En 2009, leur premier disque avait été flashé en plein excès de vitesse sur les nationales d'un pays jusque là habitué aux poids lourds. Deux ans après « A71 », les rois mages reviennent pour coller une autre image, à la fois plus précise mais toujours aussi fuyante, de ce que devrait être le rock français dans les cols escarpés. Attendus au tournant par les uns et méprisés par les autres, Mustang change de braquet. Tabula rasa ? «Tabou» l'est. Alors plutôt que de pédaler dans la semoule, Mustang défonce les préjugés. Même les miens.

La dernière fois qu’on s’était croisé, c’était dans un bouge bruxellois digne des décors de Happy Days. Mars 2011. Jean Felzine et ses deux compères rodaient leurs nouvelles chansons loin de la capitale, et l’auteur de cet article avait cru voir, par intermittence, le sosie de Jack White s’échinant sur son manche pour donner un semblant de futur à la chanson française. Quelques nouveaux titres – La princesse aux petits pois, Tabou – avaient ému l’audience, et l’on était encore loin de se douter que le deuxième album sortirait si vite du garage, au propre comme au figuré. Tout cela, c’était il y a déjà des plombes. Car le temps passe très vite en Mustang.

Nous voilà déjà en septembre. La machine promotionnelle s’est mise en marche, on devine au loin le Tabou des rockeurs de Clermont-Ferrand prêt à débouler sur les ondes, dans les iPhone, sur les enceintes, dans les bars et les bordels ; les p’tits gars dans les starting-blocks pour défendre le divin enfant au prénom si atypique. Tabou, pour en finir avec les clichés, les incompréhensions et la prohibition complexée, s’affirmer à même pas 24 ans comme une alternative à un genre qui ne l’est plus du tout. Après les 5000 disques écoulés du premier accident, que reste-t-il de leurs premières amours ? Pas grand chose. Exit les Jukebox, les clichés JohnnyCashesques et les costumes à la Mad Men, Mustang semble avoir rangé la gomina au fond du placard et fondu ses jeunes rides sur les microsillons. Lassés des (décalco)manies, il y a comme du changement dans l’air. Si la biographie décrit encore le groupe comme « la rencontre entre Elvis et Suicide », force est de constater qu’il n’y a pas plus d’insouciance sur ce deuxième album que de tabous dans les peep-shows de Pigalle.
Mixé par Alf – responsable des disques de Air, Tellier, Fleurent Didier, soit des pans entiers de discothèques de trentenaires – Tabou déçoit à la première écoute, sans qu’on sache vraiment pourquoi. Est-ce la fureur de vivre, visiblement si chère à ce Jean aux allures de James Dean, qui vient à manquer, ou simplement cette impression de déjà-vu qui rend l’objet si prévisible qu’on en vient à – déjà – regretter Anne Sophie et Le pantalon ? Les Mustang auraient-ils retourné leurs chaussettes noires ou, pire, vendu leurs âmes à la mélodie radiophonique ? Que nenni. Que dalle. A force d’écoutes prolongées, Tabou délivre enfin sa vérité : Mustang a simplement changé la taille du costume, passant en l’espace de deux disques du statut de rockeurs outsiders à celui de compositeurs confirmés. Changement de moteur, vidange. Si A71 était le résultat d’une adolescence à ronger le frein, Tabou s’est écrit à tout berzingue, à la fois moins chargé en influences encombrantes – le Velvet, Buddy Holly – mais également plus tourné vers la variété française d’antan. En ligne de mire : Michel Polnareff et une certaine idée du tube implacable. La preuve en riff, avec une dédicace subtile (J’fais des chansons et son intro chipée au Roi des Fourmis) ou en valse au piano avec un Où devrai-je aller ? qui ressemble, dans sa crise existentielle, au Sous quelle étoile suis-je né ? de l’ancien yéyé. Entre ces deux chansons, un yoyo entre le rock savamment orchestré (Ce qui m’branche), la chanson vaguement engagée (Tabou), le hit artisanal fait maison (La princesse au petit pois) et la perle magistrale (Restons amants) à la mandoline. Non contents d’avoir déçu les durs en cuir et autres puristes du rockab’ sur son premier disque, le trio fait le pari de bousculer les convertis avec son Tabou transformé en break familial. Courageux, inconscient, vertigineux. Quand on vit dans l’espace, la Terre est toujours basse. Passons à la rencontre.

La bande-témoin affiche 49 minutes de discussion, pas sûr que la rencontre réponde à toutes les questions.

