Si environ la moitié des groupes programmés au Hellfest honorent leur première invitation, les têtes d’affiche investissant les mainstages en fin de journée, sur lesquelles communique le festival et qui garantissent son succès, sont souvent des briscards autour de la soixantaine… voire dix ans plus vieux. Et 2023 n’aura pas été une exception. Que valent vraiment les icônes du metal sur scène à l’âge de la carte vermeil ? Panorama.

C’est un rituel chez les habitués : quand on arrive sur site, on cherche ce qui est nouveau. Ce jeu des 7 différences est savamment préparé par l’association Hellfest Productions, qui réinvestit dans son luna park pour métalleux tout ce qu’elle n’est pas tenue de verser à des actionnaires (NB : oui, ou qui n’est pas non plus emprunté dans la caisse si l’on se réfère à une bien triste actualité). C’est peu dire que l’année 2023 fut riche en innovations. Valley, la scène à dominante doom et stoner immédiatement accessible à droite de l’entrée du site – ou « cathédrale » – est désormais installée sur de nouveaux terrains gagnés sur le vignoble alentour en vis-à-vis du bastion punk de la Warzone. D’aucuns affirment que les relents de beuh caractéristiques de Valley se dispersent plus facilement à l’air libre, d’autres regrettent que les light shows y perdent de leur intérêt pour les concerts en journée, toujours est-il que l’endroit fut plein comme un œuf durant les soirées du festoche. En lieu et place de l’ancienne scène couverte se dresse un énorme stand dédié au merchandising du Hellfest dont raffolent tant les festivaliers opportunément baptisé « Sanctuary », tout en colonnes, statues impies et fausse pierre volcanique sombre. On y arrache son T-shirt de l’année ou son doudou « Hellfest » après une à deux heures d’attente en plein cagnard et une de mieux à l’ombre. Les anciens stands de merch façon Mad Max sont désormais consacrés à deux bars, l’un à jus, l’autre à cocktails, deux audacieux substituts aux classiques spots à tireuses.

Le festivalier du Hellfest a 40 ans en moyenne

En parlant de bière, on n’avait pas vu venir un grand remplacement, celui de la Kro au goût très aqueux en temps de canicule par une Carlsberg un rien moins roturière à 6,6€ la pinte (vous l’avez ?). Nouveauté aussi côté ravitaillement, la disparition de la galette saucisse vite attrapable à toute heure au profit d’une sorte de Philly cheese steak revisité. Mouais. Et parce que l’attachement des organisateurs aux arts plastiques est bien connu, nul ne se sera étonné de voir trôner derrière la cathédrale une somptueuse version chromée du crâne aux papillons décorant l’espace des boutiques en dur appelé Hell City. Seuls les Hellbangers s’étant fait tirer leur smartphone en plein pit seront rentrés chez eux sans photos de la bête. On le voit, du neuf à tous les étages, et du copieux… hormis, en caricaturant à peine, lorsque l’on s’intéresse à la programmation des deux mainstages en soirée : KISS, Def Leppard, Mötley Crüe, Iron Maiden ou Pantera, autant de formations dont les posters ornaient les murs des chambres adolescentes aux temps magnifiés par Stranger Things, voire plus tôt ou à peine plus tard. Les accompagnaient en prime time de rares pointures plus juvéniles comme les Anglais d’Architects, l’odieux transfuge du rap Machine Gun Kelly ou les sociopathes masqués de Slipknot… tout en se rappelant que ces derniers ont sorti leur premier LP au siècle dernier. Le public du Hellfest, lui, ne rajeunit pas – 39,5 ans de moyenne d’âge en 2022 – mais enfin garde-t-il de quoi se défouler dans les mosh pits, circle pits et walls of death dont il est si friand avec pour fond sonore les contemporains des stars des croisières Âge tendre et têtes de bois ? Il fallait bien quatre jours pour se faire un avis.

