Avec « Antidawn EP », soit le disque le plus long qu’il ait sorti depuis 15 ans, l’Anglais Burial se permet le luxe de donner du corps au néant en réussissant brillamment à ne conserver que quelques nuances de sa musique. C’est aussi l’occasion de parler de ces musiciens prestigieux dont on n’arrive pas à comprendre la légitimité alors que, parfois et en persévérant, on peut y arriver.

Dans le grand chaos généré par nos constructions musicales, il y a ces artistes qu’il faut aimer selon la prescription faite par la presse, ses amis ou aujourd’hui les réseaux. Si dans la plupart des cas, cela s’avère exact, c’est parfois beaucoup plus difficile d’apprécier les qualités de certaines œuvres jugées incontournables. Malgré tout ce qu’ils ont probablement apporté à la musique, arriver à aimer au hasard Kanye West ou Steely Dan s’apparenterait pour moi aux efforts que pouvaient entreprendre ma mère pour me faire découvrir les subtilités des épinards ou des mathématiques. C’est encore une fois de la pure subjectivité et il serait totalement vain d’essayer d’en comprendre les raisons. Ces cases de la grande check list du bon goût ne seront probablement jamais cochées, c’est ainsi.

Ce fut longtemps le cas pour le Londonien Burial. Si son très solide et impressionnant deuxième album « Untrue » (2007) est difficilement critiquable, j’ai toujours eu du mal à y voir le génie annoncé par tous, comparativement à d’autres pontes de l’électronique anglaise des années 90-2000. Il faut dire aussi que William Emmanuel Bevan de son vrai nom s’est spécialisé dans ce genre si particulier et totalement albionesque qu’est le dubstep. Un descendant de la jungle, de l’UK garage ou du 2step dont il est compliqué parfois de saisir les nuances si on n’a pas été élevé en polos Fred Perry dans l’odeur de friture de la capitale anglaise.

Burial announces new 'ANTIDAWN' EPEn ne dévoilant qu’une poignée de photos de lui-même (dont la dernière récemment, floue, masqué et sous la neige), et ne sortant que des EPs depuis 2007 sans jamais jouer en live, Burial s’est aussi volontairement auto-mythifié comme c’est souvent le cas dans la musique électronique. Fer de lance du label de Kode9 Hyperdub, collaborateur de Thom Yorke, Massive Attack ou Four Tet, il est devenu une figure du grand raout électronique des années 2000.

Longtemps codifiée avec d’inévitables craquements de vinyles, une rythmique si particulière et de bizarres voix distordues, sa sombre musique a aussi probablement souffert d’une certaine rigidité, voire d’austérité (qu’il a toutefois su assouplir au fil de ses sorties éparses des 15 dernières années). Et, à force d’alterner bangers pour dancefloor comme Claustro et paysages ambient arides comme Dolphinz par exemple, il est parvenu à me convaincre. Ce dont tout le monde se fout à juste titre mais, comme quoi, tout peut arriver en insistant. Et de délivrer un grand message d’espoir pour Manuel Valls ou Xavier Bertrand.

Alors, au moment d’aborder Antidawn EP et ses 43 minutes 30, étiqueté comme sortie la plus longue de Burial depuis Untrue, je me sentais presque autorisé à participer à ce petit évènement qu’est la rédaction d’une chronique d’un disque de Bevan. Autant le dire tout de suite : celui-là va entretenir le mystère et le culte autour de ce personnage aussi adepte du contre-pied qu’Hatem Ben Arfa. A force de travailler son dubstep, Burial en est arrivé à le réduire en poudre. A la première écoute, l’idée de ce papier était même de crier à la supercherie devant le néant que représentait cette tentative. Armé d’un casque performant et d’une motivation venue de nulle part, j’ai pourtant persévéré et, un peu comme avec ces gens qui écrivent des noms sur des grains de riz, un zoomage puissant a permis de se rendre compte qu’il y avait bien une vie dans ce microbiote de dubstep, et qu’il s’y passait beaucoup de choses.

Si, à l’exception des beats presque totalement absents, les éléments habituels chez Burial – craquements de vinyles, voix trafiquées et field recordings (pluie, raclement de gorge, bruit de briquet) – sont bien présents, ils sont réduits à leur plus simple expression dans ces cinq titres qui se résument souvent à de courtes séquences entrecoupées de silence. Il rappelle en ce sens le « Chill Out » de The KLF mais dans sa version la plus dépressive (« I’m in a bad place », « No place to go », « I’m lost », « Let me hold tou for a while » étant les quelques paroles les plus intelligibles).

Pourtant, ces brefs passages recèlent une vraie beauté : là un accordéon discret, ici un melodica diffusant un dub anesthésié, des chants grégoriens ou une prière dont la voix rappelle étrangement celle d’Alice Coltrane. Et surtout des nappes majestueuses ou cet orgue qui donne l’impression d’une fête qui ne débutera jamais. Un hédonisme inassouvi. Il est facile de rattacher cette sensation au Covid puisqu’on ne parle que de ça et d’y voir l’expression de la détresse de clubbers privés de dancefloor depuis des mois. Les deux titres Shadow Paradise et Upstairs Flat en sont les exemples les plus bouleversants. Voici un disque de dance catatonique, une musique de sépulture des clubs. Ca valait donc le coup d’insister, le travail de Burial ne s’offrant pas au plus pressé. Particulièrement ici. Il me reste donc maintenant à essayer de comprendre la réputation de son grand ami, Four Tet.

Burial // Antidawn EP // Hyperdub

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