Un brin craintif et blanc comme un épileptique pendu au son de Joy Division, Lescop n’est pas le sosie de voix d’Etienne Daho, il ne fait pas dans la new wave réchauffée ni dans la musique française de couvent. Lescop n’est pas celui que l’on fantasme à tous les coins de rue, Mathieu n'est pas celui qu'on croit. Il est juste lui, saltimbanque d’une génération froide à qui Marlene Dietrich, les nuits blanches et la boîte à rythme inspirent autre chose que la vie normale.

À quelques semaines de la sortie de son premier album homonyme produit par John de John & Jehn, j’ai rendez-vous avec Lescop pour un face à face dans les canapés à demi troués de Mains d’Œuvres, à Saint-Ouen. Le bar est vide, je guette l’arrivée du chanteur à tête d’elfe, prêt à en découdre avec l’auteur d’un premier EP qui me plaît de trop. Étrange sensation de coup de foudre, trop rapide, pas assez réfléchi, usurpé peut-être. C’est d’une poignée de main naïve que j’accueille Mathieu, dans son propre monde, à deux pas de sa salle de répétition.

Ta collaboration avec John & Jehn saute rapidement aux oreilles, je me rappelle très bien ma rencontre avec eux et leurs goûts éclectiques, entre pop complexe et Roxy Music. Est-ce là une base fondamentale de votre rencontre ?

Je les connais depuis l’époque de Asyl, mon ancien groupe ; une amitié est née entre nous et c’est très logiquement que l’on s’est mis à bosser ensemble. Alors effectivement, nous avons des goûts en commun à la fois sophistiqués et populaires, de Steve Reich au best of de Roxy Music. Mais notre véritable ambition c’est une musique faisant appel à la fois au système nerveux et au cerveau. Aujourd’hui, il y a toujours un choix soit de la musique « beat/beat » en mode frissons dans la colonne, soit l’intello de service qui emmerde le monde avec des textes français à arrangements imbitables. Nous avons voulu créer ce savant mélange, si rare de nos jours. 

Quelles relations entretiens-tu avec eux pour leur avoir fait une confiance si aveugle pour ton premier EP ? Je pense notamment à la production de John, omniprésente sur tes chansons.

Au départ ce sont mes textes. Ensuite viennent se greffer des gens de talents : Gaël, mon guitariste, également à l’origine de la pochette, graphiste hyper talentueux, John, un producteur super doué. Je laisse ce petit monde travailler, les yeux fermés. Je ne suis pas là à pinailler leurs décisions. Je suis très ouvert, j’écoute chaque critique, chaque nouvelle idée et si elle est meilleure que la mienne, on l’intègre au projet. Ce qui est sûr c’est que nous prenons les choses très à cœur, considérant la musique comme quelque chose d’entier, pas un truc pour rigoler le soir autour de bières. Tous les gens qui ont apporté quelque chose à la musique sont des gens qui savent la vivre à 200 %, qui savent se mettre en danger. Tout ce dont parle Rilke dans « Lettres à un jeune poète » : le risque de devenir artiste.

Une foule de références pèse sur ta musique, de Daho à Darc en passant par Marquis de Sade, sans parler de ta danse épileptique. N’as-tu pas peur de perdre ta personnalité et qu’elle soit ainsi noyée sous tout cela ?

Alors là non. Je n’y ai jamais pensé.

N’as-tu pas peur de ne pas avoir mis assez de « toi » dans ce projet ?

Non, car je pense que c’est faux. Les références font parties de moi. Seulement moi. Tu es le premier à évoquer une telle chose.  Ce qui est sûr, c’est que si tu commences à avoir peur de faire du « sous-quelque chose », tu ne fais plus rien. Quand un artiste est nouveau, on lui cherche toujours des références, et c’est bien naturel. Tu voles bien sûr mais créer c’est voler, pas plagier. Tu n’imites pas mais tu t’appropries des choses qui ne viennent pas de toi, tu les consommes et tu t’en nourris. Et de toute manière, pour moi il est bien plus important de passer par des référents culturels hors musique. Je pense très peu au poids des références, car les miennes sont majoritairement graphiques et esthétiques.

« J’écoute de la musique pour qu’elle change ma vie. »

Parlons du chant en français. Il y a une émulation en ce moment, avec La femme ou Mustang notamment. Est-ce que les groupes français qui chantent avec un anglais généralement mauvais t’agacent, te bouffent ?

Ce qui me dérange ce sont les gens qui ne travaillent pas, qui ne se posent même pas la question, qui se disent sans réfléchir que chanter en français c’est forcément trop complexe, on baigne dans une fainéantise ambiante. Pour moi l’anglais est un nivellement par le bas, et que pour nous, Français, c’est une privation. La meilleure manière de faire vivre tes textes c’est de les chanter dans ta langue. Ce qui m’agace surtout ce sont les groupes qui font de la musique moyenne. La musique ce n’est pas ça, il faut que ce soit éblouissant. Ça me fait chier quand on me dit « écoute ce disque, c’est pas mal ». Non, je n’écoute pas de la musique pour ça, j’écoute de la musique pour qu’elle change ma vie.

Malheureusement, nous sommes dans une période où les disques sont « pas mal » ; c’est branché, ça s’écoute une fois et ça s’oublie cinq minutes après. C’est une nouvelle époque, et honnêtement, des groupes qui ont changé ta vie ces cinq dernières années ? Il n’y en a pas, j’en suis sûr.

Il ne faut pas le voir ainsi. Je n’ai plus 20 ans. J’ai lu une interview de Salman Rushdie qui haranguait les gamins de 15 ans à écouter le maximum de musique car quand ils grandiront, ça n’aura plus jamais le même goût ni la même importance, tout comme ta première histoire d’amour. J’ai un frère de 20 ans, pour lui Tyler the Creator est aussi intense que ma découverte de Nirvana.

