« On a perdu les clés de la caisse !« , s’écrie le producteur du festival.
Le Baleapop commence bien : sous le soleil fixe et brûlant de Guéthary, on attend nos pass 3 jours dans le parc municipal. Mais l’équipe du festival a « perdu les clés de la caisse ». Jusqu’à la fin de mon périple basque, je ne cesserai de penser à cette phrase, cherchant à comprendre de quelle caisse il pouvait bien s’agir. La bagnole qui renferme les bracelets ? La boîte métallique qui renferme le fonds de caisse sonnant et trébuchant ? Ou la bagnole qui renferme la boîte métallique qui renferme le fonds de caisse sonnant et trébuchant et les bracelets ? La dernière solution peut-être, vu l’excitation générale qui anime les jeunes et bronzés membres du festival.
Parce que le Baleapop, faut-il le rappeler, c’est quand même à la fois sea, sex and sun, et sex, drugs and rock’n’roll. Un programme que même une agence de voyage pseudo-branchée n’oserait plus afficher en gros sur ses dépliants. Ce n’était pas non plus affiché en gros sur les flyers du festival, mais les teasers vidéo, photos et statuts qui ont envahi l’ensemble des réseaux sociaux pendant les dix jours précédant l’événement ne contenaient plus qu’un seul message, qu’une seule promesse – comme on le dit dans le jargon de la pub : le fun.
Un fun contenant tous les sous-entendus qu’une génération frustrée de ne pas avoir eu son Woodstock cherche dans ses pérégrinations musicales estivales. Oui, il y aura de la musique, mais aussi tout ce qui permet d’accéder à l’expérience de cette musique. Sea, sun, sex, drugs and rock’n’roll : walking on the beaches looking at the peaches. Putain l’affiche de rêve, non ? Gainsbourg, Ian Dury et les Stranglers. Ça fait rêver les vieux cons comme moi. Mais je suis prêt à parier que le Baleapop serait preneur de ce triumvirat musical qui combine tous les ingrédients que le festival défend, affiche et parvient à offrir pendant trois jours : élégance mélodique, subversion pop et lascivité sensuelle. Dans cette formule digne d’un papier de Magic, je pourrais caser J.C. Satàn, Connan Mockasin, James Holden, Rone, Crane Angels, Odei et Panda Valium.
J’ai bien aimé le Baleapop et je ne vais pas le cacher. Pour l’objectivité, changez de crèmerie.
VENDREDI
Ma première vision en arrivant sur le site : une fresque immense des plasticiens Amandine Urruty et Nicolas Barome, et, en arrière-plan, une caravane orange fluo, celle du Basque Ibai Hernandorena. Parce qu’en plus de proposer du bonheur sonore, le festival est pointu jusqu’à installer des œuvres d’art contemporain dans le parc qui l’accueille. J’ai pas tout compris, mais c’était joli. Et puis ça me donne l’impression d’avoir 30 ans, tout cet art contemporain. J’ai déjà 30 ans ? Ah merde.
Une fois installé au camping, dont les promesses de gardiennage, douche solaire et contrôle d’accès à l’entrée, ne seront finalement tenues que le dernier jour – mais au fond, à Woodstock c’était pareil, non ? À ceci près que les hippies n’avaient pas peur de se faire voler leur iPhone. Je vais prendre le soleil à la terrasse d’un des deux restos du village, puis je vais prendre le soleil au bord de l’océan, puis je vais prendre l’apéro au bord du soleil. Le pied.
Vos gueules les mouettes
Après avoir loupé Zooey – souvenez-vous, je rate pas mal de groupes en festival – je me pose sur le sable du parc devant Cristiàn Subira aka Summer Recreation Camp. Le Pierre Perret catalan va bien, merci papa merci maman. J’ai connu des colonies de vacances bien moins planantes que ce concert, et c’est bien dommage pour ma jeunesse. Si le musicien barcelonais avait passé son BAFA, j’aurais eu une jeunesse plus fun. Là, devant moi, sous le soleil couchant, des boucles en forme de vagues à l’écume sonore ne cessent de s’amplifier. Les mouettes, oiseaux absents du Pays basque, retrouvent un écrin de liberté dans les compositions du jeune musicien. La mer est basse, je bois la tasse, je m’y noie et c’est très classe.
Un peu plus tard, on tourne au txakoli, et le parc municipal devient le théâtre d’un concours de mini-shorts, filles et garçons confondus. Ça change du concours de K-Way et bottes en caoutchouc de la Route du Rock, qui se déroulait cette année en même temps que le Baleapop.
Soutiens le groupe du coin !
