D’habitude, j’envisage les festivals comme de grands défouloirs. Logiquement, ça finit plutôt mal pour ma gueule et ma dignité. Mais cette année, à la Route du rock, rien. Les autres ont tout pris pour moi. Serais-je devenu un homme normal ? Corrèze, sors de ce corps.

Samedi, 14 h, en gare malouine. Le mec de Sharks sécurité me réceptionne à la navette et me donne le ton : « Y a pas grand monde cette année, sûrement parce qu’il n’y a pas de tête d’affiche. D’ailleurs, j’connais aucun groupe. Et puis de toute façon, le rock c’est pas ma tasse de thé. Moi c’est plutôt la dance music» À quand Ace of Base à la Route du rock ?

Arrivée au camping. Ça se réveille tout doucement. J’apprends que le concert de Dominique A est en ville. Je reprends la navette en sens inverse. Je me perds en ville. Aucune indication. Personnes pour me guider. Évidemment, c’était juste à l’entrée de la ville. Le concert a déjà commencé. Je n’ai aucune attirance pour le sosie d’HPG, mais c’est le genre d’artistes dont on dit qu’ils prennent tout leur sens sur scène. Pas faux. C’est le genre d’artiste qui prend tout son sens sur scène. Dominique A est un arbre. Les pieds plantés dans le sol. Il ne gesticule pas, n’en rajoute pas comme tant d’autres. Il met tout dans ses chansons, les étire, les malaxe. Émotions. Frissons. Tirez les rideaux.

J’apprends que ce vieux brisquard de la photographie qu’on appelle « le Spécialiste » est arrivé en ville… sans appareil photo. On se prend une Chimay à l’Alchimiste, le QG des machinos du festival.
Retour au camping pour déposer le Spécialiste dans ma tente (No Homo). On croise quelques festivaliers typiques, mélange d’alcool à la main et encore déchirés de la veille. Je suis généralement des leurs, mais là quelque chose semble s’être cassé. Que se passe-t-il, Jean Malback ? Qui es-tu ? N’empêche, je parle toujours aussi bien leur langage. Je m’infiltre sans problème dans la ronde du mélange. La vodka-Redbull est à moi. Ils me demandent si Gonzaï est un site de reggae. À quand une interview de Pierpoljak ? J’ai déjà le nouveau slogan : Gonzaï, seules les dreadlocks comptent.

Le Spécialiste, le regard toujours aussi aiguisé, me fait remarquer qu’il y a plus de monde aux accréditations qu’à la caisse. Pas faux. Ça se confirmera quand on passera la porte du fort de Saint-Père. Le bar VIP est bondé et on a de la place dans la fosse. C’est agréable mais surprenant. Donner du coude pour se rapprocher de la scène fait partie des sensations de base dans un festival. Étrange.

La palme du concert le plus chiant revient haut la main à the XX.

Les Anglais ne font pas vivre leurs courtes chansons sur scène. Ça se contente du minimum. On appuie sur Play. On écoute et on s’emmerde. Pas d’atmosphère. Rien. Tête d’enterrement pour tout le monde. On ne peut malheureusement pas mettre avance rapide. Même les New-Yorkais de My Best Fiend ont fait mieux. C’est pour dire ! Le lendemain, Mazzy Star talonnera les double X dans la lutte pour la palme. Serait-on à la Route du folk ?

En fin de soirée, le festival exaucera les vœux des hommes de Shark sécurité en programmant de la dance avec Breton. On ne va pas appeler ça du rock, hein ? Disque passablement mauvais mais les Anglais auront le mérite de réveiller le fort de Saint-Père et ses âmes saoules. Seul point négatif : la présence d’un Dj sur le devant de la scène dans un total look Fred Durst. À chaque fois que mon regard le croise, j’ai l’impression qu’il va nous placer un p’tit couplet rappé à la Enhancer. Que deviennent-ils d’ailleurs? Quelqu’un aurait des news des Naast, aussi ?

Retour au camping. Après les dancings queens de Breton, on sort le William Peel. Les âmes assoiffées commencent à rôder autour du précieux. J’en propose à un type, genre punk à chien, raide à chier. Il me répond qu’il ne goûtera pas à notre whisky car il en a bu une bouteille cul sec à l’âge de 12 ans. Il nous conseille aussi de ne JAMAIS boire du sang de cheval. « Ton rythme cardiaque augmente, tes mains deviennent rouges, tes ongles noirs. Il faut rester allongé et attendre que ça passe. » Apparemment, le type aurait aussi inventé Internet.

Le most valuable singer du week-end se nomme Willis Earl Beal.

