Tout ça, on le comprendra, pour en arriver à parler de ce livre, un road trip, on s’en doute. Mais… un genre particulier de road trip. Dans la plupart des romans pré-cités et dans l’esprit des lecteurs, un road trip, ça se décide, c’est quelque chose qu’on désire plus que tout, qui nous appelle. Certainement pas un plan qui nous tombe dessus et dans quoi on se lance en maugréant (ce verbe est trop peu employé de nos jours). Sinon, quel intérêt d’enfiler les bornes et de voir défiler le paysage ? Aucun ? Pas si sûr…
Un Chien dans le moteur nous parle de Ray Midge, un futur prof de lycée de l’Arkansas qui saute dans une voiture pourrie, un calibre 38 dans la poche et la ménagère en argent, cadeau de sa belle-mère, dans le coffre. Ray n’a aucune envie de partir comme ça, il en est plus ou moins obligé (ou se sent obligé de le faire) : sa femme Norma s’est envolée pour filer un autre coton avec une vieille connaissance (emportant la Ford Torino de Ray et sa carte bleue). Plus de femme, plus de voiture, plus de carte de crédit… ça en déciderait quelques uns à prendre la route. Ray va tracer jusqu’au Bélize, guidé sur la piste des fugitifs par les relevés de carte, croisant sur son chemin des gens étranges, des escrocs, des illuminés, et puis une drôle de loque nommée Dr Reo Symes, dont le bus est en panne, et qui rejoint sa mère. L’intérêt du livre ne se tient pas dans la question « Ray va-t-il retrouver sa femme? » (réponse : oui. Ce n’est pas du spoil, c’est une évidence), mais plutôt dans la narration ronchon, limite hargneuse de ce type qui préfèrerait visiblement se trouver ailleurs qu’au fin fond du Honduras Britannique dans une voiture qui n’est pas la sienne et dans une série de galères. Il doit drôlement aimer sa femme pour se taper Arkansas – Honduras (soit environ 3 400 kilomètres)…
Charles Portis, à qui l’ont doit le très bon western True Grit, écrit sur le fil de la page. Toujours entre description des faits et cynisme, entre agacement et résignation, son personnage parle comme il pense, et comme nous, on pourrait penser à sa place. Non il n’est pas émerveillé ni emballé par ce qu’il voit, il fait avec, essayant de rester sympa et arrangeant, mais quand même, merde un peu. Et ça fait un bien fou à lire. C’est assez rare de croiser le chemin d’un mec moyen, assez normal, ni agréable ni déplaisant, qui subit une situation tout en l’ayant choisie, et de voir comment il s’en sort. On pourrait trouver ça loufoque, dit comme ça. Mais en fait pas tant que ça. Portis a l’air de s’amuser comme un petit fou en nous amenant à nous demander ce qu’on ferait à la place de Ray qu’on prend en sympathie. Il nous rappelle le point auquel la vie peut être absurde, compliquée, alambiquée et visiblement bien décidée à nous prendre la tête.
Un chien dans le moteur est un livre drôle, assez grinçant, presque noir, et touchant à la fois. Portis ne se moque pas de ses personnages, même les plus lamentables, même les plus pénibles. Il nous donne envie de les connaître, de nous identifier. Après tout, on n’est pas si éloignés d’eux, dans le fond… Même si on ne serait pas nombreux à se taper 3000 bornes pour allez récupérer une épouse partie avec son ex… Avouons-le…
CHARLES PORTIS // Un Chien dans le moteur // Éditions Cambourakis
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