● Quand la librairie Le Monte-en-l’air accueille Dan Fante en ce jeudi 12 avril 2012, on est trois packs de seize entassés dans le garage qui jouxte la librairie et, au plus haut que puissent me porter mes talonnettes, je n’aperçois pas le visage de Dan Fante. Si la figure du grantécrivain américain n’a pas de visage, alors Dan Fante est un grantécrivain américain.
● Quand les Français accueillent un grantécrivain américain, ils boivent pour lui faire honneur. Dan Fante lit un extrait de Bons baisers de la grosse barmaid où il raconte comment il a, difficilement, réussi à décrocher de l’alcool. A peine a-t-il ravalé son dernier vers que nous levons les nôtres à sa santé pour l’en remercier.
● Quand Dan Fante explique ce que veut dire « 86’d » (titre de son livre traduit en français par « Limousines blanches et blondes platine »), on entame notre troisième Jupiler, ce qui nous rapproche un peu plus de Saturne et de ses poètes. Si tu te fais virer d’un bar aux States, on te dit que t’es eighty-six, bref, que t’es pas le bienvenu la prochaine fois. La différence entre le grantécrivain américain et le grantécrivain français réside essentiellement sur le fait que si le grantécrivain français dit qu’il s’est fait « quatre vingt-six » d’un bar, c’est qu’il n’est pas un grantécrivain tout court. Dire « je me suis fait quatre vingt-six », bah, ça le fait pas, tout simplement.
● Quand un grantécrivain américain parle de son père qui lui aussi était un grantécrivain américain, et que l’on est bourrés comme des coings après notre cinquième Jupiler, on commence à oser des choses, comme rétorquer à même la religiosité du silence qui entoure la table du grantécrivain américain, que chez nous aussi, quand un grantécrivain français parle de son père qui lui aussi est un grantécrivain français, c’est pour en dire du bien, « Bah oui, regardez Roger Peyrefitte… Pièrefiste… Pèrefils… Roger Peyrefitte, vous z’avez compris ? C’est une blague, hein !… Ouais, vous z’avez compris ? ». Ce qui impressionne les Français, c’est qu’un grantécrivain américain, même sensible à l’humour comme John Marrant (1755-1791), ne desserre jamais les dents (Dan), même s’il porte un feutre (Fante, prononcez à l’anglaise : « a Feuut’… a Feu-ante… »).
● Quand vous avez totalement décroché de la lecture à cause du chien du garagiste qui aboie toutes les fois que le grantécrivain américain parle de baballe (« C’est une blague, baballe/bubble, vous z’avez compris ? »), vous prenez le temps de regarder autour de vous. Pourquoi, vous demandez-vous, gravitent toujours autour du grantécrivain américain publié dans une ‘tite maison d’éd’ française des attachées de presse survoltées qui roulent des hanches à en décrocher la mâchoire de tous les mauvais garçons rangés du circuit venus ce soir en amis proposer au maître des poèmes qu’ils ont écrits lors de leur dernière cure de désintox’ ? La tournée promo du grantécrivain américain sur le continent doit vraiment ressembler à un martyre, Weston Martyr (1885-1966).
● Quand vous vomissez vos Jupiler et que vous n’êtes plus qu’une tôle molle étalée sur le banc de redressage du garage automobile « Le Bi-Continental », vous vous dites qu’on vous y reprendra plus, à ces lectures dédicaces de mes c… Une attachée de presse passe son gros c… devant vous et vous pointe du doigt : « Oh, Dan, com’n heeere ! Seee zis guy, he’s ze perfect « exemple », on dit « exemple » ?, ah non exampeule of taïteul of your book, Dommages collatéraux, in French ! Don’t you fffink ssso ? ». Le grantécrivain américain vient mater le menu et n’attend pas que vous lui fassiez plus pitié : il vous relève d’un coup d’une main, main qu’il essuie tout de suite après à son feutre. L’algorithme de déduction se termine logiquement ainsi : si la figure du grantécrivain américain n’a pas de visage, elle a au moins une main, et une bonne !
Dan Fante // Dommages collatéraux, l’héritage de John Fante // 13E Note Editions.
Crédit photo d’ouverture: Nicolas Guerbe