Hormis un titre cool, l’idée d’un article « Gonzo Porn VS Gonzo Journalism » n’avait pas grand intérêt. A l’origine, il y avait donc une étude comparative entre un courant littéraire et son homonyme tout en vidéo (dé)culottée. Et puis finalement, je me suis contenté de rencontrer « l’homme qui voit tout », Stephen du Tag Parfait, responsable du meilleur (et seul) magazine de la culture porno et de la génération Youporn.
Bref rappel des faits[1]: les années 80 ont produit un star system du porno. Parallèlement, ceux qui regardent le font en douce parce que c’est l’hachouma. Tous ceux qui connaissent les premières connexions ADSL forment plus ou moins consciemment ce que les spécialistes appellent « la génération Youporn ». Premier constat : l’accès aux vidéos de cul a bien sûr popularisé le X en tant que support masturbatoire, mais a surtout « désenchanté » une jeunesse désormais imperméabilisée aux fantaisies les plus hardcore. Mais y a-t-il l’once d’une culture commune à cette génération Youporn ? Stephen est le fondateur du Tag Parfait, et puisque les coïncidences n’existent pas, il signe sous le pseudo de « Gonzo ». 27 ans, pas plus de barbe qu’Amanda Lear n’a d’œstrogènes, et un sourire franc pendu aux lèvres, le jeune homme n’a pas besoin de sortir de son personnage de grand timide pour montrer que le 69ème art est bien son rayon. Le Tag est né dans son esprit il y a environ deux ans. Quand un peu bourré en soirée il se met à parler de cul en “tag”, un mot par idée. Le concept vient de là. Le Tag, c’est l’analyse de la description, le guide d’achat du cul. Avec le temps et une sérieuse dose d’humour, le magazine de la culture porn s’impose comme l’honnête prescripteur de toutes les tendances de vidéo hot de l’internet. Pour lui, le X est entré dans la culture populaire tout simplement parce qu’Internet et le gonzo ont permis aux jeunes, et aux gonzesses notamment, d’en voir facilement. “Aujourd’hui, mater du porno s’est complètement déculpabilisé, on en parle ouvertement et avec tout le monde. Bon, le porno français fait un peu peine à voir, mais aux USA la qualité est incroyable, et c’est carrément un truc de dudes que de s’en mater un entre potes”. Toute la filmographie de Judd Apatow peut en témoigner. Exit les thérapies du Doc, de Difool ou de Maurice sur Skyrock, dès lors qu’on peut s’astiquer la libido avec un bon P.O.V[2], genre où l’acteur tient la caméra et où le spectateur rentre en immersion (presque) totale. Les films « amateurs » et leur succès illustrent bien à quel point la génération Youporn s’est décomplexée dans sa consommation et son partage des bandes. Girl next door, Sister’s friend, Home-made… Les catégories les moins professionnelles sont souvent les plus vues. Nous parlons donc d’une génération décontractée du gland. Mais à part ça ? Sur Internet, les magnats des tubes (Porntube, Sextube, Youjizz…) ont créé des systèmes de web-économie uniques où des milliers de sites s’auto-alimentent en vidéos de cul. Pour la plupart, il s’agit de vidéos gonzo, qui avec leur format court sont des produits idéaux pour remplir le net. Ces sites de sexe génèrent 40 % du trafic Internet mondial. Statistiquement, vous devriez donc vous la caresser avec deux doigts sur cinq en lisant.
