Une pute accro au crack se fait salement péter la gueule, puis violer, par trois étudiants bourrés, vicelards et sexistes juste comme il faut. Elle va voir son dealer portoricain, ils baisent, elle essaye de lui piquer un képa de cristal meth, il la tabasse, sort un flingue, se fait à son tour buter par une lesbienne manchotte qui ne rigole qu’à peine.

Du sang, de la dope, du sexe, des guns – et, bien sûr, les dialogues qui vont avec, à la Pulp Fiction : ces gens tellement blasés d’en tuer d’autres que, quand ils tiennent un mec en joue, ils vont lui causer du Royal Cheese ou, dans le cas de Black Néon, des pipis territoriaux que font les chiens.

Oh, et – est-il utile de le préciser ? – le tout se passe à L.A. Where else.

Et puis, forcément, à un moment, il y a un vieux dégueulasse tout défoncé qui va se mettre à poil et se couvrir le corps de merde – je veux dire, où irait le monde sans un vieux dégueulasse couvert de merde ? Mais, ma bonne dame, y aurait plus de saisons…

Black Néon est le cinquième roman de Tony O’Neill, Anglais de 36 ans qui a, entre autres, joué du clavier dans le Brian Jonestown Massacre et été junkie (ce qui va assez bien ensemble). À présent clean, il a arrêté la musique et écrit – il a notamment « aidé » Cherie Currie, des Runaways, à rédiger ses mémoires.

L’histoire de Black Néon ? Un gros Français vaguement pervers qui se la joue artiste façon Larry Clark se rend à Hollywood pour y réaliser un film intitulé Black Néon, dont il parle depuis quinze ans sans avoir ne serait-ce qu’une vague idée du scénario. Son Chinese Democracy à lui, version cinéma. Il a l’idée (pas si géniale) de faire jouer dans son film non pas des acteurs, mais d’authentiques junkies, des putes, des travelos, la faune qui peuple les quartiers sordides de L.A.

black_neon

Le problème, quand on a, comme Tony O’Neill, lu Hubert Selby Jr., Dan Fante, les Burroughs père & fils, Bukowski, et bien sûr Hunter S. Thompson, c’est qu’on risque d’être quelque peu lassé du genre. D’abord à cause des clichés : la drogue est toujours une descente aux enfers (parfois une spirale) ; les motels sont toujours sordides (il peuvent évidemment être borgnes, mais pour cela il faudra attendre plus de deux cents pages – ils seront borgnes trois fois en tout) ; les restos de tacos sont toujours crasseux ; les canapés sont toujours vieux, défoncés et élimés (les trois dans la même phrase, s’il vous plaît, sinon le lecteur risquerait de ne pas bien saisir l’idée générale) ; le sang coule toujours dans la bouche avec un goût métallique (celui du cuivre, pour être précis). Je passe vite fait sur les cafards qui se baladent gaiement dans les endroits sordides et crasseux, les DVD pornos sur lesquels se branlent les tox, les partouzes de pédés défoncés au speed, le connard plein de fric d’Hollywood qui fait des choses pas très romantiques à des putes mineures des pays de l’Est tout en enchaînant les lignes de coke, le vieux junk qui a chopé la gangrène aux couilles en s’y injectant de la dope… Le lecteur l’aura compris, nous ne sommes pas dans La Mélodie du bonheur.

C’est donc avec une certaine lassitude teintée d’agacement que je me suis plongée dans ce pavé. Agacement, parce qu’au-delà des clichés, j’ai, à trente ans passés, de plus en plus de mal avec la supériorité qu’affichent les junkies dans ce genre littéraire : eux sont des perdants magnifiques, trop sensibles pour supporter ce monde dégueulasse sans dope, alors les gens clean ne sont qu’une bande de beaufs dénués de créativité, s’emmerdant dans leur petite vie de merde ; le pavillon de banlieue, le monospace et le labrador ne sont pas loin. Dans le cas de Black Néon, l’auteur est un ancien tox qui continue de parler de la drogue comme d’une ancienne maîtresse dont il serait toujours amoureux – ceux qui n’ont jamais goûté à ses caresses ne méritent pas une once d’attention. Okay. Agacement aussi, parce que les clichés semblaient s’accumuler sans vraiment d’histoire articulée. Comme si l’auteur s’adressait à l’un de ces beaufs n’ayant jamais goûté au cristal meth et qui, forcément, s’ennuie tellement dans sa vie poucrave qu’il aurait besoin de se repaître de sexe crade, de dépravation, etc.

Agacée (donc), et aimant râler, j’aurais pu refermer Black Néon au bout de cent pages et faire une chronique à la Philippe Manœuvre de la grande époque (révolue) : « Poubelle, direct. » Mais il me déplaisait de dire du mal d’un livre paru chez 13e Note Éditions, parce que leur démarche est on ne peut plus louable – traduire en français des chefs-d’œuvre jamais parus chez nous (l’autobiographie de Mark Oliver Everett, pour ne citer que celui-là), sortir des livres « de niche », comme on dit, ce qui s’apparente à un suicide commercial, bref, vivoter et ne publier que d’authentiques coups de cœur. De plus, fait rare, la traduction est impeccable. Et, fait encore plus rare, pas une faute d’orthographe. Remarquablement bien écrit. À l’heure où les éditeurs se font économes sur la relecture (« Bah, après tout, Internet est truffé de fautes, puis les fautes, tout le monde s’en fout, puis on n’a pas les moyens… »), on ne peut que saluer le soin apporté à la correction. Hautement appréciable aussi, la prise de position assez subtile de l’auteur sur le sexisme et l’homophobie (il est contre, et sait amener les scènes qui illustreront son avis).

auteur_16Tout cela a fait que j’ai poursuivi ma lecture. Tout cela, et aussi l’écriture terriblement fluide, accrocheuse, de Tony O’Neill. J’ai lu les presque quatre cents pages en trois jours, et y ai pris un grand plaisir. Comme quoi, la première impression… n’est pas toujours la bonne. Bien que voguant toujours de cliché en cliché, j’avais envie de connaître la suite. Et n’ai pas été déçue. Tout en ne sachant que penser du pavé. Plaisir coupable (comme quand on tombe sur Confessions intimes et que, même s’il vaudrait mieux aller se coucher, on ne parvient pas à éteindre la télé) ou réel talent de l’auteur pour vous embarquer malgré vous dans son road movie ?

Je ne l’ai pas su, jusqu’à l’épilogue. « Black Néon, de quoi s’agit-il ? (…) D’abord et avant tout, c’est un fatras invraisemblable, une série de photos de tox, de travelos, de putes et de dealers. Alors que par exemple les clochards photographiés par Diane Arbus ont quelque chose de pathétique, ici la vie des rues est un spectacle devant lequel on reste pantois, quand bien même s’estompe la frontière entre l’artiste et son sujet. » L’auteur, en parlant du film qui donne son titre au roman, parle en fait de son livre. Lucide, il révèle au lecteur qu’il est conscient de l’avoir baladé dans une série de clichés. Il est aussi conscient que le lecteur a aimé ça. C’était fait exprès. Chapeau bas, Tony O’Neill.

Sur ce, je vous laisse, je vais de ce pas chercher les quatre précédents romans de ce mec, après vous avoir chaudement recommandé la lecture de ce Black Néon.

Terry O’Neill // Black Néon // 13e Note Éditions

2 commentaires

  1. J’ai lu quelques livres de Tony O’Neill mais je ne connaissais pas Terry. Hein Sylvie? ….euh Sylvia, pardon.

    Ce mec est un génie.

    Bisous.

    Guitou

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