Créer c’est choisir sa famille, à l’inverse de naître : vu sous cet angle, la création est une renaissance. Hélène Cattet et Bruno Forzani, réalisateurs du très troublant Amer, font leur premiers pas dans le long-métrage en choisissant bien les pères adoptifs. Biberonnés aux litres d’hémoglobine de Mario (Bava) et Dario (Argento), les deux complices n’enfilent pas de gants pour pointer du doigt les maîtres du giallo. Le giallo, ce noir et jaune, froid et chaud, polar bipolaire, entre érotisme et gore qui ne font qu’un par la sueur.
On peut dire d’un réalisateur qu’il tourne son film d’horreur pour l’exercice de stylet ; Forzani et Cattet, eux, ont voulu faire leur Dario Argento. Dans le noir, le spectateur s’exclame enthousiasmé « c’est du Dario Argento !» ou alors pousse un soupire blasé à traduire par « c’est du déjà vu ». Ok, bon, il est temps de trancher : Amer, une copie neuve ou pas ?
Jean Jacques Schuhl a déjà déclaré qu’il aurait envie d’écrire un jour un livre qui ne contienne que des emprunts (du dialogue de film au mode d’emploi d’une mezzanine, ce genre). Il n’y a qu’à lire son petit dernier, Entrée des fantômes, on ne peut faire plus près du titre ; au milieu d’un plus que probable double sens, il est bien question d’apparition d’esprits, susceptibles de nous être plus ou moins familiers ou dont on peut affirmer que, oui, ils nous disent bien quelque chose.
Dans ce cas-là ou, par exemple, dans le mash-up, on n’appose ni le nom « remake » ni « reprise », parce qu’on va prendre directement à la source pour, en fin de compte, le reverser tel quel dans un autre récipient. C’est juste le contenant qui change, soit la signature. On pourrait alors crier au plagiat et discuter des règles du copyright, à la différence que, ici, on y place des guillemets transparents – voire même entre les lignes. Ou à la différence que le clin d’oeil est tellement appuyé qu’il faudrait être aveugle ou inculte pour ne pas le (sa)voir. Et si tout simplement on appelait ça « hommage » ?
Rendre hommage, c’est évidemment une autre façon de dire ressusciter, souffler sur la bougie comme sur la poussière. Avaler la fumée, la recracher plus moderne, inédite. C’est bien le cas du film Amer, ses filtres et ses va-et-vient cheap (thèmes de musiques déjà exploités – Morricone est de la partie -, dégaines, costumes, jusqu’au physique de l’héroïne segment adulte) transcendés par la surface claquante, 2010, toute entière la forme l’affirme et les clignements répétés se transforment, chez le spectateur, en yeux grand ouverts. Le film fonctionne comme une redite, plutôt comme une « refilmée » et non un bis d’un sous genre qui n’a fait que se reprendre et suivre ses codes sans avoir peur d’en abuser – c’est justement pour ça qu’on reste jusqu’au bout. Voir un giallo, c’est à la fois croire qu’on les a tous vu et avoir quand même envie de se taper l’intégrale.
Pour Amer, pas d’accent coupé au couteau, non, le film maîtrise sa langue, il est – dans le fantasme – un découpage à coups de lame de séquences gialle abandonnées, magistralement remasterisées par deux scoptophiles pointilleux. Et même s’ils nient à pleins mots la catégorisation du film-hommage, Amer n’en demeure pas moins un lien évident, voire un tag pertinent pour une descente à la cave vers Profondo Rosso et ses frères. En même temps d’ailleurs qu’il est un retour à l’innocence ou de quand on a encore les yeux blancs d’émerveillement, le choc et le dépucelage visuel du spectateur, ce film qui vous a pénétré et touché le point sensible la première fois. Reproduire cet état de trouble, telle est l’intention – généreuse et perso, comme le coït – de Amer : Salinger disait écrire les livres qu’il avait envie de lire, Cattet et Forzani ont, quelque part, fait le film qu’ils avaient envie de revoir. Amer a donc, en plus d’intérêt et d’hommage, un goût délicieux de déjà vécu. Suffit de fermer les yeux pour le voir.
http://www.amer-film.com/