C’est marrant comme, parfois, on n’aime pas se voir dans un miroir. En général, c’est quand ? A des moments bien précis comme le matin au réveil. Le soir après une journée de merde. Le week-end après une cuite tellement mémorable qu’elle nous fait - une fois de plus - jurer de ne plus jamais boire. La nuit après la douzième trace d’euphorisant coupé au produit pour dentiste. J’en passe, et des meilleurs. Avec Karoo, c’est pareil. On pourrait éviter de se retrouver en face de soi-même à tous les instants cités, il suffirait de ne pas lever le nez en se lavant les mains et d’éviter son propre regard dans l’entrée. Avec Karoo, il suffirait de ne pas ouvrir ce livre.

Et pourtant, comme on raterait des vérités essentielles (plus efficaces que 12 ans d’analyse) sur notre psychisme et notre comportement en ne nous regardant pas dans ces foutues glaces jamais là où il faut quand il faut, on passerait à côté d’un chef-d’oeuvre de la littérature contemporaine en ne lisant pas Karoo.

Steve Tesich, ”grantécrivainmort”, nous embarque dans la tête de Saul Karoo, consultant en scénario talentueux, reconnu, adulé par les pontes hollywoodiens, et handicapé des sentiments professionnel. Karoo est un égoïste menteur, falsificateur, malhonnête, cynique. Le genre d’ordure  extra-lucide et sans coeur qui nous donne envie de tout sauf de ressembler à ça, un jour. Et pourtant! C’est là que je reviens à mon image du miroir (sic). Il nous est impossible, si tant est que nous soyons pourvu d’un minimum d’honnêteté, de ne pas nous retrouver dans ce personnage. L’argent et le talent professionnel en moins, bien sur.

tesich_karoo_couv2DPour résumer grossièrement l’histoire, Saul est séparé de sa femme et de son fils adoptif, on lui demande de réécrire le dernier film d’un immense cinéaste, et à l’occasion, il va retrouver dans la comédienne ratée qui tient un petit rôle dans ce film, la mère biologique de son fils adoptif. Le pitch est relativement simple, ce qui ne l’est pas, c’est ce qui se passe dans la tête de Saul et les répercussions que son comportement frivole et auto-centré finiront par avoir. Le pire, c’est qu’il est convaincu, en permanence, de bien faire, et d’avoir raison. Quand il cède à la figure faustienne et destructrice du producteur qui lui demande de massacrer un monument du cinéma, quand il joue avec la détresse de son fils qui souffre de l’absence de son père, quand il joue à s’écharper avec son ex-femme, tout le temps, il joue un rôle. Plus que scénariste, c’est à la fois un acteur et un metteur en scène hors pairs. Les difficultés, les douleurs de la vie, les épreuves, petites ou grandes, importantes ou secondaires, il les élude avec une désinvolture proche de l’immonde. Sans réellement ressentir le moindre remord ni remise en question. Et le pire, ou l’un des pires aspects, c’est qu’il nous transforme en témoins, voire même en complices de son comportement.  Et comme si ça ne suffisait pas, il nous renvoie une image de nous-mêmes assez désagréable. Qui que nous soyons, nous sommes tous un peu lâches et entourloupeurs sur les bords. Et nous trouvons tous de bonnes raisons pour nous comporter comme des connards lâches et manipulateurs, en tout cas, selon les dires des autres qui ne comprennent pas la nécessité de cette attitude. Mais c’est plus fort que nous, c’est tout simplement humain.

Si Saul Karoo nous bat tous sans le moindre effort, on n’en ressent pas moins une impression de malaise en lisant ce livre. Parce qu’on s’attache à ce gros loser qui se retrouvera à payer ses conneries d’un prix inimaginable. On s’attache à ses fausses bonnes intentions, ses manigances. A ses escroqueries aux sentiments destinées à tirer profit de tout, à sa solitude glaçante, surtout. Sans faire de psychologie à deux balles, il doit falloir être sacrément seul et démoli de l’intérieur pour se comporter comme ça dans la vie.

On vit quelques temps avec un certain type de loser, grâce à Karoo. Non pas le gars abîmé par des années de galère et de picole dans un sombre bar du sud des USA (genre littéraire que j’affectionne particulièrement), mais avec un mec en apparence normal, et même plutôt enviable. Voilà, tout est dit, plus ou moins. Le style, la narration, la construction, on se doute bien que tout ça est maîtrisé et nous prend au piège jusqu’à ce que la fin nous laisse sur les genoux, secoués et éperdus d’admiration pour un type dont on a du mal à prononcer le nom : Steve Tesich.

Steve Tesich // Karoo // Editions Points, traduit par Anne Wicke, 504 pages. 8,30€

2 commentaires

  1. Ce livre est chiant comme la pluie. Si vous cliquez sur le bouton « acheter » de mamazon, vous allez commettre la double faute de tuer votre libraire à petit feu et d’acheter une prose s’apparentant être un énième mais agréable bouquin pour alcoolique alors que vous allez passer les 504 prochaines pages à vous demander quel est l’intérêt de ce petit paquet de feuilles.
    C’est pas mal écrit, mais la narration est plate, les personnages alentours à l’histoire n’ont rien de transcendent, ça bande mou à chaque coin de phrase, aussi je me permets un désaccord quand bien même tardif avec Tara et je proposerai à la place: le dernier stade de la soif de Frederick Exley puisque j’assume que vous avez déjà lu tous les John Fante de votre bibliothèque.

    Big Bisous,

    ColonelKlink

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