Le compositeur génial des Beach Boys, Brian Wilson, est décédé à l’âge de 82 ans. L’ampleur de l’hommage qu’a suscité cette disparition est à la hauteur de son apport monumental à la musique pop.
« Voici l’impasse des réseaux sociaux : avoir créé votre propre bulle qui ne reflète que ce qui vous concerne ou ce avec quoi vous vous identifiez. » Dans son essai polémique de 2019 White, Brett Easton Ellis décrivait assez bien les petits mondes bien à nous que nous nous sommes créés au fil des années sur les différents réseaux à coup de following, de like et d’algorithme pervers. On passera ici sur l’absence de contradictoire et les effets néfastes de ce type de pratique mais Ellis a raison. Ma bulle personnelle est clairement centrée autour de la musique. Et, parfois, une forme de logique apparaît au milieu de cet enchevêtrement de « trend », de plateformes et de data center.
Cela m’a sauté aux yeux ce mercredi 11 juin au moment de l’annonce de la mort de Brian Wilson. Pratiquement tout le monde y est allé de son petit mot, son hommage, sa chanson fétiche, sa vidéo ou son anecdote sur le génie des Beach Boys. Ce qui ressortait de façon quasi-unanime c’est à quel point la musique de Wilson parlait à l’âme des gens de ma bulle. Combien l’ont remercié de les avoir aidés dans les moments difficiles grâce à ses mélodies, voire même de les avoir sauvés. Il n’y a pas tant de musiques que ça, surtout dans la pop, qui touche de si près une forme de mysticisme, un caractère divin qui se retrouve plus souvent dans des courants instrumentaux comme le classique ou le jazz. Même les grands rivaux qu’étaient les Beatles l’ont parfois atteint mais moins souvent que lui. La richesse instrumentale, les harmonies vocales, son approche idiosyncrasique de la pop y sont probablement pour beaucoup. Comment un cerveau humain peut-il imaginer ce passage de la chanson Surf’s Up quand, au bout de deux minutes trente-huit de symphonie céleste au piano, il repart sur une nouvelle mélodie en citant le titre du morceau suivi de murmures angéliques ? Soit le degré le plus élevé de la perfection pop.
En près de 15 ans de pratiques des réseaux sociaux, je n’avais pas connu hommage si général. Peut-être pour Lou Reed ou David Bowie. Je me suis souvent dit qu’une poignée de groupes des années 60 et 70 avaient créé la matrice musicale du demi-siècle qui a suivi. Des racines qui ont ensuite permis la naissance de multiples branches développées à travers l’underground. Les Beatles forcément, le Velvet encore mais aussi Kraftwerk ou Syd Barrett parmi tant d’autres ont écrit l’alphabet des différents sous-courants qui ont déferlé par la suite.
C’est bien évidemment le cas aussi des Beach Boys. Dans le flot des différents messages laissés sur les réseaux, certains voyaient dans All I Wanna Do la genèse de la dream pop ou dans l’album « Surf’s Up » les débuts du shoegaze. Cela peut paraître exagéré mais ce n’est pas totalement faux. Son influence est immense dans toute la musique que j’écoute. Des artistes comme Sean O’Hagan des High Llamas ou Panda Bear d’Animal Collective ont même su continuer son œuvre en la faisant évoluer. Lors de sa réévaluation dans les années 80 et 90 – soit au moment où je l’ai connu – il était cité partout par l’internationale pop et le monde indie de Frank Black à Felt, Daniel Johnston ou Daft Punk dont le premier groupe s’appelait Darlin’ comme un des titres des Beach Boys. Et ce n’est pas un hasard. Il y avait dans sa musique une forme de bizarrerie qui a infusé les courants les plus novateurs de la fin du XXe siècle.
Car il y a un vrai paradoxe autour de Brian Wilson et des Beach Boys. La plupart des gens retiennent les débuts surf du type Barbara Ann ou Surfin’ USA, soit une musique labelisée Californie assez puérile et simpliste qui régnait sur les USA et le monde entier. Beaucoup ne connaissent probablement pas l’album « Pet Sounds », hormis peut-être pour Wouldn’t It Be Nice. Car ses créations les plus intéressantes sont aussi les moins connues. « Pet Sounds » n’avait pas si bien marché que ça à sa sortie alors qu’il contient avec God Only Knows l’une des plus belles chansons de tous les temps dans l’un des plus grands disques de tous les temps. En voulant pousser encore plus loin son génie créatif, il sombrera à coup de perfectionnisme et de drogues dans la folie pendant la composition de l’album suivant « Smile » qui ne sortira jamais pendant que les Beatles s’emparaient encore un peu plus de la planète avec « Sergent Pepper… ». C’est certainement l’une des raisons qui l’ont poussé vers sa future décadence, lui qui était si jaloux des Fab Four. Pas besoin de refaire l’histoire avec la prise de pouvoir du cousin Mike Love, le vilain de l’histoire, qui a disséminé les chutes de « Smile » dans une série d’albums géniaux mais méconnus ; les belles inspirations des deux autres frères Wilson, Carl à la voix d’ange et Dennis le surfeur rebelle, disparus depuis longtemps déjà ; les années 70 de Brian dans la dépression et les narcotiques avec des dégaines incroyables ; le lavage de cerveau par l’escroc Landy puis la renaissance grâce à sa femme et aux fans dans les années 90 et 2000. Des livres et des films ont été faits là-dessus.
« I Just Wasn’t Made For These Times » disait-il dans « Pet Sounds ». Brian Wilson était probablement trop pur pour ce monde. Les anecdotes parfois un peu moqueuses qui ont suivi sa mort montrait que le personnage était resté l’adolescent éternel des années 60. Quand il citait comme film préféré Norbit avec Eddy Murphy ou la comptine pour enfants Shortnin’ Bread comme la plus grande chanson jamais écrite. Plus amusant quand un jour l’horrible Bono lui passait la brosse, il lui demandait s’il pouvait lui amener un Diet Coke. Un peu comme un autre récent disparu, David Lynch, il incarnait cette génération d’enfants de la bombe nucléaire bercés par l’âge d’or américain avec tout le paradoxe que cela peut contenir. Lynch en ayant extrait la face la plus sombre tout en restant toujours lucide alors que Wilson en a écrit la bande son pour sombrer dans la maladie mentale et beaucoup de souffrance. Une collaboration entre les deux aurait d’ailleurs été probablement incroyable.
L’ironie du sort fait que Sly Stone soit décédé un jour avant lui. Il ne reste désormais plus beaucoup de survivants parmi les géants de la musique des années 60. J’ai toujours été plus Beach Boys que Beatles. J’ai longtemps redouté la mort de Brian Wilson bien qu’inéluctable et prévisible avec sa mise sous tutelle pour démence il y a quelques années. Je ne sais pourtant pas comment réagira mon algorithme au moment de la mort de McCartney. Qu’elle arrive le plus tard possible.
il etai tant a force de le ramasser en broc, çà va coté
pas de mollards en iran