Plus livre d’images que roman, mais moins imagier que réservoir à fantasmes, "Sexe Drogues & Rock’n roll" dégrossit la success-story de Fabienne Shine, une Blanche Neige maghrébine qui aura passé sa vie à flirter avec les plus grands diables des seventies. Un télénovelas érotique, couché sur papier.

Il y a des livres qui ralentissent le cours du temps perdu, découpent les secondes en quatre et donnent la parole à la poussière ; il y en a d’autres, qui, donnant des coups d’accélérateur dans le présent, ne turbinent que pour faire avancer la ou les histoires. Sexe, drogues & rock’n roll est de cette seconde catégorie, motrice. Son diesel, c’est la vie de Fabienne Shine, une it-girl des années 80, mannequin-comédienne-chanteuse et co-fondatrice (avec Eric Lévi puis Louis Bertignac et Corine Marienneau) du groupe Shakin Street. Une consommation immodérée de mondanité, d’orgasme et de LSD pour mieux ressentir, et par tous les trous, ce que Kerouac appelait « la démence de vivre, de discourir, d’être sauver, de vouloir jouir de tout dans un seul instant ».

« Elle avait baisé des princes et des aristocrates un peu décatis de tous acabit, des types de la haute, qui roulaient en Rolls et habitaient des palais beaux comme des musées dont ils n’avaient fait l’effort que d’hériter… »

1939748_10152297519796855_6340395291379266867_nNée dans les années 60 à La Goulette, en Tunisie, Fabienne (née) Essaiagh grandit sur une « modeste maison posée sur la plage de sable crème » et se dope à coup de Gershwin pour oublier les disgrâces autoritaires de sa famille à principes. Sitôt qu’elle atteint l’âge de mettre des collants et du pourpre à lèvre,elle file à Paris et, faisant dans l’érotisme subtil, devient vendeuse de bonbons à la Galerie Lido des Champs Elysées.
Là-bas, elle à le bon goût de s’attacher à un Jean-Pierre Léaud qui l’emmène faire les 400 coups, lui enseigne les infinies significations du terme liberté, l’initie aux riffs des caves et la promène au Drugstore des Champs. Malheureusement, Jean-Pierre prend rapidement la fâcheuse habitude d’ »effrayer les mémés à chiens, qu’il aborde pour des insanités, jusqu’à ce qu’elles se mettent à hurler, pour le simple plaisir de provoquer une réaction de leur part »  et Fabienne finit par se lasser de lui. Quand ils rompent les amarres,la troqueuse de Carambars est tout à fait transformée. Plus libre, plus joueuse, plus sexuée, Fabienne (pas encore) Shine rejoint le clan de ceux qui, sur les Champs, ont « le rock’n roll pour ossature commune » et pensent le terme drugstore en deux mots.

Ici, tout se précipite. Fabienne s’acoquine de Boris Bergman, Zouzou, Pierre Clémenti, Frédéric Pardo, et Serge Kruger puis joue les bohèmes auprès d’un Charles Aznavour quarantenaire (elle a 17 ans) ; parade sa plastique dans divers longs métrages – dont le Barbarella de Vadim (où, modestement, elle interprète un arbre) et les Roma et Satiricon de Fellini (où elle figure un brune défeuillée) – ; s’engage dans une relation triangulaire avec l’acteur Klaus Kinsky et sa pute Tonkinoise ; cocufie l’épouse d’Alberto Moravia (alors âgé de 61 ans) ; offre à sa propre mère un petit-fils maladroitement conçu avec le peintre Richard Dayne ; minaude auprès de Salvador Dali et de Gala ; suit Johnny Thunders des New York Dolls aux Etats Unis ; devient la « compagne officielle » de Jimmy Page (de Led Zepellin) pendant leur tournée américaine en 75 ; et finit par épouser, à Las Vegas bien entendu, le sombre Damon Edge de The Chrome qui « si Bukowski n’avait pas lui-même intégré ses éléments d’inspiration, aurait pu lui souffler le héros de Barfly. »

Le titre du roman annonçait la chaleur ; ce marathon du name-dropping le confirme : la vie de Fabienne Shine se goûte comme un collier de savoureux clichés rock’n roll, comme une longue farandole d’anecdotes à larsens. Pour qui rêve de cirrus en forme de porte-jarelles et de cumulonimbus qui ressembleraient à des power-cords, ce documentaire éro(ck)tique pourrait donc bien conduire au septième ciel. Pour qui, en revanche, espérait décortiquer l’intériorité de l’icône d’Alberto Moravia et de l’amie de Bob Marley (!), le décollage risque de n’avoir jamais lieu.

