Oui, il faut lire. Et c'est encore mieux de savoir qui lire, comment, pourquoi et quoi. Comme vous êtes tous un peu paresseux, on vous mâche le travail dans une subjectivité parfaitement assumée. Peut-être même que, si vous êtes vraiment flemmard, vous trouverez souvent ici de quoi frimer sans avoir besoin de lire quoi que ce soit. Mais ça c'est mal. Lisez donc!

Donald Ray Pollock
Ecrivain américain vivant, né dans l’Ohio en 1954.
Un recueil de nouvelles et un roman à son actif.

C’est qui ?

Un employé d’une usine de pâte à papier du fond de l’Ohio. Quand j’ai entendu son nom pour la première fois à la radio, je me suis dit qu’on allait encore avoir droit à un écrivain de polar à deux balles, récemment alphabétisé dans ses montagnes peuplées de consanguins enfumés. Ce type, peut-être consanguin mais pas con, a décidé d’entrer à l’université à 50 ans pour écrire. Des nouvelles d’abord, Knockemstiff, (nom du bled dont Pollock est originaire – et qui après un tour sur Google images, a l’air digne d’un film de Rob Zombie) puis comme c’est sympa aussi, un roman Le Diable, tout le temps, élu meilleur roman de l’année 2012 par le palmarès L’Express/Lire. Tout un programme.

Il parle de quoi ?

De la vie quotidienne de débiles profonds, violents, consanguins, drogués, alcooliques, bagarreurs, illettrés, bigots… Enfin, des vrais gens très folkloriques qui ont l’air de peupler l’Amérique profonde, ce qui rend plus frileux quand au fait de traverser le pays au volant d’une Dodge. Même David Lynch n’en voudrait pas comme figurants.

Pourquoi c’est bien ?

Parce que ce type est un conteur né. Ses nouvelles, d’abord, sont de véritables bijoux de psychologie, de descriptions, d’humanité. C’est paradoxal de parler d’humanité dans le cas des tarés dont il fait le portrait, mais c’est comme ça. Donald Ray Pollock arrive à rendre attachant un chômeur alcoolique qui tabasse sa femme. Il arrive à extraire le beau, l’absolu de chaque individu, de chaque situation, même au coeur de la misère la plus sordide. Jamais obscène, toujours entre le glauque d’un naturalisme nouvelle génération et la réalité supposée, entre la perdition et l’aspiration, entre le trash et le sublime, Donald Ray Pollock réussit un tour de force littéraire sur le fil. Il n’est pas plus extrême que Zola dont il s’avère même proche au niveau de l’intention, et du procédé descriptif. Les données culturelles ont un peu changé depuis Germinal.

SSCC-knockemstiff-author-POLLOCK

Son roman, Le Diable, tout le temps, est du même acabit. Il décrit les trajectoires croisées de quelques personnes prises au piège avec leur histoire, leurs pulsions et leur aveuglement dans une sorte de polar très réaliste. Si la forme est aussi parfaite dans son roman, très maîtrisé, que dans ses nouvelles, ses textes courts dégagent plus de brutalité, à tous les sens du terme.
Il rappelle un peu Flannery O’Connor, cette écrivain du Sud des USA, spécialisée dans les portraits de bigots cruels et stupides, un peu Faulkner dans la flamboyance des événements, un peu Carver dans le sens de la description et du détail qui tue. Mais en même temps, pas du tout : Pollock a un style unique, fulgurant, surdoué. Et il n’est pas sudiste.

Il faut lire quoi ?

Vu qu’il n’a écrit que deux livres, pas besoin de trop réfléchir. Commencer par les nouvelles permet de bien entrer dans l’univers, mais risque d’affadir le roman. S’il fallait faire un choix et un seul, ce qui reste une très mauvaise idée en littérature, ça serait Knockemstiff.

