J’étais seul, débarquant à Angers pour la première fois, avec la ferme idée en tête de ne pas dormir de tout le festival. Je ne voulais rien rater, éviter tout parasitage, vivre mon truc à fond comme une plongée dans les abysses de ma conscience. Fan absolu de ce nouveau son, qui n’a selon moi, pas grand chose à voir avec celui que l’on nomme en référence des 60’s, je voulais mettre à l’épreuve ma détermination. En réalité, passer son temps à écouter The Cult Of Dom Keller et autre Acid Mother Temple sur Youtube était logiquement incomparable avec ce qui m’attendait.
Il faut dire que la nouvelle ère du psychédélisme couve une faune bien particulière, hétéroclite pourtant. Exit les idéologies post soixante-huitardes, les mouvements altermondialistes, les manifestations anti guerre. Le public avait changé, profondément. La World Company avait gagné et l’on vendait en ce monde, ici et là, toutes sortes de références vaseuses au flower power. Le hippie était devenue le plus joli pantin de la société de consommation, mais ça Houellebecq l’explique bien mieux que moi. Angers était un échantillon convainquant où se mélangeait hipsters new age, rockers en cuir, types à dreads et civiles anonymes, avec ce sentiment de faire parti d’une famille, d’une minorité d’initiés qui avaient trainé sur les mêmes forums, écouté les mêmes groupes non signés. Le pouvoir d’internet planait au dessus de nos têtes et on en avait à peine conscience. Les regards se croisaient, tout sourire, et les premiers arrivés rejoignaient la petite scène, avec encore ce filtre social qui vous empêche de communiquer directement. Non loin de moi, un américain solitaire, en voyage, avait fait le déplacement.
Ouverture du bal par Blondie’s Salvation. Pas décevante.
J’étais sous le charme de ces mômes angevins, pas impressionnés par l’événement, jouant à fond, sitar en main. La petite brune à la batterie frappait comme un homme, aidé par un cinquième membre déjanté qui martelait une demi caisse – parfois son propre crâne – pour ajouter à la cérémonie ce qu’il fallait de tribal. Voilà, j’étais en plein dedans, et me dirigeais maintenant vers le press room où l’on me proposa gracieusement petits encas et grosse mousse de houblon que j’acceptais timidement. On s’habitue très vite à ce confort. Si bien que je me suis envoyé au moins quatre pressions avant de rejoindre la scène de Lola Colt. L’ambiance y était différente, plus sensuelle et raffinée, dû au fait que le groupe soit composé majoritairement de filles. N’y voyez rien de machiste, l’univers psychédélique est plus sauvage qu’il n’en paraît et une touche de féminité vaut son pesant de grâce. Suffisamment en tout cas pour que le public s’oriente vers la scène extérieure où les allemands de Camera ont clairement remis les choses à leur place. Pas de chant, trois musiciens tête baissée dont un batteur debout pour un rendu plus Stoner que Psyché. Ayant retrouvé mon âme de viking, j’ai filé pour remplir mon gobelet et fais la connaissance de Chris, musicien de Origin of Black Eagles, groupe local ayant joué dans un bar pour le Off du festival. Je ne savais pas encore que Chris allait devenir mon sauveur par la suite pour différentes raisons. D’abord, parce que je m’étais fait volé mon Nikon dans le train et que lui, prenant de merveilleuses photos en argentique, commença par accepter de m’en offrir pour accompagner l’article.
Au set de Tamikrest, j’ai compris que le fossé était immense entre le public venu s’encanailler avec les artifices les plus palpables du psychédélisme et ce groupe de touaregs maliens avec un message politique sérieux à faire passer. La salle avait fini par être conquise. Je ressentais les premiers effets de l’alcool bon marché avant de me retrouver au devant de la scène pour les Wall Of Death. Démonstration impeccable, dont le niveau de décibel dépassait l’entendement. Tous conquis. « On va faire monter sur scène deux amis, vous les connaissez sans doute ». Petite hystérie collective au moment ou les leaders des Black Angels montaient sur scène pour jouer le titre qu’ils ont enregistré ensemble à Austin, Heaven By The Sun. Alex Maas était sacrément défoncé, de mon humble avis, et sa prestation allait faire entrer le festival dans le vif du sujet. L’atmosphère devint par la suite plus opaque encore. Après tout, nous étions au Levitation France, nom donné par les organisateurs pour cette version française de l’Austin Psych Fest, et il ne m’a pas fallu longtemps pour m’apercevoir au bar du press room que les Américains prenaient très à cœur la consommation incontrôlable de stupéfiants dans notre cher pays. Rien à voir avec l’Amérique profonde.
