C’est entendu, le monde est un endroit horrible. D’ailleurs pendant que je vous parle, la montagne brûle à l’horizon, le long de la route qui mène au concert de Motorhead. Dans deux heures, Lemmy sera dans la pinède. 63 ans de rock pur et dur lâché au milieu d’une cité balnéaire. De quoi en perdre son maillot de bain. En attendant, les flammes ne sont plus très loin des premières maisons. Odeur de cendre et goût âcre dans la gorge. Et ça n’est qu’un début.
Ce papier n’est pas l’original : ce dernier n’aura pas survécu aux conversations de couloir du bureau. Dois-je le dire, je suis coutumier du fait. Comme disait ma grand mère, qui n’a jamais rien branlé, « faire et défaire, c’est toujours travailler ». Je me souviens de ses regards horrifiés à la vue des mes cheveux trop longs, de ce jean déchiré et de ces mauvaises manières qu’on s’invente quand on est un fils de bonne famille… Je suis allé au métal comme d’autres entrent en guerre ; un peu n’importe comment et très fort. Et puis un jour j’ai découvert dEUS. D’ailleurs la semaine dernière, au détour de la boutique de disque qui jouxte l’épicerie du coin, j’ai longtemps hésité entre Far beyond driven et Worst case scenario. Le prix, le temps qui passe et un soupçon de mauvaise conscience, mélange de bonne manière mélomane et de bon goût à la con m’ont poussé vers la pop déglinguée de mes premiers héros ; ceux d’après la bataille rangée. M’étant longtemps rincé les oreilles aux riffs parpaing, ces dernières pouvaient enfin laisser passer des morsures plus élégantes.
Et puis la vie a continué. Cobain venait de mourir, il était temps de se mettre à vivre. Un coiffeur a eu raison de moi. J’ai eu des fiches de paie, que je claquais en Cd. En concerts. Et puis on m’a payé pour parler de ces Cd, de ces concerts. Et puis il y a eu Gonzaï. Je ne sais pas si je m’en remettrais un jour. J’espère que non.
Avant de passer à la suite, je tiens à préciser que ce papier est rythmé par Far beyond driven via deezer. Pas facile de taper avec l’index et l’auriculaire en l’air.
La suite : prévision des couvertures des festivals, un seul nom retient mon attention aux Voix du Gaou : Motorhead. J’y serais, c’est certain. Ce que je n’avais pas prévu, c’est Lemmy Kilmister déguisé en madeleine de Proust. Whouah la vache ! Des métalleux partout ! Des barbes, du cuir, des tonneaux de bière nageant au-dessus de leurs ceintures ! Ce sosie de James Heltfield qui vient s’immiscer dans ma conversation avec les responsables de Marsatac (sacré clash, non ? ) et à qui je lance un : « alors ce concert à Nîmes, c’était bien ? Quoi ? Vous n’êtes pas James Heltfield, le chanteur de Metallica ?
– Non, moi je suis le chanteur des Crevards.
– Des Crevards ?
– Ouais ! Et on encule un paquet de monde.
– Avec un nom pareil, pas étonnant…
Motorhead. En concert sur une presqu’île paradisiaque : dans le genre écrin à rock, c’est aussi nul qu’un radeau pour sauver l’espèce humaine. Même avec de la bonne volonté.
23h. Le power trio entre en scène. Des blondes de tous les âges en backstage. Et puis voilà Lemmy Kilmister. Un gros cul dans un tout petit pantalon. Une posture de commandeur, torse en avant et morgue assumée. Des bottes tout à fait improbables. Un batteur bodybuildé -forcément- et l’éternel casque en guise de chevelure. Un guitariste à bonnet. Et puis ? Et puis c’est tout les gars. No décor. No lightshow tatycardique. No temps mort.
Juste du putain de rock’n’roll. Le même morceau joué pendant heure et demie.
Avec juste ce qu’il faut de mise en scène pour ne pas s’emmerder. Pour rester scotché à leurs trois accords. A cette voix toujours la même. Appuyer sur rewind au moment du solo de batterie (quels frimeurs, ces batteurs !), sur forward sur ceux du guitariste (horribles aigus) et taper des deux mains comme une andouille à chaque final dévastateur. Rappel. Aces of spades, bien sûr. « You win some, lose some, all the same to me, The pleasure is to play, makes no difference what you say, I don’t share your greed, the only card I need is The Ace Of Spades ». What else ?
Leur final, qui m’enterre : bras dessus bras dessous avec ses deux acolytes, Lemmy pique au cœur : « We are Motorhead, don’t forget us. We’re playin mother fuckin rock’n’roll ».
Sur le chemin du retour, le feu dévore plus que jamais les montagnes. Odeur de cendre et goût âcre dans la gorge. Sauf qu’après une soirée pareille, je suis sûr d’une chose : lutter contre l’oubli, c’est tout sauf de la nostalgie.
Photos: Pirlouiiiit