Jean (Guitares, claviers), Rémi (batterie) et Johan (basse) sont attablés là comme trois patients en attente d’un premier verdict. Leur disque est-il à la hauteur des ambitions ? Tabou parviendra-t-il enfin à les laver de tous soupçons ? Bien difficile de répondre, quand l’une des plus belles chansons du disque (Où devrais-je aller) ne tient que sur un fil. Était-ce une manière de sortir des clichés et d’éviter les redites ? A bon crooner, tout honneur, Jean hésite puis prend la parole. Pour lui, les nouvelles chansons sont dans la continuité de celles du premier album, « avec un slow un peu machin, des trucs un peu marrants et d’autres un peu plus doux, cette l’impression que Tabou comporte un équivalent de chaque chanson d’ A71 ». Oui mais alors, le versant pop variété, d’où sort-il ? « Bon ça c’est vrai qu’il y a moins de trucs fifties, en même temps on nous a tellement fait chier [avec ça]… ». Rémi ajoute qu’ils ont simplement cherché à faire de bons morceaux, comme sur le premier, et le bassiste espère que le disque permettra de dissiper les malentendus sur le groupe rockab’ qu’ils ne sont pas. Ou pas seulement. Mustang, c’est autre chose, mais on ne sait pas bien quoi. A 23 ans de moyenne d’âge, l’avenir devrait théoriquement appartenir à Mustang. Comme sur les cartes Michelin, tout se résume encore au choix des itinéraires.

Derrière les sourires Colgate et la pause à la Salut les Copains, l’art de la photo de presse est toujours un exercice ô combien révélateur.

Décortiquons, si vous le voulez bien, celles de Mustang. Si la gomina reste en surbrillance sur le papier glacé, les garçons ont troqué les vestes à franges contre des tenues civiles ; on croirait presque à une séance mode pour H&M avec, derrière le flash aveuglant des projecteurs, cette envie d’apparaître au naturel, libérés de la pression des cuirs moulants. Et puis cette pochette de disque, un peu encombrante, qui pourrait aussi bien être celle des Naasts ou de Second Sex que ça ne changerait pas grand chose. Ont-ils retourné leurs doublures pour se transformer en gendres idéaux ? « Euh… disons que c’est moins collège… » répond Jean, « on a mieux digéré nos influences fifties » surenchérit le bassiste. En tout cas, ils écoutent toujours la musique des années 50, voilà pour les mauvaises langues, pas question de les titiller sur un changement de cap. Et les synthés de C’est fini (la chanson de clôture de A71, reprise élégante et discrète d’un morceau d’Aphex Twin), ils sont passés où ? « C’est marrant que tu dises ça, il y en a quelques uns sur le nouveau disque, des vrais ». Pas facile d’arracher à Mustang une réponse qui tienne la route. Mais le changement d’axe, à les écouter, ce n’est certainement pas une manière de régler les comptes avec les malentendus. Ou alors, pas que. Plutôt la recherche du groove, un élément absent du premier disque, et la quête de modernité, cet instant où le groupe parvient comme dans un final à l’américaine à toucher du bout des doigts le désir inconscient des auditeurs. « On a simplement fait un disque qu’on aurait aimé entendre en français » explique Jean. Point barre. Ça se passe d’explications métaphysiques, non ? Chez Mustang, le moderne n’a pas vraiment de sens, les décennies s’empilent sans distinction dans un grand baril intemporel. Forcément, à ce petit jeu de la mélodie qui vieillit bien, pas besoin de faire trois tours de France pour tomber sur Christophe, le maillot jaune des synthés sans âge. Mustang adore, et le cite en référence (« Ce mec a tout compris ») et puis Polnareff aussi, vieux parrain bouclé qui revient en ombre chinoise sur Tabou et qui, à force de clins d’oeil textuels, finit par s’imposer comme un GPS de la Mustang. Le roi des fourmis, ils ont d’ailleurs prévu de la reprendre en concert. Je leur souhaite, sans cynisme, plus de réussite qu’avec leur version de La nuit je mens, reléguée à l’arrière des berlines sur le supplément digital du tribute à Bashung.

Sur leur disque comme en terrasse, les trois de Mustang semblent avoir terriblement vieilli.

