Depuis la sortie de leur premier album, fin 2022, les Belges italophones d’Ada Oda semblaient filer la dolce vita. C’était sans compter sur la partie immergée de l’iceberg qui les précipita soudain vers un divorce aussi inattendu que fulgurant. Tout bien considéré, l’histoire n’était-elle pas déjà écrite dans cet album « Pelle d’Oca » ?
La vie semble parfois digne d’une tragédie. Il lui arrive d’obéir à une impérieuse destinée comme si nous n’étions que les protagonistes d’une funeste histoire déjà ficelée, d’un scénario dramatique dans lequel toute bonne volonté, concessions et efforts conduisent inévitablement à l’effondrement. Les histoires d’amour suivent souvent ce cours. On connaît aussi les déboires de l’Impératrice et, maintenant, Ada Oda rencontre à sa manière un sort similaire.

L’idylle
Tout débute comme un énième projet musical né pendant la pandémie. Lors du confinement du printemps 2020, César Laloux, multi-instrumentiste qui a officié pour The Tellers, BRNS ou Italian Boyfriend, mais aussi entrepreneur de l’industrie musicale, trompe son ennui par la composition de maquettes.
Alors, pris d’une irrépressible envie de dégoter une inconnue de la scène pour chanteuse, il propose quelques mois plus tard à un ancien match Tinder, Victoria Barracato, d’adapter ses textes pour les interpréter en italien. À cette époque, savait-il qu’il dialoguait avec la fille du chanteur sicilien Francesco Barracato, alias Frédéric François, installé en Belgique, qui a connu un certain succès dans la variété francophone à partir des années 70 ? Victoria serait d’ailleurs venue au monde alors que Frédéric François chantait sur les planches de l’Olympia Je t’aime à l’italienne. Il lui dédia par la suite sa chanson Fou d’elle.
La Belge d’origine sicilienne avait notamment interprété avec son père Somethin Stupid de Frank Sinatra sur la chaîne de télévision RTL-TVI à l’occasion d’une émission consacrée à la recherche contre le cancer en 2009. Ainsi, les informations recueillies ne corroborent pas, hélas, la légende qui voudrait que César lui ait confié le lead vocal de ce projet uniquement en raison de la consonance italienne de son nom.
Peu importe, l’industrie musicale s’est transformée et Victoria, produit de son époque comme nous autres, ne verse pas dans le même registre pour les canzonette rock de ce groupe qui débute dans l’industrie indé. César lui transmet les paroles, elle les adapte et les interprète singulièrement sur les compositions. Ada Oda prend alors réellement forme à la fin de l’année 2021 avec Aurélien Gainetdinoff (Yolande Bashing), Alexandre De Bueuger (Gros Cœur) et Marc Pirard – dont Clément Marion (collaborateur de David Numwami) reprend le poste de bassiste après le premier album. Nourri d’une approche musicale hybride à l’orée du post-punk, math rock et autres inspirations 80’s mais aussi de structures instrumentales parfois franchement pop rock façon nouveau millénaire, le tout cuisiné à l’italienne, Ada Oda revendique des influences telles que Gustaf ou Dry Cleaning.
Un premier album, « Un Amore Debole », apparaît en novembre 2022 sur 62tv Records. Contrairement à l’image d’Épinal associée à la chanson italienne, Ada Oda prend le contrepied de cette candeur ensoleillée pour aborder des situations conflictuelles avec panache. Pour beaucoup, ces chansons racontent avec dérision des histoires d’amour dysfonctionnelles. La démarche opère, le groupe tourne dans toute l’Europe et rencontre un insolite enthousiasme de l’auditoire italien pour l’exotisme qu’il apporte à cette scène musicale où l’accent et l’approche n’ont rien de conventionnel. Une amie immigrée transalpine m’a d’ailleurs demandé si le groupe parlait réellement sa langue natale, étonnée par cet énigmatique sabir – à une certaine heure on m’a aussi affirmé qu’il était espagnol. Il n’empêche que la magie opère de par la consistance des morceaux où forcer l’accent ne serait que fioritures disgracieuses.
La vigueur diffusée tant sur scène que dans les compositions qui accompagnent ce chambardement du folklore édulcoré les projette sur les scènes de Rock en Seine, du SXSW d’Austin ou du Reeperbahn Festival de Hambourg où Ada Oda est programmé deux fois le même jour.
Invraisemblable rupture
Après 200 concerts, l’annonce d’un deuxième album et des dates prévues à Amsterdam, Bruxelles, Paris et Berlin, la success story tourne court. La nouvelle tombe comme un couperet un mois avant la sortie de « Pelle d’Oca ». La conflictualité n’abreuvait pas uniquement les textes, Victoria qui ne se sentait plus à l’aise claque la porte. Ses collègues, à l’inverse de l’Impératrice, décident alors de suspendre le projet et annulent les concerts à venir pour la sortie de l’album.
C’est donc le disque d’un groupe actuellement mort mais pas encore inhumé qui sort aujourd’hui sur les labels belge 62 Records, italien La Tempesta Dischi et canadien Lisbon Lux records. Une nouvelle fois imaginées par César Laloux, les paroles qui matérialisent « Pelle d’Oca » – à traduire par « chair de poule » – se réfèrent à une peur constante. Cette angoisse polymorphe évoque l’amour impossible dans E questa è la Vita sur une instrumentation power pop, mais aussi sur les ballades mélancoliques Settembre aux chœurs liturgiques et Ho Amato Tutto. La jalousie est un thème qui hante La Gioventù ou la fringante Sotto la Conchiglia mais c’est l’incompréhension du monde contemporain qui inspire In Piazza, la vivace Figlia d’Europa – a due avec le producteur pisan Alessandro Sportelli – ou la strokesienne Sicurezza Priorità. L’alexithymie imbibe la remuante Immobile et l’ondoyante Vecchia Storia.
Lors de la sortie du clip de Settembre, dernier single diffusé avant la sortie de l’album, Ada Oda confie sur ses réseaux sociaux qu’ironiquement la chanson semble correspondre à la situation imminente. Comme l’explique le communiqué de presse, le texte dépeint « les promesses devenues creuses et l’organisation de l’après » dans « cette phase fragile où l’amour laisse place à une gestion pragmatique des restes de la relation ». « Pas de rancœurs ni de drame éclatant, juste une mélancolie discrète et un léger goût d’amertume au moment de tourner la page. »
Plus concrètement, entre la fin du premier couplet et celui qui suit le refrain, les paroles semblent prémonitoires :
« L’ascension et la chute / se font un claquement de doigts / Et pourtant, en septembre dernier / nous nous promettions des choses / Nous regardions vers l’avenir / La fin de l’amour est étrange, n’est-ce pas ? / Comment avons-nous fait ? / Que s’est-il passé ? / Qui a planté le premier clou dans la tombe ? / Tu nies tout / Je ne fais pas mieux. »
Le poignant et sépulcral Ho Amato Tutto, « J’ai tout aimé » en italien, vient impeccablement clore « Pelle d’Oca » – mais aussi l’aventure du groupe ? – comme un adieu larmoyant. À traiter allègrement du désespoir, l’œuvre d’Ada Oda n’aurait-elle finalement pas déteint sur elle-même à la manière d’un couple dysfonctionnel qui étouffe irrationnellement les dissensions insoutenables pour se persuader que tout continuera pour le mieux jusqu’à ce que l’irrémédiable ne survienne ?
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Cést comme marin, il en fait tout un cirk de son divorce a l’amiante
machette ni ne loue un epiaulle a g(r)eux nobles
la retraite c oui! & encore d morveux qui servent pas la cause