Les Avions, le groupe le plus (nuit) sauvage de l’histoire du rock français, se pose sur la scène du Petit Bain le 22 Mars. L’occasion de revenir avec leur chanteur JP Morgand – à ne pas confondre avec JP Morgan, dont le bénéfice net en milliards de dollars n’est pas comparable – sur la trajectoire chahutée et désormais culte d’une formation qui a enflammé le ciel musical. Attention, décollage immédiat.

Jean-Pierre, cette date suprise le 22 mars, on imagine que ce sera un baptême de l’air dont se souviendront ceux qui n’ont jamais vu Les Avions en concert, non ?

Nous avons une grande ambition pour ce nouveau spectacle. Celle de passer en revue les 15 ans pendant lesquels nous avons enregistré quatre albums. On a donc conçu le concert en sélectionnant des titres au travers de ces quatre albums, mais de les retraiter live, avec deux musiciens additionnels, à savoir claviers et basse. Cela ne sera pas un concert de plus des Avions mais un voyage auquel on voudrait convier aussi bien ceux qui nous connaissent pour « Nuit Sauvage » que les autres. On jouera aussi quelques chansons quasiment jamais jouées en concert, et une ou deux même jamais enregistrées. Par exemple, on avait écrit une chanson, « WARGAME », au début des années 80, et quand on lit les paroles aujourd’hui, on s’aperçoit que c’est encore sacrément d’actualité. Il y aura aussi une séquence plus guinche autour de « Nuit Sauvage », « Be Pop », etc…

Tu as été fortement influencé par le double album 666 d’Aphrodite’s Child. Mais quelles sont les grosses influences musicales des Avions ?

Oui certes 666… Mais à l’époque du début du groupe, c’était Clash, Talking Heads, Stranglers et XTC. Nous avions trouvé leurs premiers albums fabuleux et bien stimulants. Il y avait aussi Magazine et PiL. On changeait de modes musicaux et de mode. Néanmoins, notre culture de musiques dites progressives devait remonter. C’est aussi la caractéristique de la pop : savoir digérer l’underground pour aller vers un plus grand public.

Sur Wikipédia, votre page commence mal : « Les Avions est un groupe de synthpop français. » Vous êtes un groupe de pop-rock, avec de la basse à vraies cordes, des guitares et de la batterie, non ?

Ce que tu dis est exact. Je crois qu’on a complété un Wikipédia correctement, ça doit pas être celui-là… Il y a beaucoup d’erreurs provenant de fans pas toujours bien documentés mais heureusement il y aussi de jeunes spécialistes de cette période dite Frenchy But Chic qui sont venus à notre dernier concert en 2017. Ceux-là connaissent tout de nous.

Niveau influences en tous genres, vous citez dans le livret de l’album Fanfare (1987), Albert Cohen, René Goscinny et Henri Michaux… « Intellos » à la sauce Pop culture, les Avions ?

Bon… c’est moi qui avait choisi Goscinny, car je trouvais les deux autres citations un peu trop littéraires, pour compenser. C’est vrai qu’on avait fait des études juste ce qu’il faut, venant d’un milieu enseignant. Mais parfois, et je dis bien parfois, c’est un peu mal vu dans le deep show-biz d’avoir plusieurs domaines de discussion, d’être hétéroclite, sans étiquettes, sans chapelles…

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Vous êtes souvent présentés comme des pionniers de la new wave en France, avec cette scène Rose Bonbon, aux côtés de Taxi Girl, Indochine, Rita Mitsouko, Panoramas, Lili Drop, Orchestre Rouge, Suicide Roméo, entre autres « jeunes gens modernes ». Quels souvenirs gardes-tu de cette époque ?