9 commentaires

  1. Un petit commentaire pour soutenir l’initiative, car si le papier mérite un minimum d’attention, Donald Ray Pollock en mérite, lui, un maximum.
    Commençons par la fin et affirmons que Donald Ray Pollock EST sudiste. Parce que le coin d’où il vient se situe bel et bien au sud de l’état de l’Ohio (et par conséquent dans la redoutable et redoutée « Bible belt »), parce qu’il fait voyager ses protagonistes jusqu’en Virginie Occidentale (par le célèbre pont de Point Pleasant ? Ses ouvrages ne le mentionnent pas explicitement, pas plus que le « Mothman » n’est évoqué, mais c’est rigolo de le deviner – je m’autorise une digression), parce qu’être estampillé « écrivain du sud » de l’autre côté de l’Atlantique, ça en impose, c’est cachet, c’est roots, et moi, personnellement, ça éveille mon intérêt.
    Contrairement à d’autres écrivains (Mark Richard, Michael Guinzburg, Iain Levinson, j’en oublie) dont les bio vantent le fait d’avoir fait plein de boulots différents dans plein d’endroits différents, Pollock a toujours eu le même job, et il l’a exercé au même endroit, et pendant très longtemps. Ça marque un homme. On peut parler de psychogéographie, mais il faut savoir de quoi on parle (et d’où on vient). Il n’a pas eu l’audace d’intituler son premier recueil de nouvelles « Knockemstiff-en-Ohio » mais il aurait pu. Le clin d’oeil à Sherwood Anderson est suffisamment évident (jetez aussi un oeil à « Bethlehem, Texas » de Christopher Cook , dans une veine pas si éloignée). Alors le roman « Le Diable tout le temps », évidemment, quand on cause violence et religion, il est pas possible de ne pas ramener Flannery O’Connor sur le tapis. Je ne condamne pas la référence, mais je me chagrine de celle (plus cliché tu meurs dans d’atroces souffrances) faite aux « débiles profonds etc. » parce qu’elle ne rend pas compte de la compassion portée aux « petites gens », en dépit de leurs tares, insuffisances ou obsessions destructrices, c’est ça qui me botte chez les écrivains du sud (et quelques chanteurs country aussi) : l’égard envers les « petites gens » (et j’écris « petites gens » sans aucune forme de condescendance : j’en fais partie!). Alors oui, lisez Donald Ray Pollock (et Ron Rash, William Gay, Glenn Taylor, Tom Franklin, Lee Smith, Daniel Woodrell, j’en oublie); regardez « The true meaning of pictures », « Searching for the wrong-eyed Jesus », « Holy ghost people », « Seven myths », « The dancing outlaw », j’en oublie); écoutez Johnny Cash, Hank Williams, Dock Boggs, Sarah Ogan Gunning et rappelez-vous la phrase de Robert Crumb dans le film éponyme au moment où passe « Last kind word blues » de Geeshie Wiley : « Quand j’écoute de vieux disques, ça me réconcilie presque avec l’humanité. C’est la plus belle part de l’âme populaire. C’est là que s’exprime le rapport à l’éternité, or whatever you call it ». Rappelez-vous. Parce que moi, j’en oublie.

    1. Cher Anonyme III, merci pour ton name dropping, si ça te permet de te sentir trop swaggy, tant mieux. Petite nuance, dans tout ce que tu étales comme un pâté aux rillettes sur une biscotte (trop de trop tue le trop, sache-le) : l’Ohio n’est PAS le Sud, ou alors, Dunkerque est sur la Côte d’Azur. C’est un état du Midwest, et cette nuance géographique me semble justement intéressante quand on a un style aussi proche des écrivains du Sud, spécialisés dans les « petites gens » ou tarés consanguins, comme ton orientation idéologique te le dicte. Non que je dise que tu es un-e taré-e consanguin-e, mais si tu te sens proche des sniffeurs de colle qui baisent les petites filles dans les buissons et ont une femme schizo qui tète des cubes de poissons pané, chapeau bas, HIHA!

