Le musicien et producteur français Max Baby est secrètement en train de devenir le mec avec qui tout le monde a envie de bosser. Il a récemment coproduit le nouvel album de Clara Luciani et il sort un premier EP intitulé « Out of Control, Into the Wall » où se croisent Julian Casablancas et la French Touch dans une ambiance industrielle cheloue. Portrait de celui qui va tout péter en 2025.

Quand Clara Luciani cherchait des nouvelles personnes avec qui collaborer sur son troisième album et qu’elle est tombée sur le nom de Max Baby — par le biais d’Albert Newton —, le producteur de 32 ans y est allé au culot. Il reçoit les stems d’un morceau intitulé Cette Vie, les écoute, puis se dit qu’en fait, il manque un putain de refrain. Pour lui, le refrain de la chanson est un pont. Il le fait savoir à celle qu’il appelle « la madone » et se retrouve le lendemain à jouer sa partie au piano et en yaourt devant tout le monde : Clara Luciani, les producteurs Pierrick Devin et Sage, des gens de chez Sony, etc. Est-ce réellement du culot, ou alors que Max Baby a des facilités quand il s’agit de tout ce qui touche à la création musicale ? On y reviendra. Mais force est de constater que Max avait raison, et qu’il manquait bien un putain de refrain à ce morceau. Okay, mais là, vous vous posez forcément une question : c’est qui en fait, Max Baby ?

On va rembobiner pour commencer par le début. Dans le Berry, là où Max est né. Et plus précisément à Aubigny-sur-Nère, 5476 habitants au dernier recensement. Gamin, il s’amuse à imiter les guitaristes qu’il voit à la télévision, avant que sa mère ne l’emmène dans l’école de musique du coin. Le prof de guitare, habillé avec un col roulé en mode « prof d’histoire géo » (sic) ne lui inspire pas grand-chose. Par contre, un autre bonhomme aux cheveux longs s’agite derrière une batterie. Là, Max accroche. Il a six ans et commence alors son apprentissage. Le petit aime aussi les guitares. Il en récupère une vieille, avec seulement trois cordes sur six, et se met souvent en tailleur près de la radio pour reproduire les sons qu’il entend. Et sans difficulté, il y arrive. À 14 ans, muni d’une pédale qui lui sert de carte son et d’un micro, il enregistre ses premières démos. Puis — vous le voyez venir puisque c’est gros comme une maison — arrive le moment « groupe du lycée ». L’adolescent est dans un bahut à Bourges, il fait l’un de ses premiers concerts au Printemps de Bourges — la veille du bac d’anglais car Max est rock — et il rêve d’un avenir dans la musique.

« Ça peut paraître contradictoire, mais je trouve que c’est une chance inouïe d’arriver à un burn-out de ta passion »

À la maison, la maman écoute de la soul et de la pop (genre Stevie Wonder, Supertramp, Michael Jackson). Au skatepark, Max découvre le rock et le punk. Première claque. Puis dans le nord de la France où il passe tous ses étés — une station balnéaire où les Britanniques ont leurs habitudes —, le Français côtoie des jeunes anglais qui lui parlent d’un nouveau groupe : les Arctic Monkeys. Deuxième claque. À partir de là, il remonte le fil musical. Des Arctic Monkeys il passe aux Libertines, puis aux Strokes, puis à Television, puis à Joy Divison, etc. Sa troisième claque ? Justice au Printemps de Bourges en 2007, « avec le mur d’amplis Marshall ».

Bref, après le bac, Max débarque à Paris. Il a 17 piges, il ne connaît personne et tue le temps dans les magasins de guitares de Pigalle. Il veut faire des études d’architecture mais se retrouve dans une section de design graphique. Pour son mémoire, il crée une application audio-réactive qui permet de modifier la lumière sur scène en fonction des notes de guitares jouées. Les profs trouvent qu’il a fait du bon boulot : il termine major de promo. Dans la capitale, avec des potes de potes, il monte un nouveau groupe, signe en édition chez Because puis sur un label anglais. Mais le musicien n’a pas envie de s’attarder sur cette période — il y a eu des embrouilles, des histoires de thunes, blablabla. « Je ne renie pas du tout cette époque-là. Mais c’était vraiment une autre phase de ma vie. » On clôt le chapitre.

