Avec pareille introduction, on regarde le premier album du trio berlinois avec perplexité et inquiétude. Parce qu’à force de lire, écrire et ingurgiter le mot krautrock à toutes les sauces sur le premier disque venu, à force de se farcir de la grosse caisse tabassée par un batteur anémique, on en vient à se méfier. Voire, parfois, à ne même plus prêter attention aux références obscures citées par le leader en interview. Parce que c’est bien beau de citer La Düsseldorf, Cluster, les B-Sides d’Eloy ou tout autre groupe d’étudiants des Beaux-Arts de Cologne, ça n’en reste pas moins inécoutable dans la majorité des cas. Et l’auditeur d’avoir l’impression d’avoir fait le tour de la question avec un genre musical siphonné jusqu’au tube digestif. « Camera a déjà joué avec des légendes du krautrock comme Michael Rother ou Dieter Moebius, dit la bio. Sur leur premier album, on entend clairement des références telles Neu!, Harmonia ou La Düsseldorf. » Voyez, c’est sans fin.
L’Allemagne étant devenue, au tournant des années 2000, ce grand discount d’Europe du Nord divisé en seulement deux rayons, avec d’un côté les hipsters berlinois à casquettes qui signent généralement chez Shitkatapult, Morr Music ou Kitty-Yo, et de l’autre les nerds obsédés par « Tago Mago » et le fantasme d’une prise USB greffée directement dans le rectum du batteur monté sur ressorts, on aura déjà compris à quel camp appartiennent les types de Camera. En prise directe avec leurs mentors allemands, un groupe qu’on imagine très bien en train de passer ses vendredis soirs à mater des vieux films de John Carpenter en rejouant à la bouche tous les bruits de synthés.
Et donc, la grande question : les mecs de Camera se sont-ils fait un film – facile – avec leur « Radiate! » ? Est-ce un noble hommage aux vieux précités ou un énième plagiat des batteries d’Hallogallo pratiqué par des techniciens de studio au physique d’huître ? Un peu des deux, mein general. Sans complètement arriver après la guerre, et alors même que leur premier album s’avère nettement plus recommandable que bien des pitreries tapotées sur un drumkit iPad, Camera ne révolutionne pas le krautrock, et c’est même pas vraiment le but. Sans être complètement génial, « Radiate! » n’en est pas pour autant banal. La piste d’ouverture, E-Go, délicieuse à souhait, rejoue la même séquence que dans les grands classiques allemands – pour la faire courte, une batterie martiale bien mixée en avant et soutenue dès la deuxième mesure par un riff de guitare torturé qui oscille entre la nostalgie de la guerre froide et l’âge d’or de l’industrie nucléaire – et ça marche comme ça pendant sept minutes. Mieux que ça, même, ces ondulations instrumentales répétitives donnent envie de torturer des chatons avec un masque de soudeur vissé sur le crâne.
La suite est une variation sur le même thème. Sept autres plages aux formats divers, qui jouent parfois le western spaghetti à Dublin (Villon), qui d’autres fois s’étirent sur dix longues minutes pour jouer le remake d’Assault de Carpenter (Lynch), qui touchent parfois au sublime (Ausland) et qui, globalement, permettent au mélomane d’en avoir pour son argent sans avoir à supporter ni refrain, ni chanteur, ni artifice susceptible de nous éloigner du sujet initial : le groove robotique.
Conventionnel certes, certainement parce que trop respectueux des prédécesseurs, le trio de Camera impose tout de même sa force tranquille en traçant ce qui ressemble à une ligne Maginot, claire et limpide, entre le remake rigide et l’adaptation souple. Une fois n’est pas coutume, ces bons Allemands ne sont pas du mauvais côté.
Camera // « Radiate! » // Bureau B (sortie le 3 aout 2012)
http://www.bureau-b.com/camera.php
6 commentaires
« un énième plagiat des batteries d’Hallogallo pratiqué par des techniciens de studio aux physiques d’huitres ? » Mec ! Kess ke j’ai ri ! La punchline la plus coolos de l’été.
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