Du baise-en-ville au baise en ligne, il n’y a qu’un pas. Un clic, plutôt, avec des solitaires en manque de copier-copuler, désirant tous baiser comme des pornstars. Mais est-ce que les gens veulent reproduire ce que font les pornstars parce qu’ils ont vu tel ou tel film ? Du bullshit selon Stephen: « Segolène Royal, en parlant d’un viol collectif, disait ‘c’est de la faute du porno sur Internet’. Non, les tournantes existaient avant Internet. C’est comme si on disait que les geeks sont des ahuris, ou que la TV rend bête. » C’est Yann Moix qui, posé en analyste sur le plateau de On n’est pas couché en 2009, démontrait que l’éjaculation ex-utero se pratiquait de plus en plus dans les couples en raison de notre tendance au mimétisme. Là encore, Stephen explose cette théorie : « l’éjaculation sur le visage (cumshot chez les ricains, mais vous le saviez sûrement déjà, NDR) est plus spectaculaire, d’où sa présence dans les films, mais elle a toujours existé comme moyen de contraception, dans la littérature chez Sade ou chez Mirabeau. » Pourtant, le fait de catégoriser les fantasmes ne semble pas très bon pour l’imagination et l’excitation. Choisir entre #naughty, #dirty, #redhead ou #milf ne porterait pas atteinte à notre mojo : « Est-ce que cela retire vraiment le fantasme ? J’ai tendance à dire qu’après, tes fantasmes sont tributaires de ce que tu regardes. Mais ce n’est pas un mal. C’est dommage que cela soit dommage, plutôt. Ce n’est pas cela qui va t’arrêter d’imaginer. » Ecouter ce pro du porno, c’est un peu se laisser convaincre que le sexe en ligne est la chose la plus inoffensive à regarder le soir en rentrant du boulot. C’est pourtant ce qui a décimé des dizaines de titres de presse et boîtes de production (sans parler des serveurs minitel spécialisés ou de revues d’(a)mateurs comme Couples). « Internet et le gonzo ont tué le X », pleurait Katsuni chez Ruquier en 2009. Elle entendait par « X », tous ces gros bonnets qui tournent les scènes de fesses pour papa dans des châteaux, sans jamais renouveler le scénar du bourgeois sur sa bourgeoise. On résume : des films « comme à la maison » qui font fi du circuit traditionnel de production et la promesse de ne pas perdre toute sa libido en route. Que demande le peuple ? Comme toujours : du cul, du cul, du cul !
Que réserve l’avenir à ces deux supports libertins ? Et que vont changer la 3D, la réalité augmentée[3] et les extensions en .xxx ? Une fois de plus, il semblerait que l’art du boulard n’ait pas dit son dernier mot. « J’ai un ordinateur 3D, et même si ce n’est que le début de la technologie, quand tu regardes un P.O.V là-dessus et que la fille s’approche de toi, tu te surprends non pas à dire, mais à penser ‘ouais vas-y’ », dixit « Gonzo » Stephen. Le comble serait que cela soit le porno qui apporte enfin à la 3D les sensations qui lui font défaut. A un point avancé de cet article de merde, je me rends compte à quel point les technologies peuvent un jour nous faire saliver sur l’écran. On entend déjà fuser les pré-diagnostics : « risques d’hallucinations, addiction, satan dans les tuyaux, etc… », le tout balancé par une Christine Boutin toujours en deux dimensions. Ca sera génial. Et puis il y a aussi des espoirs du côté de la réalité augmentée, une technologie qui permet d’intégrer un décor réel à une situation simulée. C’est de la 3D inversée : on prend sa piaule en webcam et on y invite une playmate à faire un petit lapdance, c’est mixé sur l’écran, et après on mate. Une technologie amusante, qui pourrait devenir très novatrice en combinaison avec la troisième dimension. Et si le porno devenait trop réaliste ? S’il devenait une drogue à part entière, avec sensation d’isolement, mal-être et tutti quanti ? On s’en fout, non ?
J’en reviens à mon idée de départ: comparer le gonzo journalisme au porno gonzo. Certainement une mauvaise idée pour un mauvais (su)jet, d’autant plus que vous avez peu de risque de sombrer dans l’addiction en lisant Gonzaï ou matant les intégrales d’Hunter S. Thompson. Et pour ma part, la masturbation intellectuelle s’arrête à acheter des originaux de Joe Jackson, alors bon…. Bilan Gonzo VS Gonzo ? Forfait, idée pourrie de toute manière. Me reste plus qu’à ferme la porte à double tour.
http://www.letagparfait.com/
Crédit Photo: Antoine Doyen
[1] Sur autorisation de François Mitterand, Exhibition, le premier porno de Canal+, est diffusé le 31 août 1985. Lescure est alors directeur des programmes, et le président de la chaîne, André Rousselet, se frotte les mains puisque grâce à cette dérogation il va doubler son nombre d’abonnés. Quelques trente années plus tard, ce business cochon a pris du poids : entre un et dix milliards de dollars par an. Un sacré pactole généré à 80 % aux States.
[2] En rapport à un super article du Tag Parfait, La thérapie par le POV, où « Gonzo » Stephen explique comment le P.O.V. peut être pris comme une came, et comment la 3D va foutre la gaule.
[3] Démonstration de ce qu’on peut faire déjà aujourd’hui avec un marqueur et une webcam.