On considérera « hors catégorie » la formation Generation Sex, sur scène le jeudi après-midi, au sein de laquelle le natif de 1955 Billy Idol a désormais des allures d’Orlando Gigliotti (oui, le frère de Dalida) tandis que les Sex Pistols Steve Jones et Paul Cook sont restés aussi bons musiciens qu’au faîte de leur gloire. Finir sur My Way vira au tragicomique ; au moins peut-on saluer un God save the Queen qui sonna franchement punk en 2023. Non, le premier vrai test pour les boomers métalleux eut lieu à 20h35 en Mainstage 1 avec une formation fondée en 2015… tout en pouvant prétendre au titre de doyens de ce Hellfest. Car le supergroupe Hollywood Vampires est structuré autour des septuagénaires Alice Cooper (75 ans), auteur d’une prestation honorable sous la pluie avec sa formation l’an dernier à Clisson, et Joe Perry (72 ans), immortel guitariste solo d’Aerosmith. Ovationné par une foule guère #MeToo ou très sensible aux histoires de caca sur oreiller, Johnny Depp les accompagnait à la gratte sans faire beaucoup baisser la moyenne d’âge, puisqu’il est sexagénaire depuis le 9 juin dernier. L’honnêteté oblige l’auteur de ces lignes à reconnaître qu’il n’assista pas au concert en question : certes au pic de sa cuite à la Skoll, il goûta modérément le set du groupe en 2018. Recoupons donc les témoignages : c’était décent, mais mou. Alice Cooper pâtit d’un micro défaillant, Perry fut aussi génial que discret, c’est-à-dire « très », et la formation se tint à une scénographie sage, suscitant plus d’enthousiasme sur les hits du Prince of Darkness que sur les compositions signées Hollywood Vampires. Considérant que le melodeath vitaminé d’In Flames venait de poutrer sévèrement la Mainstage 2, la prestation eut des allures de coitus interruptus. On pourra évoquer la malchance pour dédouaner ces messieurs : leur matos de tournée s’étant perdu en Serbie, ils durent jouer sur celui de KISS. La solidarité générationnelle n’est pas un vain mot.

French Kiss

KISS leur succéda d’ailleurs en Mainstage 1 pour un show réputé être l’avant-dernier dernier en France, dans le cadre du End of the Road World Tour qui achèvera pour de bon leur carrière le 2 décembre prochain au Madison Square Garden. Comme le dit le cofondateur et bassiste du groupe Gene Simmons (73 ans), « Il faut avoir la dignité et la fierté de savoir quand il faut arrêter ». Les esprits taquins lui rétorqueront que ladite tournée, entamée en 2019, était censée se clore l’année dernière. On accordera toutefois au Demon de KISS que le Covid vint quelque peu chambouler les plans initiaux. Reste que le show entre hard rock et glam metal proposé à 22h55 ressembla beaucoup, de fait, à celui du dernier Hellfest pré-pandémie. Même setlist en forme de Best Of à un titre près (Makin’love pour Crazy, crazy love), mise en scène et light show identiques, semblables pauses ménagées aux vétérans lors de solos de guitare, basse et batterie, ainsi qu’une énergie sur scène passablement équivalente. Les gimmicks sont inchangés depuis Mathusalem : Simmons cracha du feu sur War Machine et du sang sur God of Thunder depuis les cintres, la batterie d’Eric Singer (65 ans) s’éleva dans les airs et Tommy Thayer (62 ans) joua à Space Invaders avec son manche. Quant à Paul Stanley, on se demande, un peu honteux, s’il se teint aussi les poils du torse.

Le Starchild s’adresse toujours à la foule comme s’il avait affaire à une brassée d’aimables débiles légers, ce qui ne semble jamais contrarier personne. Il devenait en revanche un peu risqué, à 71 ans, de lui faire emprunter une tyrolienne pour rallier une plateforme au milieu du public sur Love Gun, aussi se contenta-t-il de l’entonner depuis la Mainstage. Reste la question qui fâche, celle du playback : on se rappelle que Youtube immortalisa plusieurs fois Paul en flagrant délit dans un passé récent. Qu’en fut-il cette fois-ci ? Rien de trop ostensible ; au moins la voix qu’on entendit correspondait bien à son timbre d’aujourd’hui. Comme le dit l’intéressé avec humour, ceux qui préfèrent son chant des 70s ont tout plein d’excellents albums à écouter. On lui accordera le bénéfice du doute. Si l’on ajoute que la pyrotechnie fut une fois encore des plus spectaculaires, on peut affirmer que KISS fit aussi sobre qu’à son habitude, ce qui reste une performance à son âge canonique – le groupe fut créé voici 50 ans. Verdict : pas de quoi convertir les sceptiques, mais certainement assez pour ravir une ultime fois la KISS Army tricolore présente à Clisson… plus que les fans des Belges dépressifs d’Amenra présents en Valley et sur lesquels le vent rabattit les échos tonitruants du guilleret I was made for lovin’you à un moment parmi les plus poignants du set.

