Tout juste trentenaire, Titiou Lecoq blogue avec succès, consacre des articles à Marc Levy sur des sites d’actualité crédibles, tutoie le microcosme des journalistes branchés – entendre par là : « influents sur Twitter » – et vient de sortir un premier roman aux éditions du Diable Vauvert. Alternative au fait de crever de jalousie, j’ai toutes les raisons de me languir de découvrir ce roman au titre fleuri. Peut-être parce que le substantif « morue » possède un potentiel ésotérique insoupçonné, ou parce qu’une jeune journaliste hypeuse qui raconte l’histoire d’une jeune journaliste hypeuse, c’est le dépaysement garanti.

Ema, l’héroïne, est donc jeune, journaliste, djette, a de jolis habits, un prénom improbable et une sexualité débridée : un parfait cliché d’héroïne de chick lit. Ajoutons à cela quelques tendances dépressives, en partie justifiées par une mort mystérieuse sur laquelle notre héroïne se jure de faire la lumière. Il faut le dire clairement : je n’ai aucune sympathie pour les intrigues policières, à mon goût aussi divertissantes qu’une partie endiablée de sudoku. Ma méfiance monte encore d’un cran lorsque celles-ci se teintent de théories du complot laissant craindre quelques dérives davincicodesques. Titiou Lecoq – elle-même visiblement peu convaincue par l’intérêt de son intrigue – nous laisse, quelques centaines de pages plus tard, avec une enquête avortée, sans qu’on le regrette vraiment. Mais peu importe. Chez ces morues, le style est vivant, plutôt drôle – mais sans charme -, le vocabulaire est de son temps et donc déjà un peu ringard. L’éditeur appelle ça de la gouaille. Le tout est émaillé de références culturelles 90’s dans lesquelles il est toujours plaisant de se vautrer. Et parce qu’un premier roman se doit d’être ambitieux, Les Morues évoque, dans un seul et même pavé de 500 pages, le spleen de la génération née dans les années 80, les limites du virtuel, le désengagement étatique dans le domaine de la culture, et le féminisme. Pourtant, le fil conducteur du roman de Titiou Lecoq se borne bien à tenter de résoudre ce choix cornélien : se caser avec un gentil garçon ou continuer à enchaîner les plans culs ? Thématique électrisante, s’il en est.

Pas désagréable à lire, pas bouleversant non plus, Les Morues se révèle être un roman de chick lit qui ne dit pas son nom : l’intégrité de sa couverture n’est pas fuchsia, le roman sort chez une maison d’édition qui sait allier originalité de ton et exigence stylistique, on y parle privatisation des services publics, viol, suicide, et le féminisme y est porté en étendard. Pourtant, Les Morues reste un pavé de « littérature de filles » ; la tendance à la gravité en bonus French Touch.

Au-delà de ce premier roman, c’est donc bien le concept de chick lit qui m’interroge. Peut-on donner dans ce genre littéraire et se revendiquer féministe ? L’ambiguïté se pose là.

Parler de « littérature de filles » comme on parle de « musique de filles », ce n’est pas du féminisme ; c’est du sexisme. Par ailleurs, comment « créer féministe » quand le féminisme n’est qu’une notion floue, difficilement définie par ses activistes elles-mêmes ? Pour composer avec l’image désagréable que se trimballe un mouvement qui peine à trouver une identité en phase avec l’époque, certains ont annoncé l’avènement d’un post-féminisme. Plus question de brûler son soutien-gorge pour se revendiquer égale de l’homme : calque du modèle de la lesbienne lipstick, nous voilà entré(e)s dans l’ère de la féministe lipstick.

La promotion de la féminité et d’une sexualité épanouie se lierait donc insidieusement à une futilité acceptable parce qu’assumée et digérée. La superficialité aurait-elle fini de trouver sa place dans l’activisme ? La littérature pour filles serait-elle un outil de propagande molle ? Mesdemoiselles, on vous a endormi avec des Disney, on va vous réveiller avec des romans pailletés. En l’occurrence, avec un « je suis trop émancipée pour me caser mais je suis shopaholic », c’est bien un affranchissement en demi-teinte que propose Titiou Lecoq : une héroïne qui fuit les conventions mais qui finit par réaliser qu’une relation sentimentale établie peut s’avérer confortable en cas de crise existentielle. La réalité te rattrape, elle est un peu terne mais elle peut t’aider à porter tes sacs après tes crises d’achats compulsifs. Jeune fille, bienvenue dans l’ère du post-féminisme.

Titiou Lecoq // Les Morues // Editions du Diable Vauvert
Crédit photo: Titiou Lecoq © Radio France – 2011 / Clarisse Le Gardien 

11 commentaires

  1. m’a tout l’air d’être un bon roman pour grazzia girl. Vivement que ce genre de bouquins à la « j’vais raconter mon quotidien mais pas trop parce que c’est un roman  » dégagent. Mon petit doigt me dit pourtant que ce n’est pas demain la veille.

  2. Comment ne pas avoir entendu parler de la sortie de ce livre vu nos cercles d’appartenances respectifs ? Je ne l’ai pas lu mais le titre de la chose – et ton bel article Ismène – laissent présager d’une lecture très dispensable.

    Sylvain
    http://www.parlhot.com

  3. Et je note que l’auteur de cette chronique oublie de préciser que le petit ami de l’héroïne, journaleux tout aussi hype s’appelle Blester… Faut-il y voir un sens caché? (ouh ouh ouh)

  4. Elle était chez Taddei hier soir nan? Sexy la demoiselle Titiou mais pas grand chose à dire…ptetre le beau Enthoven l’intimidait? que de questions…comment on s’en fout?

  5. Merde les enfants !
    on est donc si loin de la classe de première du lycée Jean Monnet que personne n’est foutu de relever l’influence néo-Flaubertienne dans le registre Madame Bovary écrit des SMS, subtilement introduite par le prénom/pseudo de l’héroïne.

  6. Ca doit faire drôle de se réveiller en chicklitteuse (écrivaine pour poulette ?) quand on on a manifestement ou manifesté des ambitions littéraires.
    Le succès au prix du déclassement…

    (and yes SHE STOLE MY NAME)

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