Les Dead Skeletons picolaient sévère, au point de se battre entre eux. Les choses se sont compliquées pour moi par la suite, au moment où j’ai rencontré un anglais tordu et passionnant à la fois, du nom de Will. Parlant de poésie comme un beatnik et du fait qu’on devait se foutre de l’interprétation du texte. « All is true ». Ok. J’ai donc loupé les Night Beats et décidé d’acheter leur dernier Lp « Sonic Bloom », en vinyle, pour me faire pardonner. J’étais trop raide. Will a disparu, j’ai réussi à me faufiler jusqu’au devant de la scène pour les Black Angels. Ô si vous saviez à quel point ces texans font la différence. Alors oui, il y’a le côté pop un peu chiant parfois. Mais tout est là, Maas a cette capacité, sans bouger, à hypnotiser le public, dans des moments suspendus, pour le faire exploser au moindre cri. Il y a quelque chose de Jim Morrison en lui. Sur le mur blanc dressé derrière étaient diffusées les images les plus géniales que j’ai pu voir à un concert. Au beau milieu d’un pogo, j’ai réalisé l’énergie imparable de certains de leurs titres, Young Men dead, ou Don’t play with guns.
Fin de la première soirée. Début de l’aventure.
L’after show a duré jusqu’à 4h du matin. Après quoi, les plus allumés ont fini dans le centre ville d’Angers, les Wall Of Death m’ont avoué leur passion pour les clubs pourris. Vers 8h du matin, cela n’avait plus aucun sens. Le bassiste de Night beats parlait tout seul et faisait des propositions incompréhensibles à toutes les filles qui croisaient son regard. J’ai fini par m’écrouler je ne sais où, pour finalement me réveiller quelques heures plus tard. J’avais donc raté le déjeuné prévu avec les Black Angels, et j’ai eu écho de leur conférence de presse totalement abstraite.
Parallèlement, le Grand Théâtre d’Angers organisait une exposition de pochettes de disques et affiches issues de la collection de Philippe Thieyre intitulé « Aux racines du psychédélisme ». Sans grand intérêt. Strangers Family Band ayant annulé leur concert ainsi que toute leur tournée – « pas assez rentable » ai-je entendu en coulisse – les bordelais de Lonely Walk ont donc été avancé à 17h15, suivis par Neue Wilde pour combler le trou à 17h55. Je n’avais pas été prévenu. J’ai donc directement rejoins la grande scène à 18h35 pour voir The Ufo Club, groupe réunissant Christian Bland et Night Beats. Je n’ai pas été déçu. Encore un projet qui tient la route pour Bland, dont la maitrise de la Wah Wah m’impressionnera toujours. Il est vrai que le set était assez approximatif, mais l’essentiel était là. Après ça, Les Français de Mars Red Sky, et leur Stoner mélodique. Musicalement, la ressemblance me frappe avec les californiens de Tweak Bird dont on ne parle pas suffisamment. La fatigue est remontée en moi, et la moindre distorsion me faisait vaciller. J’avais besoin de repos. J’ai croisé Will, l’anglais qui m’avait tenu compagnie la veille. Il m’explique alors qu’il a passé la nuit dehors, me parle de l’embourgeoisement de Berlin, de Jean Genet et j’en oublie Beak. Je tente d’esquiver la discussion, prétextant que j’ai du travail, pour aller m’enfiler une bière en solitaire. Sur la scène extérieure, The Telescopes a commencé son set. Du Noise comme on en fait plus depuis 15 ans. Il faut dire que le parallèle est bien trouvé. Le Noise comme le Stoner, font parti intégrante du rock psychédélique au même titre que le krautrock allemand.
Accepter d’entendre une seule note pendant 45 minutes
Et pour cause, c’est le mythique Damo Suzuki, ex chanteur de Can, qui prend la relève sur la grande scène. On est loin d’une quelconque ambition de reformation, Damo n’est pas le genre de mec carriériste. Le Japonais ne fait pas dans la demi-mesure et sa prestation divisera le public. Damo ne construit pas son set pour mener son public à la baguette. Tout est quasiment improvisé ; Il faut être sacrement préparé pour accepter d’entendre une seule note pendant 45mn. La batterie se résume à quelques breaks pour relancer de plus belle la distorsion lancinante de la guitare. Soit on aime, soit on dégage. J’ai fermé les yeux, et laissé ma tête penchée en arrière pendant tout le concert, et quand j’ai repris mes esprits, je me suis dis que ce salopard de Damo avait réussi. Je n’ai rien compris, j’ai pensé à des milliers de choses, ça m’a fait l’effet d’une drogue auditive, une spirale de reverb plus proche de l’apocalypse que de la berceuse. J’en étais là, somnolant, prêt à accepter mon sort de dernier survivant d’une invasion d’Annunaki. Grandiose.