Le lendemain vendredi, Def Leppard prit possession du Mainstage 1 à 20h25. Vu de 2023, on peine à se remémorer l’importance fondamentale de ces grands ambianceurs des années 80. Qu’on y songe : avec Pyromania puis Hysteria, le groupe de Sheffield est l’un des cinq – aux côtés des Beatles, Led Zeppelin, Pink Floyd et Van Halen – à avoir dépassé à deux reprises les 10 millions d’albums vendus aux États-Unis. Telle était la puissance de leur heavy metal lustré jusqu’au clinquant par le producteur Robert « Mutt » Lange. Le set de Def Leppard au Hellfest 2019 fut qualifié de « brillant, bien que plutôt calme » par l’article français de Wikipedia, une manière comme une autre de décrire la setlist émolliente, garnie de 3 slows consécutifs en son milieu, qui endormit l’essentiel du public présent. Dès lors, ceux qui avaient vécu l’expérience étaient fondés à redouter qu’elle se reproduise. Force est de reconnaître que le show de 2023 démarra mieux à cet égard, servi par un son incisif et musclé. Sur grand écran, chaque plan de Rick Allen (59 ans) le montrait souriant aux anges en tabassant les fûts de son bras solitaire depuis 1984, manifestement ravi d’être là et bien remis de son agression floridienne de mai dernier.

Statiques, ses compères faisaient le travail, à commencer par un duo de gratteux Phil Collen (65 ans) – Vivian Campbell (60 ans) ayant manifestement soulevé pas mal de fonte et tenant à le faire savoir en manches très courtes. Côté Joe Eliott (63 ans), la tenue plus classique combinée au déhanché un tantinet grippé évoquait un grand oncle investissant le dancefloor en fin de bar-mitzvah, mais le principal reproche qu’on put lui faire fut de faiblir vocalement à mesure de sa prestation – signe, peut-être, d’un moindre recours au playback que d’autres. Collectivement, le problème était ailleurs : la répétition d’un morne creux rappelant 2019 passé 4 ou 5 titres pêchus, mélange d’extraits du dispensable dernier album en date et de versions acoustiques fadasses – en dégainant de bien vilaines Fender acoustasonics qui pis est. À ce stade, ni le gilet brodé d’anges fessus du bassiste Rick Savage (62 ans) ni la vision réjouissante d’un slammeur en string chevauchant un requin gonflable ne relancèrent tout à fait l’intérêt du set. De quoi en dissuader certains de poursuivre, malgré la promesse du Photograph final après une salve de classiques. Moins un problème de grand âge que de setlist inadaptée à un public de festival, en somme. Perseverare diabolicum.

De la bière et des nichons

Au fond, le rendu des Anglais n’avait guère surpris. Le vrai facteur X devait suivre, c’est-à-dire la prestation de leurs camarades de tournée. Ni batteur manchot, ni guitariste mort côté Mötley Crüe, et cependant un historique bien plus rock n’roll au sens bordélique du terme. Mötley Crüe, c’est un pastiche qui a pris vie, le groupe qui aura fait bien pire que toutes les dégueulasseries relatées dans la version Netflix de sa biographie, qui a pris sa retraite le 31 décembre 2015 et qui est revenu depuis sans vergogne sans que grand monde en espère grand-chose. Si Paul Stanley ou Axl Rose tirent des bords au micro, Vince Neil (62 ans) ne sait carrément plus chanter. Si les piques des anciens d’un groupe rythment souvent son existence, Mick Mars (72 ans) est carrément en procès avec le Crüe. Si les chanteurs fatigués ont recours au playback, Mars balance carrément que la basse de Nikki Sixx (64 ans) est elle aussi enregistrée. Si les rockeurs vieillissants semblent à peine y croire quand ils affirment n’avoir pas changé, Tommy Lee (60 ans) montre carrément sa bite sur les réseaux sociaux. Bref, impossible de distinguer la nostalgie du voyeurisme en prenant place devant le Mainstage 1 à 23 heures ce vendredi. Et là…

Bien sûr, la qualité du chant varia tellement qu’on pouvait deviner quand Neil était en direct (ça couine). Bien sûr, les pauses furent conséquentes. Bien sûr, le Tommy Lee d’aujourd’hui est un rien pathétique quand il réclame de la bière et des nichons. Bien sûr, son incarnation de 2018 dans The Dirt Machine Gun Kelly fut copieusement huée lorsqu’elle passa une tête sur la BO du téléfilm – et Neil était clairement en playback pour ne pas trop pâtir de la comparaison. Seulement voilà : le son très heavy aux basses vrombissantes ne déparait pas dans le festival, le mauvais goût attendu de la mise en scène n’excluait pas un certain sens du style, la quantité de bouses dans leur discographie ne les empêcha pas de piocher assez de bangers dans les bonnes galettes, et les difficultés individuelles n’occultèrent pas le talent stratosphérique de John 5 (52 ans), ex-Marilyn Manson, le remplaçant de Mars à la gratte auquel on a lâché la bride histoire d’entendre un peu de musique. Le résultat se suivit sans déplaisir, voire un bonheur coupable. Mötley Crüe au Hellfest 2023, c’est George W. Bush réélu en 2004 : impérial face à des attentes au niveau de la mer.

