9h. 11h. 11H25. 13h45. 14h05. 14H15. 15H20. Un mort, puis deux, le double, une épidémie, des vaccins et du spot publicitaires. Petit bréviaire des étapes d’une paranoïa conspirationniste, pour être vraiment sauvé.
9h. Une lumière orange. Le soleil tabasse une file d’attente de 2h30. Peu parlent. D’autres passent des coups de fil, annulent leurs rendez-vous et se posent beaucoup de questions. Ça sent une angoisse aussi puissante qu’une envie de rire et la conscience d’une probable terminaison est bien là. Ça se demande si en venant, on n’a pas contracté l’épidémie, le Virus. Du coup, faire le vaccin en étant contaminé va peut-être nous tuer, non ? Tout est orange. Petit à petit hommes et femmes deviennent blancs, puis noirs, puis transparents, surexposés.
11h. Les plus chanceux commencent à pénétrer le grand hall blanc et bien usé. Il y règne une odeur d’hospice, des senteurs malades, fétides comme si les molécules d’air étaient atteintes et contagieuses. Ça sent l’autre et celui-ci est devenu un danger. Une personne susceptible de me tuer en m’embrassant, un faux ami… Même si les patients ont l’air heureux et excité, ils ont peur de tomber malade entre l’instant présent et la réception du « laisser passer » qu’ils auront dans 20 minutes. Chacun son tour. La lumière est orange et tout se pixélise non pas comme une photo de portable, mais comme une vidéo DailyMotion mal compressée. Un peu flou. Un voile recouvre l’ambiance.
11h25. Tout le monde a donné ses informations personnelles et s’apprête maintenant à aller voir un médecin. Monsieur et madame signent la charte du vaccin sans vraiment la lire. Il y a une nouvelle grande salle où les bonhommes on s’entassent s’emboîtent, restent seul, parlent seul.
13h45. La situation n’avance pas vraiment, la salle est toujours pleine. Ça attend le diagnostic en espérant d’être vaccinable… Lors de cette 45ème minute de l’heure, une pauvre gonzesse annonce que les consultations s’arrêtent à 14h. Des cris sont lâchés, les stressés gueulent et les frustrés hallucinent, restant avec leur coupon dans la main avant d’aller faire du charme à la personne appelant par des numéros de taulard les prétendants à l’injection. Tous sont noirs, le reste demeure orange. Un orange aussi sombre que ce qui rend un rouge si foncé pour être qualifié de bordeaux. Tout le monde s’assoie sur des chaises de faculté alignées, comme si les futurs vaccinés allaient recevoir un premier cours sur le nouvel ordre mondial.
14h05. Quelques personnes ont réussi à faire passer un bobard pour passer in extremis le diagnostic. Dans leurs mains, tous tiennent un papier où est inscrit le nom de la substance qui leur sera injectée. D’ailleurs, certains ont déjà les premiers symptômes dans cette file d’attente d’une putridité savoureuse.
14h15. Les Hommes sont dans un couloir. Tous collés les uns aux autres en train de fondre dans un climat humide lié tantôt aux sueurs froides des patients, tantôt aux transpirations compulsives des plus anxieux. Il y a une masse noire le long d’une droite orangée. Cette fois-ci, l’orange a les même teintes que la pellicule de l’adaptation cinématographique de 1984. On parle d’épidémie, de chômage, de crise, de pauvreté et de la mort. Le centre se transforme en Arène des peurs viscérales. Les patients tiennent toujours leur titre de vaccination et donnent en douce leur avis sur le liquide qu’on a choisi de leur administrer sans qu’ils connaissent le millième de sa composition. Plus on se rapproche de la salle des piqures, plus les flippés jaspinent. J’ai l’impression qu’ici, la majorité des patients sont des névropathes qui s’opposaient catégoriquement à la vaccination de masse de peur d’un complot. Finalement, les titres de la presse les ont fait se lever, plutôt que d’aller se jeter du 3ème étage de la tour où ils bossent. À 5 mètres de l’entrée les sujets pondent des phrases en chuchotant du style « ma belle fille travaille aux urgences et les malades qu’elle reçoit meurent du vaccin » ou encore « il faut environ 18 minutes pour savoir si on tolère le produit, après, c’est bon, on risque plus rien »
15h20. On rentre dans la salle d’administration de la dose. Il y a plusieurs box selon le type de produit à injecter. Deux vieilles amoureuses d’elles-mêmes vont en direction de la zone Pandemrix, d’autres voguent vers le Panenza. Un médecin les met en confiance telle la voix de salope qui prévient de l’arrivée d’un train près du quai n°2. Il plante l’aiguille de 2,5cm pour les adultes, presse le piston, opine du chef avec fierté et envoie les nouveaux immunisés remplir la paperasse à la sortie. Là, deux femmes travaillent à la chaîne et prennent soin de noter le nom de l’humain associé à la dose et au numéro du lot. Comme si chaque chose avait une signification, comme si le monde allait exploser, comme si l’on nous injectait du sommeil pour ne pas sentir la mort. Ouais, l’an prochain tout sera fini, l’industrie pharmaceutique sauvée, la crise terminée, la presse encensée, le Virus éradiqué. Tout le monde sort, une manche sur le nez, une écharpe sur la bouche. Tout reste orange et le noir coule tel mon sang remontant la seringue. Ça pique. On décolle, tout est blanc.