Accompagné d’un lecteur de bandes pour seul orchestre, il envoie tout et se déchire la voix. Pas loin des messes vaudou de Screamin’ Jay Hawkins ou du blues nicotine de Tom Waits. De la musique qui a de l’âme. Et forcement, ça touche directement. Fureur et tremblements, voilà ce qu’on recherche. Un peu de sueur, bordel ! Satan is real.

Un des grand plaisir de la Route du rock, c’est de pouvoir foutre sa carcasse remplie d’alcool de la veille dans la mer. L’un des meilleurs remèdes anti-gueule de bois connu à ce jour. En plus, le festival a aussi investi les plages de Saint-Malo. Jonathan Fitoussi y balance des boucles apocalyptiques, faisant flipper une bonne partie de la plage. Des gamins s’amusent à capturer des pigeons avec une épuisette. Ils font du super boulot. J’aurais voulu inventer ce jeu. Bien plus marrant que de construire des châteaux. Le pigeon capturé, ils vont le montrer fièrement à leurs parents. Les boucles chaotiques de Jonathan Fitoussi ne peuvent être plus prémonitoires, car ce soir celui qu’on appelle « l’Italien » débarque en terre bretonne. L’homme n’est pas connu pour faire dans la demi-mesure. En plus, c’est son anniversaire. Jean Malback a peur.

Et pour son 30e anniversaire, on pourra dire qu’on lui aura littéralement fait sa fête. Après avoir bu une bonne partie du litre de vodka au camping, l’Italien est saoul. Vraiment saoul. Kenny Power’s style. La musique n’est pas assez forte pour lui. Il veut du bruit. Il veut danser sauvagement. Une occasion que ne lui donne en aucun cas Mazzy Star. Il veut monter sur scène. Il se perd. Il retrouve sa copine qui parle avec un mec. Il fonce sur lui, le pousse, lui crie dessus. Eh là ! Débarquent par derrière quatre fils de lâches qui l’assomment de coups puis le finissent au sol. Ça va vite. J’arrive à choper le premier. Lui file une droite, mais il ne sent rien (qui suis je ?). Il a l’air choqué par ce qui vient de se passer. Il regarde l’Italien qui gît inconscient par terre, la bouche en sang. Il part en courant et finira par se dénoncer à la police. Direction l’infirmerie pendant le set de the Walkmen. L’alcool s’évapore. Les bénévoles de l’infirmerie font du bon boulot pour rassurer sa copine. De la petite bière pour eux ; la veille, un type s’est fait tabasser par neufs mecs. La Route des lâches ? Le rital reprendra conscience quelques heures plus tard à l’hôpital. Ses premiers mots iront au PSG. Du pur rital. Tout va bien.

Je reprends mes esprits devant Hanni el Khatib.

Très peu de public. Hanni a embauché un guitariste pour l’accompagner et troqué son batteur pour une batteuse. Et franchement, qu’y a-t-il de plus sexuel qu’une femme balançant du rock ? Je me rappelle à quel point Kim Gordon, malgré ses rides et sa sale gueule, m’avait excité en se frottant à sa guitare ici même en 2007. J’avais aussi découvert Electrelane lors de cette édition, girls band qui envoie en crescendo sans crier gare jusqu’à la décharge finale. J’étais pas loin de jouir.

Et c’est à ce moment-là que tu te rappelles ce qu’est un festival, malgré tout le mal que tu pourras en dire ou en penser sur le moment. Deux groupes tout au plus qui t’auront marqué. Deux trucs dont tu te souviendras plus que d’autres. Et si en plus, il peut y avoir une petite baston, alors là le souvenir sera indélébile pour ta gueule. Willis Earl Beal, de la dance music, Hanni El Kathib, un lynchage inexpliqué, voilà ce qui restera dans cinq ans de cette Route du rock 2012. Ça, et la chasse aux pigeons.

http://www.laroutedurock.com
Crédits photo live: http://www.flickr.com/photos/laroutedurock 

5 commentaires

  1. « Même les New-Yorkais de My Best Fiend ont fait mieux. C’est pour dire ! », tu m’as l’air sacrément au courant… Ils n’ont pas joué, concert annulé. A quoi tu t’attendais avec The XX en même temps? Ils ont fait exactement ce qu’on pouvait leur demander.

  2. J’suis au courant qu’ils n’ont pas joué. C’était une petite boutade mon cher Merer. Un p’tit clin d’oeil au mec de libération, qui est le seul à ce jour à les avoir vu jouer.
    Et puis pour les XX, j’attendais tout simplement qu’ils fassent vivre leurs chansons.

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