« On va t’péter le coccyx à 3 parce que t’es trop balèze » ça, c’est une punchline signée Booba qu’on aurait bien lâchée à l’Américain Eugene Robinson lors de notre rencontre, si on avait été un peu plus bêtes et burnés. Mais on s’en est bien abstenu. A la place, on a passé une semaine à Marseille en l’excellente compagnie de l’ex-bodybuilder et actuel chanteur du quatuor noise Oxbow. Début avril, le musculeux frontman, épaulé de son guitariste Niko Wenner, était convié par le CIPM (Centre International de la Poésie de Marseille) et le GRIM (Groupe de Recherche et d’Impro Musicales) pour une résidence d’écriture, une lecture ainsi qu’un concert de folk décentré – intitulé Oxbow present’s Love’s Holiday – donné au cœur de la glorieuse salle phocéenne l’Embobineuse.
Journaliste pour The Wire, LA Weekly, Vice ou Hustler Magazine, choriste pour les Dead Kennedys ou biographe de Neurosis… Eugene S. Robinson, 48 piges au compteur, s’est déjà armé d’un C.V. aussi épais que ses biceps. Outre-Atlantique, le performer tatoué est aussi et surtout connu pour son ouvrage Fight, Everything You Ever Wanted to Know About Ass-Kicking but Were Afraid You’d Get Your Ass Kicked for Asking, une encyclopédie flippante et richement illustrée sur la baston, la vraie. Oui : lorsqu’il ne hurle pas ses spoken words hallucinés sur scène ou qu’il ne dissèque pas la contre-culture à l’aide d’une plume gonzo bien aiguisée, Eugene aime foutre sur la gueule de ses semblables, à l’envie, dans la rue ou sur un ring. Le cassage de nez, une forme de lutte sous-estimée selon lui. Dans l’avion pour Marseille, Eugene avait d’ailleurs repéré sur le net un centre de fight local. Il y est naturellement allé et en est naturellement revenu avec la lèvre explosée, affichant depuis un large sourire déstructuré. Même après son concert à l’Embob’, dans le taxi de nuit qui le ramenait à l’hôtel, Eugene contemplait les rues de Marseille et ses noctambules avec l’envie que quelque chose de très grave nous arrive. Écouter, lire et côtoyer l’auteur-freefighter, c’est s’exposer aux voix de 10 000 petits Tyler Durden qui viendraient vous susurrer dans les pavillons : « Comment pourrais-tu te connaître si tu ne t’es jamais battu ? ». Bienvenue à la Violence, bienvenue dans l’entretien à huit bras.
Comment perçois-tu Marseille par rapport aux autres villes hexagonales ?
Bah justement on en parlait hier avec mon pote Philippe Petit (artiste marseillais aillant collaboré avec Lydia Lunch, NdlR) qui me faisait remarquer que cette ville était très semblable à San Francisco, vue de Notre Dame de la Garde. A San Francisco, il y a la travée pour les pauvres et la ville… Marseille n’a pas de pont, mais cette ville s’étend elle aussi à perte de vue. En fait, à chaque fois que je suis venu ici j’y ai passé du bon temps, sauf la première fois où on s’était fait niquer par le promoteur de la tournée (rires).
Beaucoup de gens trouvent Marseille violente, et considèrent qu’on ne peut pas l’aimer du premier coup…
Ah bon ? Non, je ne pense pas. La première fois que je suis venu, j’ai vu un combat dans les rues, les mecs se battaient pour quelque chose comme genre deux euros ou je ne sais pas quoi. En tout cas c’était assez cool à voir ! Moi, la ville la plus violente où j’ai pu mettre les pieds, ça doit être Naples. Là c’est le chaos à tous les coins de rue. Mais même à Naples, je me sens en sécurité par rapport aux villes américaines ou anglo-saxonnes. Je maintiens que les Américains et les Anglais sont les occidentaux les plus violents. Prends Mexico en Amérique latine. Franchement cette ville est dangereuse à cause de la pauvreté. Mais là-bas, si tu ne trafiques pas de drogue ou que tu ne portes pas de bagues en or à tous les doigts pour montrer que tu es super riche, t’es tranquille. Il y a quand même les règlements de compte entre gangs autour de la drogue, mais on ne ressent pas cette violence généralisée. Je suis content d’être à Marseille, au moins je n’ai pas peur d’être assassiné en permanence ! Si je conduis sur l’autoroute périphérique en Californie, qu’une voiture se met à me suivre de trop près, soit j’accélère, soit je ralentis parce que j’ai la trouille d’avoir quelqu’un derrière moi. Aux États-Unis, des gens se font tuer parce qu’ils ressemblent à quelqu’un. Il y a un jeune bassiste de R’n’B qui s’est fait tuer alors qu’il allait répéter. Les mecs l’ont pris pour un autre, ils l’ont laissé pour mort dans sa voiture et sont partis, ils avaient vu que ce n’était pas le bon gars. On ne va jamais les retrouver… C’est pour cela que je suis en sécurité ici.