En 1965, les Who inauguraient My generation. Il y était question de mourir avant d’être vieux. Alice Cooper avait à peine 18 ans ; on peut considérer que tous les musiciens mentionnés dans le présent papier ont grandi avec.

Iron Maiden à l’heure du JT

Inversement, les Londoniens d’Iron Maiden remettent en jeu à chaque nouvelle tournée leur statut de patrons du heavy metal traditionnel ; ledit statut leur valut de choisir un horaire précoce pour leur passage en apothéose de la soirée de samedi : 20h30, soit à peine l’heure du goûter en festival. C’est que le sextet veut désormais être rentré à l’hôtel pour Derrick. Jouer l’essentiel du set du Days of Future Past Tour de jour fit perdre un peu de la puissance du light show ; pour autant, le décor et la mise en scène demeuraient du Maiden pur jus. La setlist visait à ravir petits et grands en proposant 5 titres du Somewhere in time de 1986 (dont Alexander the Great, inédite sur scène), 5 du petit dernier Senjutsu (dont 2 des 3 titres de 10 minutes, un choix plutôt burné) et 5 tubes du groupe très attendus (Iron Maiden, Fear of the dark, The trooper) ou beaucoup moins (Can I play with madness ?, The prisoner). Ce 17 juin au soir, on s’interrogeait plus sur l’état de forme des Irons que sur la conception du show lui-même, tant la machine est rodée sur le papier. Un indice vint très tôt, dès l’opener Caught somwhere in time, pas joué depuis l’an pèbre et requérant pas mal de « nut squeezing » de la part de Bruce Dickinson (65 ans) sur le refrain : l’organe du benjamin du groupe allait bien, merci, et ses gesticulations d’ambianceur de pub cockney restent elles aussi très au point.

La pantomime du bassiste et cerveau en cargo shorts Steve Harris (67 ans) n’avait guère changé non plus. Derrière, l’état des troupes variait sans que la musique en soit tout à fait altérée. Janick Gers (66 ans) levait toujours la jambe aussi haut et shreddait comme il se devait, sans qu’on s’y intéresse beaucoup plus que d’habitude. Toujours rougeaud, Dave Murray (66 ans également) assurait ses parties en vieux routier, les yeux clos, tout feeling dehors. Sourcils froncés, le roc à riffs Adrian Smith (66 ans, décidément) paraissait soucieux en comparaison. D’aucuns jurèrent avoir ouï des pains dans sa production, comme ils décelèrent des simplifications – voire des lâchers de rampe – dans le jeu de batterie du vénérable Nicko McBrain (71 ans). Entendons-nous bien : pour le fan lambda, ce concert respecta les standards maideniens en vigueur depuis un siècle ou deux, c’est à dire une certaine idée de l’excellence sidérurgique. En 2023 et compte tenu de l’exigence des compos, ce fut un petit miracle doublé d’un bonheur jamais plus précaire – une vérité qui échappait à quantité de jeunes branleurs slammant comme un aprèm à la Warzone pour tromper leur ennui (pas si) poli. Avec Iron Maiden, c’est partout Pleyel, bordel. Quand Nicko vint saluer, ganache souriante mais dos voûté, on l’applaudit très fort en se mentant un peu. Ce Maiden-là est un chef d’œuvre en péril, ce qui ne le rend pas moins admirable.