« Mais j’en ai rien à foutre de la new wave ! »

On connaît aujourd’hui un revival, notamment avec le label Born Bad Records, Violence conjugale, la scène new-yorkaise, les rééditions Minimal Wave. C’est quoi, la morosité d’une génération perdue ? 

Je pense qu’il y a un phénomène naturel et cyclique de mode, associé à ces années actuelles de crise, qui ressemblent étrangement aux années post-chocs pétroliers. Mais moi, j’en ai rien à foutre de la new wave, je ne suis pas du tout dans un trip nostalgique. Quand on prend mon titre La forêt, c’est devenu « new wave » par pur hasard. La boîte à rythme a été foutue là car personne n’arrivait à jouer la ligne de basse. Mes textes sont froids, la musique composée par la suite donne forcément ce trait-là. C’est tout.

Beaucoup de projets français ont été acclamés par la critique mais se sont vautrés commercialement ; comment vois-tu le public français et surtout sa culture musicale ?

Moi je trouve le public français très bien. On lui a reproché de délaisser les salles de concert mais c’est simplement parce que justement, il a de l’oreille et qu’il ne se déplace pas pour du mauvais son. Et on est tellement assailli de médiocrité ambiante que le public français préfère le cinéma qu’une daube en live. Ce n’est pas un problème culturel, quand on voit La Femme qui remplit les salles par exemple.

Enfin bon, La Femme c’est 300 exemplaires vendus, et Mustang ne s’envole pas…

Écoute, moi je suis égoïste. Je ne suis pas dans un esprit global de vouloir créer le mouvement qui va prendre, c’est très français cette manière de réfléchir, cette idée de « nouvelle scène ». Une nouvelle scène se crée naturellement avec des guerres d’égos et surtout un vivier de talents qui, à une époque donnée, à un moment précis, se recoupe pour créer une effervescence. Il faut être individualiste et penser à son identité, la cultiver. Et au bout d’un moment, de l’excellence sortira et une scène pourra peut-être naître. Faire du rock c’est pas faire une manif, se regrouper et gueuler plus fort que les autres.

L’émotion par l’image est indissociable de la musique. Quand tu écris tes textes, as-tu des œuvres qui te portent et te mettent dans un état de poésie remarquable ?

Complètement, j’essaie d’écouter de la musique mais de m’en inspirer le moins possible, ou alors de m’inspirer de la façon de faire. Au début du projet j’écoutais beaucoup Jeremy Jay, un son épuré, des textes simples qui m’ont touché, mais jamais je n’essayerai de reproduire ce putain de son de basse. Pendant tout mon processus d’écriture, c’était bien sûr Jean-Pierre Melville, la nouvelle vague française, Bergman, qui m’ont porté et élevé.

En quoi la nouvelle vague t’intrigue et t’inspire ?

Ce sont des gens qui ont voulu faire du cinéma en regardant des films américains mais en les réalisant à la française, avec des Gitane au bec ; Lescop c’est ça. Il faut savoir faire référence à sa propre histoire. Poétiquement, on a un héritage énorme. Il faut s’en inspirer. Pourquoi devrions-nous, en tant qu’Européens, s’inspirer d’une culture américaine qui s’est elle-même nourrie de la nôtre ? Autant directement se nourrir de Brecht, Godard, Baudelaire, Goethe et j’en passe.

Qu’est-ce qui t’intrigue dans les héros de guerre comme le Baron Rouge ou Georges Guynemer, que tu cites souvent ?

Ce sont des personnalités, des super héros, des aventuriers farfelus qui cultivent leur personnalité, des « pop stars » lookées qui signent des autographes. Ça me fascine. Ce n’est pas le côté glauque de la destruction venue des airs mais vraiment ces personnages inouïs qui ont su créer une légende autour de leur personne.

Au final, ta démarche aurait pu être purement littéraire ?

Non, je suis seulement capable d’écrire en chansons, exprimer mes émotions, mes tortures par du texte posé sur un rythme. Et je pense d’ailleurs que la lecture de mes textes sans ma musique n’a aucun intérêt.

Lescop // EP déjà disponible, premier album « Lescop » à paraître en septembre
http://www.popnoire.com/lescop_fr 

4 commentaires

  1. l’EP de La Femme sur le Podium a été tiré à 500 exemplaires et il est parti rapidement!
    c’est plutôt une belle performance pour un premier EP et sorti sur un label français!
    ils ont ressorti les morceaux sous la forme de 2 45tours pressé à 1000 copies chaque

    par contre je crois que c’est le seul EP de la série « Le Podium » à avoir été tiré à 500 (les autres sont à 300)

    500 dans l’état du marché actuel c’est vraiment bien.
    Aujourd’hui le pressage de base d’un vinyle c’est entre 300 et 500, en particulier en France et cela risque même de baisser (je vois de plus en plus de disques tirés à 250 voir 100 copies)

  2. Globalement, j’aime bien ce qu’il dit le gars, sur l’égoïsme, le fait que le rock c’est pas une manif et l’anti-américanisme en musique… Mais je sais pas, globalement, je trouve qu’il y a aussi quelque chose qui cloche dans ce qu’il dit, ses prétentions, je sais pas trop quoi… A voir.

    Sylvain
    http://www.parlhot.com

  3. Je l’écris ici comme je le dis ailleurs, le disque à venir est formidable, rien à jeter.

     » La musique [c’est] comme quelque chose d’entier, pas un truc pour rigoler le soir autour de bières ».

     » Faire du rock c’est pas faire une manif, se regrouper et gueuler plus fort que les autres. »

    Et ses punchlines ont de la gueule, en sus.

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