Tu es en tournée en Europe en tant que duo acoustique, mais également pour des lectures de ton roman The long slow screw… Ca ressemble un peu à des vacances, nan ?
Attends mais pas du tout ! Oxbow presents Love’s Holiday, c’est le groupe acoustique qu’on a avec Niko (Wenner, guitariste d’Oxbow, NdlR), c’est une version duo où on joue aussi des titres d’Oxbow en acoustique. On a aussi fait des concerts acoustiques en tant qu’Oxbow, et même sur la dernière tournée, on jouait quelques titres débranchés, à même le sol. En plus Oxbow, version électrique, revient fin mai pour une tournée française. On va jouer à Paris, Lille, Lyon, Angoulême… Donc non, on ne peut pas vraiment parler de vacances ! Je prendrai des vacances quand… et bien je n’ai jamais pris de vacances ! Comme on dit aux États-Unis, « les prisonniers de guerre ne sont jamais en vacances ».
Tu lis des auteurs français ?
Carrément, j’ai beaucoup lu de Français, ils constituent une influence majeure. Le premier c’était Robbe-Grillet, un romancier conceptuel. Tu connais son livre La Jalousie ? C’est vraiment bon. À l’école, j’ai aussi lu Candide de Voltaire, j’avais bien aimé. Ce que j’ai toujours aimé avec vos écrivains et vos penseurs, c’est cette idée de l’écriture en tant qu’exercice conceptuel. Par contre, tu vois, avec un postmoderne comme John Hawkes, bien qu’il soit très apprécié, j’ai beaucoup plus de mal. The Beetle Leg m’a laissé une sale impression d’ivresse, comme si j’avais bu trente bières cul sec. Donc côté référencement intellectuel, j’attache une attention toute particulière à la littérature française. Mais l’ouvrage qui m’a poussé vers l’écriture, c’est Catch 22. Joseph Heller est phénoménal. Son livre traite de la Seconde Guerre mondiale et parvient à être drôle… Le meilleur livre de tous les temps. De toute façon, les livres et les vêtements sont les deux seules choses que j’accepte en cadeau. Peu importe ce que tu m’offres comme vêtement, même si c’est ridicule, je le porterai. Idem pour les livres.
Au fil du temps, l’écriture d’Oxbow est devenue de plus en plus minimaliste, particulièrement sur The Narcotic Story, votre dernier album… Une volonté d’aller à l’essentiel ?
A chaque note ou parole possible, il y a réellement une réflexion à avoir. Plus tu prends du temps à concevoir, plus tu inscris ton œuvre dans la durée.
Un peu comme lors d’un combat ?
Quand je regarde un combat, que je me bats sur un ring ou contre un mec qui m’embrouille, c’est toujours la même chose. Ce que je recherche avant tout, c’est le triomphe de la volonté. En fight, il faut savoir que les pros ont pratiquement tous le même niveau technique. La différence se joue au mental. Tu n’est victorieux que si tu le veux vraiment. C’est d’ailleurs tout l’intérêt : tu peux gagner un jour et perdre le lendemain. Il n’y a rien de figé ou de constant. Quand je me bats contre des pros, c’est généralement pour m’amuser. Donc je me fais battre. Mais parfois, il m’arrive de les mettre en difficulté. Et c’est là que ça devient intéressant. Parce que l’idée d’être battu par un amateur leur est insupportable. Donc à ce moment-là tu peux voir comme une ampoule qui s’allume dans leur regard. La fonction « je ne peux pas perdre » s’enclenche en eux. Et moi, pendant ce temps-là, j’ai l’interrupteur « je peux le faire » qui est activé… C’est cette danse qui vaut le coup d’être vue. Quand je me bats sérieusement, d’un point de vue biologique comme cérébral, je ne m’imagine jamais en perdant. Même quand je perds ! (rires) Je continue de penser que je suis toujours le meilleur. Si le gars en face m’a battu, je serai capable de le battre à n’importe quel autre moment, c’est tout.