Ce sont les groupes du coin, Odei et Panda Valium & Polygorn, qui défendent les couleurs locales ce samedi. C’est incroyable à quel point l’expression « groupe du coin » peut paraître péjorative en France, quand les Anglais ne cessent de porter avec fierté leurs « local bands ». Je ne m’imagine pas un instant porter un tee-shirt avec le slogan « Soutiens le groupe du coin ! ». On n’a jamais rien compris à la musique, de ce côté-ci de la Manche. Panda Valium & Polygorn, c’est un Caribou basque, c’est-à-dire plus percutant, plus massif, plus solide. Basque, quoi. Cherchez pas. Et c’est bien. Odei, c’est planant, riche en textures, et beau sur scène, avec le duo batterie & vibraphone – deux instruments de percussion, me suis-je dit ce soir-là. Au bar, les fûts moussent ou sont déjà vides, il n’y a plus rien à manger et les serveurs font la gueule. Plus tard, j’apprends que le festival a plus que doublé ses prévisions de fréquentation et n’a plus rien à offrir à boire ou à manger pour le reste du week-end. Sans déconner ? On a soif ! Avec les copains, le mot d’ordre, c’était sautage de caisson. Mais puisqu’il n’y a plus d’alcool, on passe au sautage de queso. Et c’est bon. J’avais oublié à quel point on mange bien au sud de la Garonne.
Le monde est petit
Quelques retrouvailles berlinoises et un joint plus tard – souvenirs confus du Bar 25 et de About Blank, « le monde est petit », « trop d’heures sans dormir », je pars loin. Sans doute ce qu’il me fallait pour apprécier l’électro de James Holden. Le Dj anglais à l’allure désinvolte, la clope au bec devant un visuel sobre, classe et envoûtant, semble jeune et fragile. On ne lui donne pas d’âge, si ce n’est celui d’un ado dans un film de Ken Loach. Subtilité dans la prod et honnêteté dans le mix, ses enchaînements laissent la part belle à la danse. Une montée langoureuse et sans aucune faute de goût, même lorsque le Londonien passe un tube pop. Pendant ce temps, les copains sont en pleine séance de male bonding, en train de se foutre des coups de boule sur les épaules. Je savais que l’alcool basque rendait taré, mais à pas à ce point.
De retour au camping, discussion improvisée mais sérieuse avec celui qui se cache derrière le projet musical Petit Fantôme, invité de l’édition 2011 du Baleapop et qui jouera le lendemain dans les Crane Angels. Plutôt désabusé ce soir-là, il m’annonce d’emblée qu’il envisage « un dernier disque, puis CAP pâtisserie ». Il serait impossible de percer dans l’industrie tant que la pop française est, dans la culture collective, rattachée à NRJ, Fun Radio et RTL2. « Le mainstream français est baisé, sans doute parce que les Français ont inventé les droits d’auteur pendant que les Anglais inventaient la pop. » Une vision que je partage, car je suis loin de m’extasier devant la pop made in France, soi-disant héritière d’une éducation française selon la compilation éponyme à paraître chez Sony et soutenue par pas mal de chroniqueurs paresseux des magazines spécialisés. Pour moi ? De la merde à 99 %. Petit Fantôme fait partie du 1 % restant, celui des indignés, des infidèles et des résignés. Mais pour combien de temps encore ? Combien d’entre les bons, les géniaux, finiront pâtissiers à Châteauroux, à débiter des croissants made in France ? Notre voisin de tente clôturera la discussion sur le bienvenu « Lescop ? C’est Jim Carrey avec la voix de Didier Bourdon ». Je viens de regarder une interview du Rochelais, et, bordel, c’est vrai.
SAMEDI
Le truc bien avec les trentenaires branchés, c’est qu’ils ont déjà, ou veulent avoir, des enfants. Du coup, aucun des événements n’est pensé sans sa déclinaison pour gamins. Mais pas juste des boules en mousse comme chez Ikea. Non, un truc plus arty, qui sollicite l’engagement des petits, et celui de l’animatrice qui se coltine une bande de petits monstres excités par la chaleur basque et les balances de JC Satàn. Les enfants ont rejoint le Minibalea pour enregistrer une chanson (Wouin Wouin, je suis un monstre sacré), et jouer dans leur propre clip. Cool. Ils sont pas chez Ikea, mais ils doivent quand même porter des baskets Feiyue qu’on prendra soin de filmer en gros plan pour faire plaisir au sponsor. Ça ne les empêche pas de s’amuser et, du coup, de foutre la paix à leurs parents pendant ce temps. Et moi de me dire qu’avoir des gamins à 30 ans, c’est peut-être pas une si mauvaise idée. Quoique, tout bien réfléchi, non.
On rend à la mère Nature ce qu’elle nous a donné
Un sommelier spécialisé en vin biodynamique qui nous fait la leçon autour d’un blanc trop bon pour ne pas se faire sauter le caisson avec, le tout à 15 h et en plein cagnard : « les heures épicuriennes », annonçait le programme. Le gonze cite tout de même Rudolf Steiner, philosophe autrichien et fondateur de l’anthroposophie qui mènera à la biodynamie. Il avoue avoir commencé sa carrière dans la viticulture traditionnelle. On assiste à la rédemption biodynamique du sommelier chimique. Enivrant.
