Longtemps couvée et considérée comme le grand espoir de la pop électronique française, Oklou sort enfin son premier véritable album « Choke Enough ». S’il ne devrait pas décevoir les attentes, il est aussi l’occasion de se questionner sur la légitimité des critiques vieillissants.
Cette chronique ne devrait pas exister. Elle pose avant tout la question de savoir jusqu’à quand un « critique musical » peut rester pertinent quand il s’agit de parler de « musiques nouvelles ». Nous avons probablement tous l’angoisse de finir comme ces boomers restés bloqués sur les solos de guitare de Keith Richards ou la production nickel de Steely Dan. Ces mêmes chroniqueurs qui défonçaient les disques sortis en 1994 parce qu’ils n’y comprenaient rien alors que beaucoup d’entre eux sont devenus aujourd’hui des classiques. La volonté de garder une certaine ouverture d’esprit est primordiale quand on choisit de donner son avis sur la musique mais elle a aussi ses limites. L’amoncellement, l’évolution et les fusions des différents courants amènent fatalement un pauvre cerveau humain à perdre parfois ses repères face à des artistes ayant baigné dans un environnement totalement différent en termes d’influences et d’accès illimité au répertoire mondial dès le plus jeune âge.
Tout comme Simon Reynolds l’avait théorisé pour le hardcore, il y a bel et bien un « continuum » dans les différents genres. Mais, un observateur de rap formé au boom-bap a-t-il encore les codes pour déchiffrer Doeshii ou l’énième rappeur en Lil ? Il n’est absolument pas question ici de sombrer dans un passéisme mortifère visant à forcément descendre les musiques de millenials mais plutôt de se demander à quel moment on est largué, où on se dit qu’on est peut-être trop vieux pour ça ? C’est certainement un parcours personnel lié à son propre itinéraire musical. A contrario, il y aussi quelque chose d’assez pathétique à voir des papys s’enthousiasmer systématiquement pour tout nouveau genre dans le but de ne pas rater le wagon et rester désespérément à la page. La seule vraie réponse serait qu’il y a probablement de la bonne et de la mauvaise musique. Encore faut-il avoir les clés ou la volonté pour le discerner à travers les arrangements propres à chaque nouvelle tendance.
Enfant de Soundcloud
Un bon exemple en la matière pour un homme d’âge moyen comme moi serait l’hyperpop. Ce courant né dans les années 2010 en Angleterre autour du label PC Music venu principalement du web via Soundcloud qui prônait un immense mélange des genres allant pour résumer grossièrement de Britney Spears ou Madonna à Björk ou Aphex Twin en passant par les Cocteau Twins ou les jeux vidéos. L’immense succès actuel de Charli XCX, l’énorme influence de feu SOPHIE et sa propagation dans les charts et les différents styles jusqu’au rap montrent qu’il s’agit bien d’un mouvement de masse à prendre en considération. Je n’ai jamais réussi à comprendre cette musique trop criarde et syncopée pour moi, même si je me garderais bien d’y apporter un jugement. D’où l’incipit de cet article démontant l’existence même de cette chronique.
J’avais entendu parler d’Oklou via un ami il y de cela déjà pas mal d’années. La douce musique électronique composée dans sa chambre démontrait un vrai talent. Elle a très vite bénéficié d’une vraie crédibilité avec une carte chez NTS sans sortir pour autant d’album malgré un contrat chez Because, une série d’EPs et sa remarquée mixtape « Galore » en 2020. A l’image des gens de cette génération, elle possédait déjà un éclectisme étonnant lui permettant de citer tout aussi bien Justin Bieber que Boards Of Canada ou la période électronique de Durutti Column.
Premier album de la maturité
La Française de 31 ans a pris son temps et ce n’est donc qu’en 2025 que sort son premier véritable long format, « Choke Enough ». Contrairement à ce qui est dit un peu partout la qualifiant de reine française de l’hyperpop, ce disque n’en a pas forcément tous les aspects malgré la présence à la production d’AG Cook et de Danny L. Harle, les deux népo-moguls du genre aux parents avec des pages Wikipédia. Si elle privilégie l’intimisme à une forme d’outrance, cela reste un album bien ancré dans son époque avec beaucoup de tics de production du moment, autotune en avant. L’influence club est présente avec des nappes rave assez caractéristiques mais, un peu comme cela peut se retrouver chez Burial, c’est plutôt de la dance de chambre dans sa version onirique et mélancolique. S’ajoute tout un imaginaire Y2K très à la mode aujourd’hui nourri aux débuts d’internet, aux musiques de Legend Of Zelda ou Final Fantasy, aux dessins animés ou au CD comme le résume assez bien la pochette du disque. Des images venues de l’enfance et difficiles à interpréter pour quelqu’un comme moi qui, à cette époque, en était déjà à chercher un boulot pour manger. Mais, comme toujours, ce qui fera la différence, c’est la qualité des chansons. Et « Choke Enough » comporte indéniablement son lot de réussites. Avec sa solide formation musicale classique, elle sait apporter d’étonnantes touches médiévales à un environnement club (Harvest Sky), une trompette absolument bienvenue qui rappellerait de loin Air sur Obvious ou plus baléarique comme a pu le faire par le passé S8JFOU sur ICT. Family And Friends ou Thank You For Recording sont des exemples cohérents de pop futuriste inspirée. C’est finalement quand elle s’écarte un peu des oripeaux du moment qu’elle révèle pleinement ses talents de compositrice sur la belle conclusion Blade Bird.
Au regard des premiers accueils très enthousiastes avec notamment une très bonne note chez Pitchfork et une vraie frénésie sur les réseaux sociaux, le succès mondial devrait lui ouvrir ses portes avec une tournée internationale à venir accompagnée d’une autre sensation française, Malibu. C’est un engouement encore plus présent en dehors des frontières françaises et c’est finalement assez rassurant après des Victoires de la musique visiblement pathétiques. Oklou y parvient tout en gardant une certaine discrétion et une réelle crédibilité artistique. Il reste désormais à savoir si cette chronique méritait vraiment d’exister.
Oklou // Choke Enough // Because
NO WAY!
hier o soir y’avait pas de vent sur les foulourds des joueurs du grand rex
Te marie pas @ BAISEZIERES!
Merci. Grâce à vous, j’ai récemment découvert Oklou et je voulais en parler un peu ici !