      1. Faites le compte, chère Tara, il y a moins de noms (titres de films et de chansons inclus) dans mon commentaire que sur la page d’accueil de Gonzai. Alors, pour ce qui d’en faire trop, hein, repassez-moi le fer.
        Au-delà des généralisations hâtives et des idées reçues, si les questions de particularité ethnique et/ou de patrimoine génétique vous intéresse vraiment (vous reprendrez bien un peu de rillettes?), feuilletez « Poor White Trash » de Sylvie Laurentou, en langue anglaise, « The Redneck Manifesto » de Jim Goad.
        Ou reprenez une par une les références du premier commentaire (ça vaut toujours, et sans me faire le coup de la fille blasée au bord de l’indigestion, cette fois), vous découvrirez (c’est un jeu très amusant vous verrez) qu’il y en a une qui dépasse les limites strictement géographiques de ce que l’on a coutume d’appeler « Le Sud ». Saurez-vous découvrir laquelle ?

  2. Ce qu’il y a de fou avec le fait de laisser des commentaires sur les sites, c’est que les commentateurs finissent toujours par déraper et tomber dans la revendication. J’espère bien qu’il y a moins de références dans ton com que sur la page de Gonzaï! C’est un peu la différence entre un magazine et un commentaire, en fait. Comme si une sorte de complexe finissait par s’instaurer, même quand, dans ton cas, on a des choses à dire et qu’on ne fait pas trop de fautes d’orthographe. Ramener ta science, c’est agaçant, tandis que dialoguer, c’est intéressant. Dommage que tu mélanges les deux.

    1. « Vous trouvez mes papiers byzantins et morbides ? eh ben, vous en aurez double dose ! »
      (Philippe Garnier)

      « La conversation serait sérieuse, d’un niveau élevé, peut-être même vive et intelligente.
      Ça ne se passa pas ainsi »
      (Janet Malcolm, Le journaliste et l’assassin)

      Agacement ? C’est légitime (et réciproque). Sur le nombre, on peut aussi escompter d’autres types de réaction, pourquoi pas par exemple de la part d’un lecteur qui ne confondrait pas étalage de science et partage d’informations. Une personne dont le caractère serait fait de curiosité, d’ouverture d’esprit et d’absence de partis pris. Et qui s’intéresserait à l’Amérique dite « profonde ». Ça existe.

      PS : n’oubliez pas Donald Ray Pollock : c’est lui qu’il faut lire. Pas ces badinages crispants, d’une décourageante stérilité.

  3. « ouverture d’esprit » ? Lol comme disent les jeunes, avec ou sans #… Bref, sympa d’enfoncer une porte qui n’existe pas, après ta description personnelle pour site de rencontres par affinités, mais le but de l’article et le concept du Must Read, c’est donner envie de lire. Je pense que les lecteurs de Gonzaï ont un cerveau.

  4. « Je pense que les lecteurs de Gonzai ont un cerveau » (sic). J’imagine que vous avez fait des recherches et que n’avanceriez pas un tel argument sans vous appuyer sur des preuves tangibles.
    De toutes les généralisations (les tarés consanguins ceci, les commentateurs cela, les jeunes autre chose) que vous enfilez à chaque intervention, celle-ci semble effectivement la moins sujette à controverse. Manquerait plus que vous tombiez sur l’exception décérébrée qui infirme la règle, ce serait franchement pas de bol.

    PS : pour ce qui est de donner envie de lire, je ne peux que réitérer mes encouragements initiaux, parce que, croyez-moi, il y a des progrès à faire.

  5. Merci à Anonyme III pour ce fabuleux commentaire, plein de références et présenté dans un style qui donne envie d’approfondir ses recherches. Un commentaire plus intéressant qu’un article, c’est suffisamment rare pour être souligné.

    Quand aux remarques de tara, que de mépris de la part de quelqu’un qui n’apporte rien au débat.

    En espérant qu’Anonyme III ne se sera pas découragé à la lecture de cette unique et ingrate réaction et qu’il aura su et pu partager sa passion pour la littérature ailleurs, internet est grand …

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