Une époque du possible, avec la possibilité aussi de tout pouvoir oser en termes de style. On admirait beaucoup Suicide Roméo comme groupe français. « Et moi je dois construire un nouveau monde »… dans le texte de « Trio » (1982), notre premier single. On y croyait tous. On allait révolutionner la musique ! Avec le recul, je me dis qu’on a essayé. Le problème, c’est que le tube « Nuit Sauvage » a un peu effacé cette époque pour nous. Il y a eu une exposition sur le début rock-pop 80 chez Agnès B, on n’y était pas, car comme souvent, c’est gênant semble-t-il de mettre un groupe dit « commercial ». C’est un peu idiot car on connaît des tas de groupes qui ont eu des périodes différentes. Beaucoup d’artistes actuels s’inspirent des années 80. Un jour, M a déclaré sur Canal Plus que quand il était jeune musicien ado, il adorait notre album Fanfare, disque pop funk à la française. 

De quel groupe de la scène internationale vous sentiez-vous le plus proche ?

A cette époque : XTC. On les avait rencontrés grâce à Alain Artaud de Virgin, et on a passé une après-midi ensemble, place des Vosges. Le sujet favori d’Andy Partridge c’était les soldats de plomb et les reconstitutions de batailles historiques. On a parlé en fait assez peu de musique. Moulding était plus pausé et ultra cool. Une fois de plus, c’est un groupe très pop avec des influences progressives. Il y a des similitudes entre XTC et les étonnants Gentle Giant, arrivés dix ans avant eux.

Quand vous cartonnez avec « Nuit Sauvage » en 1986, un an après sa sortie, il n’y a pas d’album dans les bacs, et pour cause : CBS/Sony vous a rendu votre contrat entre-temps, vu que le titre ne décollait pas. Avec le succès, vous vous lancez dans la conception d’un album ambitieux qui va prendre beaucoup de temps : Fanfare. Vouliez-vous faire votre Sgt Pepper ?

Oui, un peu. On a eu la chance avec notre producteur éditeur Raphaël Gimenez d’avoir 90 jours de studio au Studio d’Auteuil (NDLR : là où Jacno et Etienne Daho ont enregistré leur premier album). On voulait faire le mélange entre les Beatles, la pop et le funky fun, et tout, même si ce n’était pas planifié au départ. Ça s’est concrétisé au fur et à mesure, avec l’aide notamment du musicien et ingé son Sylvain Pauchard (claviers de Martin Circus), venu apporter ses connaissances philharmoniques.

Vous avez même réenregistré « Nuit Sauvage » pour qu’elle colle à l’esprit cuivré de l’album. Avec du recul, n’était-ce pas un peu sacrilège de retoucher cette chanson ?

Non non, car on voulait faire une version album différente. C’est la même base avec plus de fanfare. Ce n’est pas ré-enregistré mais plus arrangé, plus Fanfare.

D’ailleurs, la légende autour du single « Nuit Sauvage » est-elle vraie, selon laquelle un animateur de RTL ou NRJ aurait repêché la chanson pour la passer à l’antenne, créant un effet boule de neige (500 000 exemplaires vendus, ventes physiques réelles à 15 francs le 45 tours à l’époque) pour en faire le tube de l’été ?

750 000 exemplaires en trois références de 45 Tours (Maxi 45 Tours compris donc). C’est plutôt Max Guazzini de NRJ qui effectivement aurait regardé les pré-sélections de son prédécesseur et qui aurait parié sur le titre au mois de mars 1986, au même moment où Sony nous rendait notre contrat via la poste. On resignera en position de force début août. Sony était forcé de fabriquer même sans contrat pour ne pas être accusé de refus de vente. Donc, entrée dans le Top 50 sans contrat… Au début, il n’y avait pas de disque dispo, mais au bout de quelques longs jours, ils ont inondé le marché. 

Comment avez-vous vécu le succès de ce disque ? Vous a-t-il fait tourner la tête ?