Hier l’innocence, aujourd’hui l’ambition. Sacré fossé, sacrée balafre que ce temps qui passe. Mais ne pas confondre carriérisme pressé et sens des responsabilités ; dans un pays où le moindre échec musical répété équivaut peu ou prou au silence radio, la démarche de Mustang est la bonne. Conquérir vite plutôt que de brailler pour les foules éparses. Le temps leur semble-t-il compté ? Hochement de tête. « À déjà 23 ans, combien de disques les Beatles avaient-ils déjà sorti ? » s’interroge le chanteur, « on ne sera bientôt plus des jeunes, et puis on fait déjà pas mal de chansons de vieux ». Dans le mille. Tabou est un disque qui, à défaut de jouer la pose, est posé. Réfléchi, mais sans calcul. Mature, mais sans les rides. « Quand je vois les jeunes d’aujourd’hui » martèle Johan le bassiste, « il n’écoutent plus beaucoup de rock, alors oui, peut-être qu’on fait une musique de vieux ». Comme un swing en décalage, avec le pas de côté.
La vraie force d’une Mustang, comme chacun sait, se situe au niveau du moteur. Au sein du groupe, c’est au niveau des paroles que se situe le carburateur. C’est même un signe de distinction, quand tant d’autres cherchent encore à pasticher les collègues londoniens. L’anglais, Jean n’y a jamais pensé. Impossible pour lui d’imaginer une chanson dans une autre langue que la sienne. A l’avenir, il aimerait tout de même écrire sur des choses plus politiques, « enfin pas politiques » précise-t-il avec ce tic d’autocorrection permanente. En arrière, en avant, comme dit la chanson… « En tout cas arrêter de passer par le je dans l’écriture, peut-être faire comme Dylan qui disait un jour qu’il lisait beaucoup les journaux ». Ecrit en réaction à l’écologie vendue comme des barils de lessive, la chanson Tabou n’est pas selon Jean une chanson engagée, pas plus que Le pantalon sur le premier disque. Le vrai, le seul, problème du parolier de Mustang, au fond c’est son incapacité à pratiquer le second degré et la prise de distance avec ses chansons : « Tabou, c’est juste une histoire, celle d’un mec saoulé par les sermons écolos à la TV, lui s’en fout parce qu’il s’est fait largué. Enfin bref, c’est encore une chanson d’anar’ de droite, je suis presque mal à l’aise avec cette chanson, faut pas croire, t’es pas toujours responsable de la chanson que t’écris ». Et lorsqu’on lui demande s’il a eu un jour peur d’être dans le circuit pour amuser la galerie, la réponse de Jean botte en touche : « ça m’aurait pas forcément gêné, sauf qu’on n’a pas diverti grand monde en vrai ! ». Rire jaune. Indépendants mais signé en major, envie de radio mais sans compromission, engagés dans l’esprit mais peu adeptes des grandes déclarations, Mustang a toujours le cul entre deux chaises, et je peine encore à comprendre leur idéal absolu. Je leur pose la question :

Moi j’aimerais qu’on vende des disques, dit Jean.
Moi j’aimerais qu’on gagne du blé, répond le batteur.
Moi je pense davantage comme un vieux, plus tard j’aimerais bien regarder derrière moi et me dire que j’ai appartenu à un groupe de rock qui a fait des choses, des chansons dont les gens se souviennent, dit le bassiste.
Moi j’ai surtout envie de gagner un paquet de blé, répète le batteur. Je compte bien gagner assez de fric avec Mustang pour pas avoir à travailler plus tard.

L’interview s’étire en longueur, ça parle pognon et rémunération, jobs alimentaires et contraintes de l’artiste. Mais si toucher des royalties et des avances pourrait pour d’autres être un cadeau bien mérité, pour Jean ça semble manifestement être à double tranchant : « Parfois quand on me demande ce que je fais, je me sens un peu honteux. Je ne suis pas toujours très fier de faire ce métier, moi j’ai pas l’impression de travailler, c’est un peu indécent d’être chanteur. Oui, j’ai du temps pour faire des chansons mais bon… ». Silence. Phrase en suspens et ellipse, Jean a encore du mal à accepter son statut d’auteur à temps plein, lui qui pourrait faire valser les pantins de la chanson française sur un claquement de doigts, oui, ce type au physique de Dany Brillant hésite à appuyer sur la gâchette. L’objectif de la bande, c’est de parvenir à un disque encore plus immédiat. « Et enfin faire un chef d’oeuvre », rajoute Jean, « car tôt ou tard on y arrivera ». C’est quoi un tube idéal ? « Un truc dansant, du groove, une mélodie balaise ». Avec Elvis et Polnareff dans le rétroviseur, peut-être madame Michu dansera-t-elle enfin sur du rock français, une main dans la mesure et l’autre dans l’évier. Et d’ailleurs, un message à lui faire passer à cette madame Michu qui n’existe que l’imaginaire des pros du marketing ? « Restons amants, madame Michu, restons amants » conclue Jean, rigolard. Ce sera sa seule prophétie. A l’horizon, un fantasme utopique : faire un disque en prison avec Phil Spector. En attendant, leur cage de métal s’appelle la France. Espérons qu’ils sauront s’échapper, avant que le temps ne les rattrape.

Mustang // Tabou // Sony (sortie le 24 octobre)
http://www.myspace.com/legroupemustang

En concert à la Gaité Lyrique le 27 octobre

4 commentaires

  1. les derniers des Bevilacqua?
    Bel article pour un groupe qui intrigue et fascine par ses facilités.
    peu probable malgré tout qu’il soit un jour invité à Coachella l’année prochaine…

  2. J’ai entendu les mustang dire que le deuxième serait achement raw power et tout et tout et finalement on tombe un peu dans la pop variét sur l’action. j’ai peur d’être bien déçu par ce groupe qui écrit peut être mieux mais pourrait aussi sombrer dans un conformisme gênant

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