Direction les concerts pour voir ce que donnent les anciens Cyann & Ben, officiant désormais sous le nom à tendance « animale » Yeti Lane. Les Grizzly Bear français ? Pas sûr. On pense plutôt à Jesus & Mary Chain qui auraient gobé des acides et se rêveraient chantres d’un yoga pop marin et étoilé. Pas loin de Grandaddy qui longerait la côte Ouest américaine en van Volkswagen, en fait.
« Il faudrait interdire ces rassemblements »
Entre les concerts, j’avais deux potes qui passaient du son du haut d’une palombière – que j’aime à imaginer être un mirador qui permet de mieux surveiller et punir les festivaliers. « Il faudrait interdire ces rassemblements qui créent de l’insécurité et qui ne sont que des prétextes pour se droguer entre jeunes marginaux. » C’est, à quelques mots près, le commentaire qu’un lecteur du journal Sud Ouest a laissé sous l’article présentant le Baleapop. Douce France… Heureusement, les Ponch&Rello représentent la France trash et rurale. Par flemme, je vous copie ici leur bio officielle, assez proche de la réalité de leurs sets.
« Ball-traps qui dérapent, spécialités culinaires de terroirs occultes, raccourcis par les petites routes dans les bois sans les flics, chassé-croisé des adorateurs de Satan transgenres juillettistes et des cadres de la BNP en stage d’intégration accrobranche aoûtiens, on trouvera les meilleures raisons pour esquisser son pas de danse favori et hurler sous la lune sur fond de mutant disco. »
Puis j’entends les cloches sonner : c’est l’heure de l’Évangile selon JC Satàn. Le son du carillon est broyé par la distorsion, la fuzz et la reverb des Bordelais. Sur scène, pas d’enfants de chœur, et le vin de messe est remplacé par une vodka bon marché coupée à l’encre de tatouage. Ici, pas besoin de se confesser, c’est le paradis des pécheurs. « Faraway Land » est le nom de leur dernier album, et c’est exactement là où je me suis réveillé à la fin du concert.
DIMANCHE
Le programme de la journée, c’est plage + serrano + manchego + apéro. Ça tombe bien, le soleil est aussi à l’apéro et au bord de l’océan. C’est là que le Baleapop a déplacé sa palombière/mirador, dos aux vagues, face à un public qui n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles. Je vous passe les irritants « on se croirait à Berlin » – dès qu’un truc est cool, c’est Berlin, et quand c’est raté comme le Wanderlust, c’est « parce qu’on n’est pas à Berlin, alors ça peut pas marcher » – et le passage de Beigbeder qui fait le vieux beau dans la foule. Malgré tout, le moment est sublime : Rone nourrit les rêves berlinois des bobos et satisfait tous ceux qui ne s’attendaient à rien d’autre que le simple « live de Rone à la plage de Cenitz » annoncé sur le programme. Une vraie drogue.
Retour au parc pour ne pas louper la fin du dernier morceau des Crane Angels : une fête simple et généreuse, comme sait bien le faire le collectif Iceberg, fournisseur de la moitié des groupes de la vague pop bordelaise depuis cinq ans.
Vient enfin Connan Mockasin, le groupe néo-zélandais désormais néo-londonien qui constituait la tête d’affiche pop du festival. Surréaliste. Les Monthy Python austro-celtiques font voler leurs chemises étoilées dans les cieux psychédéliques. On s’effleure tendrement, en retenant son souffle ; on fait l’amour lentement, en chuchotant ; on sourit béatement, en exultant, l’écume aux lèvres. On assiste à une messe néo-hippie, douce et aventureuse. Puis le groupe se lance dans une prêche au groove tendre et canaille, jusqu’à conclure le concert sur une reprise interminablement jubilatoire du Remember the time de Michael Jackson. C’est peut-être ça, l’insoutenable légèreté de l’être psychédélique.
C’est peut-être ça aussi, l’insoutenable légèreté du Baleapop. En quittant le festival, j’ai le vague à l’âme. Mais je nage en plein bonheur.
3 commentaires
ce paradis de Baleapop
Belle prose et belle revue de festoche. Je rebondis sur l’aspect « support your local bands » qui est, c’est vrai, encore synonyme de loose chez nous. Des initiatives sont menées ici et là, et le soutien commenc bon an,mal an à faire un poil d’émulation au niveau des scènes locales. Et quand tu parles de tee-shirt que tu ne porterai pas, ben justement ! Sauf que le sloggan reste anglais plutôt que « Soutiens le groupe du coin ! », mais pourquoi pas ?