Non, mais on changeait de métier en devenant des super représentants. On n’arrêtait pas de faire de la promo et de remercier toutes les radios libres qui nous jouaient ou nous avaient joués avant les radios leaders. Ce que nous sentions comme légitime. Plus d’un an en promo intense. Plus des tas de télés. Moi je suis devenu insomniaque à cette époque, d’où le morceau « Fanfare ».

Ensuite, vous alignez une série de singles imparables : « Be Pop », « Tu changes » (ma préférée, funky à souhait), « Tombe la neige » (la première chanson pop française de Noël), « Fanfare », qui ne dépassent pas le stade déjà honorable du succès d’estime. Comment expliques-tu ce nuage de Tchernobyl pop qui s’arrête à la frontière du Top 50 ?

« Be Pop », sorti juste après « Nuit Sauvage », fait quand même 80 000 exemplaires/semaine au début. En fait, il n’y avait pas une si énorme différence entre les titres. Le TOP 50 change de critères puis « disparaît » à la même période. Le problème, mi-positif, mi-négatif, c’est qu’avec le temps, « Nuit Sauvage » devient culte pour beaucoup : s’il n’en reste qu’un, ce sera celui-là. Effet renforcé par les concerts « Années 80 » et les playlists et autres compilations.

Enregistré à Paris et à Barcelone, mixé à New York, l’album Loin affiche en 1989 des ambitions de grosse production (Joe Barbaria au mixage, notamment ingé son sur le Fear of Music des Talking Heads). Vous étiez attendus au tournant, comment avez-vous vécu cette pression ? Vous étiez encore chez CBS, quels étaient vos rapports avec eux ?

Ça allait mais on avait le choix entre un album tout prêt qui ferait suite à Fanfare – ce que voulait Sony CBS – et des titres plus rocks, donc Loin. J’ai poussé vers le changement de cap. En fait c’était un peu une connerie. Une évolution plus douce aurait été mieux comprise par les médias, d’autant que l’album non sorti avait des titres biens aussi… Le public, lui, a suivi finalement puisqu’on nous parle beaucoup de Loin aujourd’hui, mais à l’époque les médias comptaient beaucoup : il n’y avait pas les réseaux sociaux… Joe Barbaria, en plus des Talking Heads, c’était les Cars et Joe Jackson : une star du métier, très à l’écoute, super modeste et obsédé par le fait de nous aider, d’aller dans notre sens. C’est rare.

Loin est de loin (sic) votre disque le plus rock. Le single « Tous ces visages » est une power ballad killer. Le deuxième single, « Désordre », destiné initialement au film éponyme d’Olivier Assayas, provoque la rupture avec votre maison de disques. Que s’est-il passé ?

« Tous ces visages » et son clip ont très bien marché et ont tiré les ventes de l’album. Et ils ont reçu le soutien de la maison de disques. C’est vrai que « Désordre » était moins leur truc. Un détail qui n’en est pas un : la photo de Gilles Cappé, pour la pochette de l’album, c’était nous trois qui posions dans une ferme. D’où un côté énigmatique, voire second degré-humour anglais. Sony a insisté des semaines pour retoucher la photo dans un décor de plaines. La même pose des trois Avions au milieu mais plus la même signification. On commençait à ne pas être d’accord.

« Trop tard », « Désordre », « Vertige », « Blues en noir », « Loin d’ici »… les titres et les paroles indiquent un état d’esprit mélancolique. On sent sur ce disque une volonté d’être pris au sérieux. Finie la déconne, place à « l’album de la maturité » ?

Oui, c’est une envie légitime de beaucoup de groupes. Il y a des titres qu’on aime beaucoup dans cet album et d’autres non. Avec le recul, je me dis que les groupes ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils ne cherchent rien… comme au début ou plus tard quand ils reviennent à leur fraîcheur de base. Une des grandes raisons sans doute de faire ce concert du 22 Mars.

