Minnie n'était pas vraiment une salope. On ne pouvait pas lui en vouloir pour ses envies. Sa conception de la vie était faite des mêmes éléments que tout le monde. Et le sexe n'es

Minnie n’était pas vraiment une salope. On ne pouvait pas lui en vouloir pour ses envies. Sa conception de la vie était faite des mêmes éléments que tout le monde. Et le sexe n’est-t il pas la deuxième richesse ?

Ce soir, elle voulait « se faire sauter » comme elle le disait. Juste se faire sauter, par un mec, n’importe lequel. Qu’il soit beau, moche… le tout était qu’il eût quelque chose d’acceptable, un trophée à montrer. Une belle chemise ferait l’affaire. Un DJ aussi. Un vieux riche… enfin quelque chose sur lequel elle pourrait se concentrer, un truc qui l’exciterait. Ainsi, peut-être pourrait-elle atteindre l’orgasme. Penser très fort à cette plus-value, et tout son être pourrait connaître le grand tressautement.

En cela, on ne pouvait pas vraiment juger Minnie. Elle avait le droit de faire parti de la danse. Car après tout, hormis une mauvaise peau, elle possédait des attributs plutôt féminins. Son air bête ne cachait que trop bien une certaine délicatesse. Les apparences, quand elles sont montées en épingle de manière consciente, donnent souvent des résultats catastrophiques. Une jeune femme en proie à son envie de briller, c’est un des pièges les plus banals. Et son besoin n’était pas vraiment réfléchi. C’était la bonne chose à faire.

Martin lui ne le voyait pas de cet œil. Il avait le regard cruel de ceux qui appuient exactement sur la zone molle des gens. Et cet étalement de pauvrette n’était qu’une trop belle occasion. L’humiliation, c’est encore le meilleur moyen d’oublier son mal être. Ou du moins de se sentir accompagné. Alors il n’allait pas se gêner. Il regarda tout d’abord Minnie d’un œil jaune. Puis tendit le menton en sa direction, comme une invitation à discuter. La mine basse, d’un air faussement boudeur, elle lui demanda:

– Que se passe-t-il ?

– Non, rien. Tu veux un verre ?

– Pourquoi, tu me l’offres ?

– Pourquoi pas. Je ne sais pas encore ce qu’il va me coûter mais…

Un Kir, c’est bien là la boisson des jeunes gens bien sous tout rapport. Un Kir donc pour la demoiselle.

– Alors que fais-tu en ce moment ?

– Plus grand chose.

– Tu as lâché ton stage dans cette boite…

– Oui, j’en avais fait le tour. Ils me donnaient pas assez de responsabilité. De toute façon ils ferment.

– Ah oui ?! Pourquoi ?

– Ils avaient pas le droit de faire du bruit dans ce quartier. Les voisins ont fait une pétition.

– Ah… Et ton copain ?

– Il est parti à New York… il revient dans un mois.

– Vacances?

– Non, il rend visite à la famille de sa femme. Tu sais, c’est un truc de gens de leur âge. Et puis on est plus vraiment ensemble.

– Il n’arrivait pas à choisir entre sa femme et toi ?

– Non, j’en avais marre… il travaillait trop. On s’amusait pas beaucoup mais on s’entendait bien. Mais quand on baisait pas, il me faisait trop penser à mon père.

– Ca devait être gênant.

– Bah, ils étaient de la même promo… les même discours, les même obsessions… Cette envie de toujours te faire découvrir un truc de leur jeunesse… Ca me gavait.

– Oui, des mecs restés bloqués sur De Niro, le Rock, les tourne-disques…

– Ouais. Une fois, il m’a même emmené à un concert. Des vieux ringards avec des guitares. Et un public de nazes, tous à boire de la bière. Et lui qui remuait sa tête alors que les autres se fonçaient carrément dedans. C’était horrible. J’en ai eu un mal de tête.

– Putain… c’est ça de sortir avec des vieux les meufs, et après vous vous étonnez d’être mal baisées.