Défonçage de placoplâtre à coups de tête

Le lendemain, les dernières vieilles gloires authentiques du plateau avaient la particularité de n’être jamais venus au Hellfest auparavant. Non, ce n’était ni Metallica, dépucelé l’an passé à Clisson, ni AC/DC, éternel Moby Dick des organisateurs. On parle d’un groupe réputé d’autant plus dissous que son guitariste « Dimebag » Darrell Abbott mourut sur scène en 2004 de manière bien plus littérale que la Dalida citée plus haut (un fan s’était montré quelque peu contrarié par le split de l’année d’avant) et que le cœur du batteur et frère de Darrell Vinnie Paul Abbott avait fait un « boum » définitif un soir de 2018. Un mal pour un bien selon quelques habiles argentiers du rock, vu que Vinnie Paul s’était toujours opposé à une reformation. Ainsi naquit Pantera V2.0, nouvelle mouture, tribute band ou supergroupe, c’est selon. Au chant, toujours Phil Anselmo (54 ans), rescapé d’à peu près tout. À la basse, toujours Rex Brown (58 ans), aussi taiseux qu’essentiel dans le groove metal bondissant qui rendit enfin l’ex-groupe de glam texan célèbre à l’aube de la décennie 90. Pour remplacer les frangins Abbott, deux pointures indiscutables, le guitariste de Black Label Society au physique de légende viking Zakk Wylde (56 ans), intermittent chez Ozzy Osbourne, et le batteur virtuose d’Anthrax qualifiant in extremis le Pantera nouveau parmi les groupes à sexagénaires, Charlie Benante (60 ans). L’opportunisme marketing de cette nouvelle tournée ne change rien à une donnée fondamentale de l’équation des Cowboys from hell : même au sommet des ventes d’albums US tous genres confondus en 1994, le groupe n’a jamais fait l’unanimité chez les métalleux.

Coqueluche des teenagers de la fin du siècle dernier portés sur le défonçage de placoplâtre à coups de tête, Pantera symbolise une très urticante forme d’abêtissement pour les esthètes (…) biberonnés au métal technique de la décennie 80. En effectuant un pas de recul, la vraie inconnue était plutôt la suivante : attendu que le groupe fonda son succès sur le son monstrueusement régulier d’un moteur à 18 cylindres en V, comment résonnerait-il avec deux pièces de rechange aussi fondamentales qu’un batteur et un guitariste ? On mit quelques minutes à être fixé ; enfin « on », disons le public des Mainstages un peu concerné par la question, alors que pas mal de gamins présents semblaient s’être positionnés pour le concert de Slipknot programmé juste à côté dans la foulée (NB : les puristes font à peu près les mêmes reproches aux dingos de l’Iowa qu’ils faisaient déjà aux furieux du Texas). Après A new level et Mouth for war, deux monuments de l’album culte Vulgar diplay of power, le doute était permis. Puis tout s’est mis en place d’un coup. Autrement dit, ça a cliqué. La machine Pantera s’est lancée, écrabouillant force veuves et orphelins sur son passage. Peu importait que son frontman ait désormais la mobilité sur scène d’un crooner de karaoké aux lombaires à vif. Sur une setlist sans compromis faisant la part belle à ses titres les moins délicats (Suicide note part 2, bon sang), le groupe hybride a roulé sur ce qui restait du Hellfest, laissant à Slipknot le loisir de l’achever à coups de talon rageurs. Et Phil Anselmo de conclure seul en scène sur le dernier vers de Stairway to Heaven, soucieux que « la fin soit parfaite ». Puis de repartir comme un prince, pantoufles à la main.

En 1965, les Who inauguraient My generation. Il y était question de mourir avant d’être vieux. Alice Cooper avait à peine 18 ans ; on peut considérer que tous les musiciens mentionnés dans le présent papier ont grandi avec. Pour la plupart, ils ont aujourd’hui passé la soixantaine, et parfois de beaucoup. Or peu d’entre eux paraissent vraiment pressés d’être morts, voire d’arrêter leur carrière, bien qu’on les imagine assez lucides pour savoir les outrages du temps. Combien d’années resteront-ils vendus comme têtes d’affiche en festivals ? Cette question de fin de Hellfest est aussi rituelle que le jeu des 7 différences du début, quand les festivaliers arpentent en sens inverse les tronçons de nationale neutralisés qui les ramènent une dernière fois jusqu’aux parkings. Alors que Judas Priest nous pend au nez pour l’an prochain – ils ont annoncé une nouvelle galette pour début 2024 – on sait bien que la plupart des autres groupes de dimension adéquate approchent eux aussi leur date de péremption. En tout cas, ceux qui sévirent dans les années 80. S’il nous reste une planète d’ici une décennie, les Hellbangers devront apprécier nu-metal et metalcore pour profiter de leur festival. La perspective a de quoi faire flipper comme pas possible plus d’un retraité prévisionnel de la décennie 2030. D’ici-là, chaque année gagnée sur la fin d’Iron Maiden en aura valu la peine. En tout cas, c’était le cas en 2023.

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