Quand j’ai ouvert les yeux, la moitié de la salle s’était vidée, j’ai fait mine de rien, je suis sorti sans attendre la fin du spectacle. J’étais scié. L’alcool faisait son bonhomme de chemin, j’en ai profité pour passer au vin rouge avant Elephant Stone. Après leur premier album plutôt indie rock, « The Seven Seas », les Canadiens ont pris un virage plus psychédélique en incorporant merveilleusement de la sitar ou du tabla dans leur nouvelle compo. En fait, ce qui rendra si singulier leur show, c’est cette vision plus positive de la musique. On ne peut pas nier que le rock psyché a pris un virage plus sombre depuis les années 80’s, les Elephant Stone eux, sont parvenus à égayer le festival, de par leurs mélodies lumineuses. Au moment où je faisais ce constat, j’ai aperçu une étoile filante transpercer le ciel, et comme je n’étais pas le seul, on s’est souri, conscient qu’il y avait tout de même quelque chose de magique à être ici. J’ai revu l’américain solitaire du début, mais je n’ai pas osé lui parler. Ce type avait parcouru des kilomètres pour venir voir ces compatriotes, il méritait bien que je l’emmène dans le coin presse, histoire de se faire dédicacer un acétate ou deux. Mais je n’ai rien fait. Je suis parti me désaltérer, et j’avais une toute nouvelle énergie en moi. J’avais l’alcool joyeux et j’ai foncé voir les Dead Skeletons pour leur première date française. De la pure incantation. Des encens étaient posés au devant de la scène et embaumaient la salle entière.
Répétitif et lourd, ces Islandais flirtent plus que de raison avec un délire incantatoire proche d’une procession inca. Les sonorités sont proches des derniers albums d’Anton Newcombe, avec qui le chanteur de Dead Skeletons – Jon Saemundur – a d’ailleurs crée Dead Tv, radio/télé pirate qui diffuse de la musique expérimentale autour du psychédélisme. L’ambiance macabre de leur set m’a plu. Le batteur percutait des rythmiques à la Joy Division tandis qu’un autre, debout, se chargeait de défoncer une demi-caisse. Le côté tribal, encore.
Puis j’ai cru rêver. Triturant sa basse, j’ai reconnu Will, mon compagnon de beuverie depuis la veille. J’en revenais pas. Après tout ce temps passé à discuter, il ne m’avait rien dit concernant son set avec les Dead Skeletons. Il commençait à se faire tard, et après une nuit blanche et les litres de bières écumaient depuis la veille, mes idées se brouillaient, si bien que je devenais emmerdant pour la plupart des gens. L’état d’ivresse avancé concernait une grande partie de l’assemblée. Et Christian Bland est arrivé en marchant d’une façon extrêmement étrange. Il se mordillait les cheveux et a commençait à parler réincarnation. J’étais fasciné. « I know it’s weird » m’a t-il confié. Il pensait être la réincarnation de l’animal de compagnie de Davy Crockett, d’après ce que j’ai compris. Puis il a tenu à me faire écouter du Jacques Dutronc. Et à ce que je lui traduise les paroles…
Les Deads meadows sont montés sur scène avec leur blues psychédélique vers 1h30 du matin pour clôturer le festival. A ce moment là, Will est réapparu, totalement ivre. Il était tombé amoureux d’une serveuse du staff du Chabada, et me demandait mon avis. « Elle est démoniaque » lui ai-je dit. « Pourquoi ? » « Parce qu’elle ressemble à un ange. » Toute bonne chose a une fin.
Le rock psychédélique, même si le terme semble un peu galvaudé aujourd’hui, a pris une dimension impalpable pour ceux qui le suivent. Loin d’être figé dans le passé, fricotant avec l’avenir de temps à autre, il s’inscrit dans une longue tradition. Des hommes cherchant à côtoyer le divin, avec toute la maladresse qui leur est propre. La culture drogue qui, dans son ensemble, survit tant bien que mal, est vouée à se désintéresser de l’acte politique. Subsiste toujours les jolies fleurs mutlticolores, le culte du cool et les suédoises sans amour propre. De retour à Paris, j’avais veillé trop longtemps pour me foutre au pieu. J’ai donc foncé à la Mécanique Ondulatoire pour voir les Night beats que j’avais raté le vendredi soir. Triste retour à la réalité, j’ai senti qu’ils entraient dans le noyau dur d’une tournée. Le son était médiocre, le bassiste, en pleine redescente d’acide, balançait un coup fatal à son micro défaillant. Et ils ont fini par donner un set bien garage.
Will m’avait laissé son nom pour m’envoyer sa poésie. Il m’aura fallu trois jours pour réaliser que ce dandy dormant dans la rue, prêt à en découdre avec qui lui cherchait des noises. Il répondait au nom de Will Carruthers, c’était l’ancien bassiste de Spacemen 3, Spiritualized, Brian Jonestown Massacre, et maintenant des Dead Skeletons. Les anglais ont le chic pour mystifier les honnêtes gens.
Crédit photo : Chris Taylor de The Origin of Black Eagles.
2 commentaires
puddain, moi aussi j’ai vu l’étoile filante !!!!
Excellent report, l’anecdote avec Will Carruthers m’a tué!