Les 4X3 nous l’affichent aussi grand que possible : les fainéants vont pouvoir faire leur upgrade de concerts pour l’année. Les pieds dans la boue, le sac sur le dos ; allons camarades, allons nous farcir toutes les têtes d’affiches sous un cagnard sans nom avec un son pourri et l’odeur de merguez au fond des naseaux. Les festivals d’été ont été créés pour les démunis : condenser en trois jours assez de concerts pour tous ceux qui ne voient rien passer dans l’année. Aujourd’hui, c’est un événement de connards. Les lives en pleine air ont tué le concert rock.
Woodstock, L’île de Wight, l’illusion hippie de pouvoir mettre une centaine de milliers de personnes à tripper devant une seule et même scène. Le problème, c’est qu’il faut combler le vide, tuer l’espace entre le dernier rang et le haut de la scène. Oui mon gars, tu fais comment pour apprécier le doigté de Pete Townshend à 300 mètres de distance ? Tu ne le feras pas, tu ne sentiras pas la sueur sur son front ou l’aigreur dans son regard. Tout ce qui fait pourtant d’un concert une expérience hors norme ; chamanisme moderne de l’électricité.
Alors ils ont créé le light show, les idiots. Kaléidoscope dans un premier temps, laser multicolore et stroboscope dans un deuxième. Le light show n’a d’avantage que pour les sourds. On peut être ébloui même si l’on n’entend rien. Les jeux de lumières accrochent le public comme un amas de mouches, le groupe lui ne se fait que figurant d’une scène devenue vivante. Que penser des décors de scène ? Neil fait son live rust entouré d’amplis géants et de Jawas roadies alors qu’il n’y a rien de plus beau qu’un AC30 ronronnant et une Rickenbacker dévastatrice. Puis la fosse est devenue béate. Inactive parfois devant ces concerts surdimensionnés. « 35 000 ans plus tard, les dinosaures reviennent live ». Que l’on parle d’un Tyrannosaurus Rex en latex ou de Mick Jagger, tout cela reste un peu la même histoire.
Et pourtant, tout le monde vous le racontera. Son premier concert. L’atmosphère lourde, les yeux tirés et la peur au ventre. Ce sont les premières bières, c’était les premières cigarettes. C’est l’attente avec l’eau dégoulinant le long du dos. Et le souffle au cœur lorsque les premiers héros mettent les pieds sur scène.
Comme assister à une marche sur la lune en direct. Sauf qu’ici, c’est vous que l’on piétine.
Le concert de rock va à l’encontre de toute vie sociale. Il est beau, il est sulfureux, il est dangereux et sans pitié. Une messe païenne comme peut le voir Santiago, mannequin chevaleresque des Mantis. Une boucherie sympathique de mon propre point de vue. Une sorte de viol collectif inversé où un Titan se fait pousser des pénis pour pénétrer l’audience. Et c’est à l’audience d’obtenir sa propre réponse.
J’accepterais tout de mon public. Crachas, bouteilles… le public a tous les droits si le groupe se les donne. Et si le minimum semble de danser, virevolter, crier et suer tout le sel de notre corps ; je ne peux qu’encourager les débordements du type cassage de murs opéré par Nikki Brats lors notre dernier concert. Un acte désespéré, un appel à l’aide mal compris par le gérant de la salle. Mal compris du monde. Mais un acte d’une force poussé par une foi intarissable : celle de la musique.
Le videur qui me tient par la ceinture pour me pousser dehors, il l’a crié d’un souffle : « sataniste ». Non. Juste illuminé. Profondément religieux en tout cas. C’est parce que le live est le moment ou l’on s’adonne au culte, qu’il faut nourrir la bête du rock & roll. Oh, oui ; un doux cliché pour vous, les incrédules, qui ont pensé être touchés par la grâce en compilant les CD gravés dans votre discothèque. Mais les vrais amoureux savent de quoi il en retourne, ce qu’il en coûte. Le concert est le seul moment où notre vie peut se connecter sur une fréquence plus haute, un oubli presque complet.
Et pourquoi se casse-t-on toujours avant la fin des concerts ? Parce qu’une cigarette est plus excitante que se qui se passe sur scène.
Pourtant, laissez-moi vous donner un petit top 3 des concerts de cette saison 2008 – 2009 :
– The Stooges le 4 Juillet dernier à Rouen. Rien à faire, certains restent intouchables.
– Nisennenmondai le 29 Mai dernier à la Villette Sonique. Le summum de la transe masochiste, ou comment ne jamais donner à un public ce qu’il veut.
– The Crow & The Deadly Nightshade le 19 decembre dernier. Un panache électrique que vous ne verrez pas souvent sur des planches parisiennes.
Peu de groupes ont su préserver ce culte, cette envie de rendre ce que tant de magnifiques artistes leur ont donné. Nous leurs demandons souvent ici, dans les pages de Gonzaï, quelle motivation les pousse à jouer. Malheureusement, la réponse tient le plus souvent du néant. Il ne savent tout simplement pas ; ils sont dans cette position pour la frime ou pour atteindre un statut social. Une triste histoire de lutte des classes. Faire partie de la caste tant convoitée d’une société boboïsante : celle des artistes. Malheureusement, pas la moitié des prétendants au titre ne sont dignes de ce nom. Pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont de foi en rien. C’est ici la limite de notre pensée profane.
Plus personne ne vit sur cette terre pour nous illuminer.