L’un des éléments positifs de cette histoire est le début d’une collaboration avec Because, qui marque le point de départ de son travail de producteur. Le jeune homme fait ses dents grâce à plusieurs projets (Albert Newton, Casablanca Drivers, Delv!s, etc.), son nom commence tout doucement à circuler puis il réalise l’album « Aperture » d’Hannah Jadagu qui sort sur Sub Pop Records en 2023. Une première grosse collaboration pour celui qui, quand il ne bosse pas pour les autres (Drugdealer, Weyes Blood, Kirin J. Callinan, Whisper, Marguerite Thiam, etc.), fait ses propres morceaux dans son coin. Des sons qu’il fait écouter à Savoir Faire, une structure parisienne spécialisée dans le management et l’édition musicale. Les équipes kiffent ce qu’ils entendent et poussent le producteur à se mettre en avant en tant qu’artiste. « J’adore les deux casquettes. Je suis aussi mon propre producteur, donc c’est parfois un petit peu schizophrénique. Mais je dirais que ça nourrit beaucoup la radicalité que je peux avoir », avance le Français, assis en terrasse d’un bar de Pigalle.

Certaines chansons de son premier EP, intitulé « Out of Control, Into the Wall », datent de 2020, comme Trouble. Une période où Max n’est pas au top de sa forme, coincé dans « une spirale d’autodestruction qui a toujours un peu été là dans ma vie. » Il écrit donc dessus, seul en studio, durant toute une nuit, à moitié endormi. À huit heures le lendemain matin, toutes les paroles étaient sur la feuille. La structure du morceau était elle aussi déjà là, avec cette fin en mode Julian Casablancas où il lâche les chevaux de l’autotune. Une comparaison qu’il accepte et comprend (le leader des Strokes, comme Ian Curtis, Lou Reed ou Alex Turner, est un chanteur qu’il admire) : « Merci, je suis flatté par la comparaison. Mais écoutez bien, parce qu’il n’y a vraiment pas que ça dans ma musique, précise le musicien. C’est clair que c’est une influence forte pour moi, j’ai aussi une coupe de cheveux qui lui ressemble un peu. C’est également l’héritage d’une culture au sens large. Mais ça me glisse dessus autant que ça me flatte. »

« Qu’on me présente comme un virtuose, ça donne l’impression que j’ai un super-pouvoir et donc tout de suite, t’es catégorisé comme quelqu’un de différent ou de spécial, comme quelqu’un de plus fort. Et ça met une grosse pression »

En tant que producteur, Max a un côté obsessionnel avec la musique. Il est le genre de mec qui peut passer des heures à triturer ses effets de batteries, à vous bassiner sur le son granulaire de sa guitare et à expliquer en détail le fonctionnement d’un synthé semi-modulaire. En tant que musicien, le Français se fixe des cadres et travaille à l’instinct, très rapidement. « En fait, les options créent le doute. Et quand tu doutes, tu ne fais rien. » Et Max préfère avancer au lieu de stagner. « Quand je fais ma musique, je la fais très vite et beaucoup dans l’instinct. Dans l’instinct et dans l’instant. Merde, c’est trop nul de dire ça. » Pour le titre All Over, qui parle d’un cycle infernal de teuf, il voulait un morceau rock avec un esprit club, genre Daft Punk, avec des violons disco. Max est synesthète (il peut par exemple associer un son à une couleur, une couleur à des lettres, etc.), alors quand il parle des sonorités de sa guitare sur ce morceau, il dit avoir eu une image et une couleur en tête, comme si « je voulais que la guitare sonne comme un écran LCD qu’on a pété et qui coule. Et je pense que je suis arrivé à peu près à ça, avec ce bruit métallique, presque industriel. »

Sur son premier EP, ce sont les détails qui comptent. Comme le contraste entre des guitares froides et des sons de batterie qui rappellent la French Touch, l’auto-tune qui se mélange aux synthés semi-modulaires, des gimmick presque funk qui s’entrechoquent avec du punk. Mais là où le musicien a vraiment donné de lui-même, c’est dans l’écriture des paroles, qui reviennent sans filtre sur des épisodes marquants de sa vie, des moments de spirale infernale, de perte de contrôle et de douleurs. Max : « La brutalité des paroles, qui sont réalistes et basées sur des choses que j’ai vécues, ce processus a été tout sauf cérébral. Ça m’a permis de raconter ce que je vivais, d’une manière thérapeutique, comme si je n’avais pas le choix d’écrire ces paroles-là. Pour moi, je n’avais pas d’autres options ». Et puis comme dit Max, les options, de toute manière, ça crée le doute.

