www.youtube.com/watch?v=jn1Z9ESz9vI