« Soyons francs, on passait pour des cons parfois parce qu’on refusait de prendre des drogues. »

En France, il y a un certain snobisme sur le genre pop : si tu n’es pas rock (« engagé » ou « pur et dur »), tu es considéré variétés… Penses-tu que votre slogan « Be Pop » a pu être mal perçu par les « prescripteurs » sectaires, pour qui pop est un terme péjoratif ?

Oui sans doute. Oui, « Be Pop » n’a pas toujours été compris par les journalistes. Mais Daho, lui, l’avait compris et nous avait invités aux Transmusicales dans sa soirée. Il s’amusait aussi de cette similitude sans qu’on ait pu se concerter : « Be Bop pieds nus sous la lune » et « Be Pop madame madame la lune ».

Puisqu’il y a prescription, quelle part la drogue a-t-elle joué dans vos compos ? En d’autres termes, étiez-vous des Avions renifleurs ?

Non, on ne se droguait pas, vu les ravages qu’on avait constaté autour de nous dès le début du groupe. Soyons francs, on passait pour des cons parfois à cause de ça : en disant non merci, au passage. On a fait une chanson un peu là-dessus et l’absurdité de certains morts via la drogue : « Vertige ».

Si tu pouvais revenir en arrière et changer une seule chose dans votre parcours ?

Je dirais l’erreur d’un tournant trop radical entre Fanfare et Loin.

L’album 4 (1992) sort dans l’indifférence générale. Pourtant, il est peut-être votre chef-d’œuvre (sublime « Scottish Opéra »)…

Oui, 4 est l’album du retour à nous en fait, conçu comme un mini opéra au départ. Au concert du 22 Mars, nous allons jouer « Papillon », « Mountains » et « Des Jardins et des ronces », avec grand plaisir. C’est vrai que « Scottish Opéra », qui est plutôt une composition de Jean Nakache, est étonnant à la ré-écoute. On avait tout misé sur les clips. Malheureusement, une grève de quatre mois des diffusions de clips suite à un conflit entre les diffuseurs et les producteurs nous a été très préjudiciable dans la promo.

Les Avions se reforment tous les cinq ou six ans sur scène, à la faveur d’événements. Peut-on rêver d’un nouvel album studio un jour ?

On a le projet d’une version plus large du premier album et/ou de sortir l’album Fanfare 2 ou le « ghost record » des Avions, sur lequel il y a une chanson funky qui s’appelle « Badmington ». « Ah ça ira », « Cette guerre ! »… Il y a une bonne dizaine de morceaux inédits et maquettés, deux seront joués le 22 Mars.

Depuis, tu mènes une carrière solo (je recommande l’album L’Homme qui passe après le canard contenant la poignante « Maman »), avec des échappées expérimentales. Et ta participation à la tournée « Stars 80 » t’a apporté une nouvelle popularité. Comment vis-tu tous ces grands écarts schizophréniques ?

Très bien. Mes partenaires de travail souhaiteraient plus de cohérence, mais on ne se refait pas. Enfant, mon premier contact avec un album de pop, ça a été le double blanc des Beatles. Loin de moi l’envie de comparer, mais donc, enfant, pour moi, c’était ça un album standard normal. Donc ça m’est resté, cet éclectisme.

Qu’est-ce qui n’a jamais été dit sur Les Avions et qui mérite d’être révélé aujourd’hui ?

On était surnommé, chez Sony, le Polit Buro ou le Triumvirat : ils n’en pouvaient plus de notre organisation en trio hyper soudé, après s’être engueulés des heures… On les déstabilisait pas mal dans les réunions. Mais il y en avait qui appréciaient notre côté différent.

Infos concert du 22 Mars au Petit Bain (19h00) : Lien de billetterie ici.

Sur scène, Les Avions se présenteront dans la formation complète d’origine, avec Patrice Brochery (basse premier album), Jérôme Lambert (batterie), Jean-Pierre Morgand (chant, guitares) et Jean Nakache (guitares, claviers). Musiciens additionnels : Manu Sauvage (claviers) et Marc Upson (basse).

Les avions

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