Highway to health

Quand on vous parle de Max Baby, certains mots sont employés. On le présente comme un « virtuose » de la guitare, presque comme un génie créatif. Des termes qui ont pu, par le passé, être destructeurs pour les artistes, puisque certains troubles mentaux ont été glamourisés pour vendre de la musique, et pour créer un mythe autour de l’art comme étant quelque chose qui provient d’une forme de souffrance.

« C’est une question très sensible. Ce n’est pas moi qui écris que je suis un virtuose. J’ai toujours eu des facilités avec la musique, c’est sûr. J’ai aussi une version non académique de l’oreille absolue, donc je peux reproduire n’importe quelle chanson. Mais de me vendre comme un génie, personnellement, je ne me définirais pas de cette manière. Je pense que les gens disent ça car je sais jouer de plusieurs instruments et que j’ai une capacité à m’adapter à tel ou tel projet sans trop me poser de questions, en travaillant assez vite. Qu’on me présente comme un virtuose ça donne l’impression que j’ai un super-pouvoir et donc tout de suite, t’es catégorisé comme quelqu’un de différent ou de spécial, comme quelqu’un de plus fort. Et ça met une grosse pression. »

Le sujet de la santé mentale est important, surtout dans l’industrie musicale. Mais il tend le musicien, qui a du mal à trouver ses mots pour répondre aux questions. Il se lance : « je suis dans un spectre particulier. Je n’irai pas jusqu’à parler d’autisme, mais je pense que je suis quelque part dans cet endroit-là. Selon mes humeurs, ça peut justement me porter ou alors m’écraser complètement et me paralyser », confie Max, à demi-mot.

Syndrome de l’imposteur, émotions intenses, l’impression de ne pas y arriver, les gueules de bois qui, avec l’âge, sont de plus en plus difficiles à gérer : Max vit les hauts comme les bas d’une vie de musicien-producteur qui fait au mieux pour naviguer dans ce milieu, festif, propice aux excès mais plus réticent quant il faut gérer les problèmes qui sont liés à ces dérives.

« Il y a un truc hyper paradoxal là-dedans, parce que ça peut être épuisant, ça peut être énormément de pression, mais en même temps, jamais de ma vie je ne me plaindrais d’avoir ce genre de pression, d’avoir ce genre de compliments. Ça peut paraître contradictoire, mais je trouve que c’est une chance inouïe d’arriver à un burn-out de ta passion. Moi, c’est toute ma vie, la musique, c’est ce que je veux faire. Il y a des moments qui sont hardcore, il y a des moments où je pète des plombs, vraiment. Mais j’essaye de ne garder que le côté positif. »

Avec la sortie de l’album de Clara Luciani et de son EP, ses prestations en live (on l’a récemment vu sur scène avec la rappeuse Shay), est-ce que Max est au bon endroit au bon moment ? C’est sûrement le cas. Il espère que son travail sur « Mon Sang » de Clara lui ouvrira des portes. Le trentenaire a aussi des rêves, comme collaborer avec Paul McCartney, Bon Iver et Thom Yorke, ou faire un tour en studio avec les Voidz de Julian Casablancas. Mais la prio du moment, c’est sa carrière solo : « le métier de producteur c’est du bonus, c’est ce qui me fait gagner ma vie. Mais ma carrière solo n’est pas une vitrine pour me vendre en tant que producteur. » Elle le sera forcément. D’ailleurs, des rappeurs « assez fat » l’ont déjà contacté pour bosser sur des prods avec lui. « On verra ce qui se passe et on verra selon les profils aussi, si ça matche avec mes goûts, parce qu’encore une fois, je priorise à fond mon projet perso. Dans ma tête, je suis plus un artiste qu’un producteur ».

Est-ce que la carrière de Max Baby va prendre un tournant de producteur, comme l’a été DJ Mehdi en bossant d’abord avec le monde du rap puis le monde de la musique électronique ? Ou va-t-il devenir le Julian Casablancas français en s’érigeant comme l’un des représentants de l’indie rock ? C’est encore trop tôt pour se prononcer. En réalité, il est capable de faire les deux, et bien plus encore. Car oui, il est libre Max.

Max Baby // Out of Control, Into the Wall // Animal63

Prochains concerts : 06/12 Bars en Trans – 26/01 Hyper Weekend Festival

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