C’est ce qui s’est passé l’autre fois au club à Marseille ?
En fait, j’y avais été juste pour regarder. J’étais crevé, je n’avais pas mangé et j’avais le décalage horaire dans les jambes. J’y suis allé à la cool, un gars m’a prêté un short et on s’est entraîné pendant 3 heures. Finalement, un mec m’a mis des gants dans la main et m’a dit « on y va ». Et j’y suis allé sans protège-dents… La suite tu la connais ! (rires) Mais bon aujourd’hui je suis plus en phase avec la réalité et je résous souvent les problèmes en riant, avec philosophie. Même maintenant quand je me bats, j’essaie de le faire sans colère, pour rester focalisé sur la technique. Mais bon si on me cherche ça devient vite n’importe quoi. Surtout si c’est pour troubler une performance. Lors d’une soirée au Japon, il y avait une dizaine de mecs qu’arrêtaient pas de monter sur la scène pendant que les groupes jouaient. Ils s’en foutaient, tu vois. Genre ils parlaient à leurs potes dans la fosse en tournant le dos aux musiciens. Je suis allé voir l’organisateur pour le lui dire, et le gars m’a ri au nez. Oxbow a commencé à jouer, et comme prévu les dix mecs sont montés sur scène. Je les ai tous virés de la scène, sauf qu’il y en a un qui s’est éclaté par terre et est tombé dans les vapes. Franchement, comment tu peux être assez débile pour entrer dans la cage du lion et ne pas prévoir qu’il puisse t’attaquer ? J’ai vraiment l’air du gars à te laisser faire ce que tu veux ? Si tu n’aimes pas notre musique, tu vas au fond de la salle, tu bois un coup ou tu te casses. Parce que nous le concert, on va tout faire pour le donner jusqu’à la fin. Malheureusement, ça n’arrive pas toujours comme ça. Un jour à Washington, un mec torché n’arrêtait pas de me dire de la fermer. C’était lors d’un concert acoustique. On a arrêté de jouer, je suis allé mettre le mec par terre et le live s’est arrêté au bout de 20 minute alors qu’on devait jouer un heure. C’était un vrai désastre, comme de laisser une peinture inachevée.
Apprendre à se battre individuellement, c’est la première étape d’une lutte plus généralisée ?
Je pense que séparer désir ou colère de la stricte pensée, cela peut aider. C’est ce que le combat t’enseigne et c’est de ça dont il est question dans Fight. Agressivité et colère se transforment souvent en peur et en panique. Elles faussent ton jugement, elles empêchent ton esprit critique de fonctionner. Elles ne te permettent pas de répondre clairement à une question comme « Est-ce qu’on va en Lybie ou non ? » par exemple. Je trouve honteux qu’on ne t’enseigne pas le combat à l’école. Il fut un temps où l’instruction reposait sur l’apprentissage du latin, du grec et de la lutte. Je pense que les sociétés modernes pourraient profiter de ce savoir oublié…
En attendant la sortie de The Thin Black Duke, le prochain album d’Oxbow baptisé ainsi en hommage au Thin White Duke de Bowie, Eugene S. Robinson et son gang seront de retour courant mai pour une tournée hexagonale. Guerre sur terre, paix sur scène donc.
Par Sophie Massa et Théophile Pillault. Propos recueillis par Nicolas Debade.
Crédits photo: Pierre Gondard
Un extrait d’Oxbow present’s Love’s Holiday à l’Embobineuse (Avril // 2011) :
1 commentaire
la transe passe par le corps reconnaissance appropriation
de son propre corps
vibration d’un esprit qui traverse un corps
retrouver ce corps c’est le dépouiller de son enveloppe formelle, mais aussi exploration tactile physique se toucher le sexe mollarder pour marquer l’espace
le rituel se déploie Eugène Robinson ôte ses couvertures de peau
quand l’action s’inverse c’est que la fin de ce rituel approche
puissance du verbe violence donnée en partage
rares moments que ceux de la Vieille Charitée -cipm- ou de l’Embobineuse