Pendant ce temps, quelque part en banlieue parisienne, Jean Baptiste « Wizz » regardait son ordinateur. Il pestait, pour tout dire. Directeur et unique employé d’un label modèle, sa vie était dédiée à une cause qui a perdu bien des personnes. Le rock, pour ainsi dire, est parfois une question de vie ou de mort. J.B était plutôt du genre vivant et tenait sa croisade à bout de bras. Et non sans mal. Aujourd’hui était l’un de ces jours où il le sentait particulièrement. Affairé à ses relances de journalistes, il commençait à vraiment haïr cette espèce humaine. Irrévérencieux, hautains, certains étaient carrément des raclures en plein égo trip. Non seulement il faisait la moitié de leur propre travail (voir moins pour les adeptes du copier/coller) et ceux-ci ne daignaient même pas lui faire un signe de vie. Poussant une plainte continue, ces soi-disant professionnels n’étaient même plus foutus de voir ce qu’il se passait sur le pas de leurs portes. Réactionnaire, lui même l’était quelque peu. Désespéré, il faut bien être un handicapé de scribouillard pour trouver une pose dans la complainte.

Des mails à la pelle, en forme de « coucou » cordial pour demander à quelqu’un de faire son boulot… Et dire qu’on avait aboli les privilèges il y a trois siècles. La maladie emplissait son cœur à chaque appui sur le bouton d’envoi.

« Hey, comment vas-tu ? Tu as bien reçu le Jack Of Heart ? C’est cool ? Tu écris un truc ? » Coincé. L’album était hors de son cellophane depuis un mois, écouté mais perdu dans ma mémoire. Il était un combat continuel : appuyer sur Play, vaquer à mes occupations, revenir et devoir le remettre sur la piste une sans avoir aucun souvenir de ce qui venait de se passer sur la platine. Jamais. Une semaine durant et impossible de pénétrer l’album. Je remarquais les trémolos des guitares, la voix filtrée. Mais était-ce un groupe à riff ou a chanson ? Aucun riff n’était imprimé dans ma mémoire, donc j’imaginais plus des chansons. Il y avait quelque chose de très similaire aux albums Born Bad dans cet album, et en même temps quelque chose de différent. Oui, voilà ce que je pouvais en dire : j’ai déjà entendu cela, mais je ne m’en souviens pas.

« Salut Jean Baptiste, oui, c’est super, je vais écrire un truc parce que c’est vraiment génial ». Quoi ? J’allais bien trouver quelque chose. C’est l’astuce du journaliste, trouver la petite différence. C’est notre plus-value à nous, être clairvoyant. Résumons : il y a des cris, des guitares, de la reverb et des fuzzs, plein de ride sur la batterie, des chansons lentes et des chansons rapides… bien. C’est un album de rock électrique. Super. Ma préférée c’est la piste 10 (elle s’appelle comment déjà ?) parce qu’elle est down tempo… on y est presque…

Deux semaines plus tard, c’était à mon tour de croiser Minnie. J’étais bien entendu au courant de l’histoire ayant reçu un message de Martin :  « L’association M&M ne fond pas dans la main ». Il est répugnant Martin. Offrant le plus beau masque de sa bêtise, ma méthodologie d’ignorance de Minnie était d’une efficacité alarmante. Notre promiscuité sociale du à une camaraderie forcée m’obligerait à parler de l’accident. Les gens de notre âge répandent allégrement leur vie personnelle sans retenue. Héritage de la libération des mœurs à ce qu’il paraît.

– Tiens, qu’est-ce que tu fais là ?

– La même chose que toi Minnie, je bois pour pardonner tous mes péchés.

–  Ah… C’est cool. Moi aussi j’ai envie de me torcher ce soir… Et… tu bosses sur quoi en ce moment ?

– Je n’écris pas sur un groupe.

– Ah ouais, c’est qui ?

– Tu dois pas connaître, ils s’appellent Jack Of Heart.

– Ah ouais… je crois que je les ai vu en concert avec mon ex ! Ils boivent pas de la bière eux ?

– Si si, c’est eux. Tu as aimé ?

– Ouais, j’ai trouvé ça plutôt intéressant. Surtout la chanson avec les guitares qui font plein de bruit. C’était cool.

– Mmm, c’est du Rock en quelque sorte.

– Carrément. C’est bien qu’il y ait des gens qui fassent encore cette musique.

En effet, c’est bien. Car le rock n’a rien de naturel. Et cela, Minnie l’a bien compris. Malgré elle, certes, mais elle le pressent. Mettre toute son énergie dans une chanson de trois minutes, faire une démonstration de sa liberté sans ne rien recevoir en retour. Car on ressort bien vide d’un concert. On n’en retiendra pas grand chose sans pouvoir admirer la trainée de sang qu’on a laissé derrière soi. Quelle autre profession de foi que de jeter cette musique sur le monde et de dire : je suis né mauvais.

http://www.myspace.com/jackofheart

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