Flower 3Car si Jean-Eric Perrin parvient subtilement à cerner le désir des mâles/femelles pour Fabienne Shine – tantôt présentée comme une jauhâr occidentale, guerrière du rock qui s’immole chaque jour sur son bûcher de MDMA, et tantôt comme une chatte douce et débile qu’on imagine s’étirer toute la journée sur une moquette « luxe-calme-et-volupté » -, si certaines descriptions du corps de Fabienne sont même de véritables combustibles à libido (« Fabienne avait les seins menus et vigoureux, parsemés de veinules qui dessinaient une cartographie du désir qu’Alberto avait apprise par coeur, et couronnés de mamelons bruns qui signalaient son ascendance méditerranéenne. Ces globes qui regardaient vers le ciel, quand les tétons s’érigeaient sous les caresses fascinaient le vieil écrivain sans doute curieux de cette tendance nouvelle des bustes modernes, et quelque peu lassé des lourdes et pleines mamelles ritales.« ), en revanche le moteur cale dès qu’il s’agit de peindre les sentiments de Fabienne.
Grumeleux, ils semblent avoir été tracés par un Saint-Bernard qui aurait égaré ses pattes dans un pot de peinture Valentine (« Fabienne n’y comprend plus rien : une minute plus tôt, il était en pleine crise de rage, et voilà qu’il semblait à nouveau vouloir la baiser ! » ou encore « Mannequiner, ça reste le plus agréable métier du monde »). Sur la majeure partie du roman, la muse se présente sous muselière. On croirait voir passer, de grandes vies en grandes vies, un écureuil curieux mais aphasique, une petite bête-à-baiser qui ballade ses atouts magnétiques sur toutes les scènes, sans rien en penser. Image forcément inadéquate – personne n’étant condamné à n’être qu’un corps, et encore moins une femme ayant su magnétiser tant de personnalités – mais image qui s’imprime tout de même au gré du roman. Pour que ce Sexe, drogues & rock’n roll signe un parcours parfait, il eut donc fallu que le turbo des faits d’armes de Fabienne Shine soit tempéré par les nuances de sa subjectivité. Mais sûrement n’était-ce pas le pari de Jean-Eric Perrin et, sans doute, l’envers du décor habité par cette occulte princesse d’un conte de freak apparait sous la plume d’un autre de ses amants (dans certaines phrases de Moravia, cet Homme qui regarde[1], peut-être?)

En dépit de sa vélocité et de son inégale subtilité, il faut donc lire ce livre comme on se dope d’images aphrodisiaques, le lire pour augmenter en soi les doses de vitalité et, innocemment, pour « se sentir tyran, gourou, chef de secte, parce quelques chansons électrifiées, motorisées par un beat de grosse caisse digne d’un V8 gonflé au nitrométhane, vous servent de viatique magique, de sermon sur la montagne. [Pour s’enivrer] de toute la cosmogonie du rock’n’roll. »

Jean-Eric Perrin // Sexe, drogues et rock’n’roll // Ed. Romart, 283 pages, 18€

[1] « En effet, mais quelle est donc ma manière de faire l’amour ?
Elle me dévisage un moment, puis m’explique :
Tu fais l’amour toujours de la même façon. Tu t’allonges sur le dos et tu veux que je te monte dessus. Tu vois, déjà en disant la façon dont nous faisons l’amour, j’en donne une idée fausse, incomplète et vulgaire. Mais continuons. Pourquoi veux tu que je sois dessus et toi dessous ? Je me le suis souvent demandé et toi même tu me l’as expliqué : pour mieux me regarder, d’une manière plus détachée et plus contemplative. Et en effet, de temps à autre, tu me dis que, durant ces instants, mon visage te rappelle celui de la Vierge, dans une église où te conduisait ta mère quand tu étais enfant. Qu’est ce que tout cela, sinon une espèce de voyeurisme, disons, mystique ? Moi, c’est tout à fait ce que je ressens, d’autant que cette idée, en un sens, religieuse que tu te formes de moi influe sensiblement sur mon comportement pendant l’amour. Car je me rends compte que tu « veux » que je ressemble à une Vierge et, pour cette raison, j’essaie de ne pas montrer le plaisir que j’éprouve et je m’efforce de donner à mon visage une expression sereine, immobile, impassible, et pourtant, si je me laissais aller, Dieu sait quelles grimaces je ferais, comme on en fait toujours pendant l’amour. Quelle barbe de faire semblant d’être la Vierge pendant que l’homme qu’on aime vous baise. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages