« Le reportage gonzo conjugue la vivacité de plume du reporter confirmé, l'acuité visuelle du photographe de guerre et les couilles du quarterback au moment du lancer. » Hunter S. Thompson.<

« Le reportage gonzo conjugue la vivacité de plume du reporter confirmé, l’acuité visuelle du photographe de guerre et les couilles du quarterback au moment du lancer. » Hunter S. Thompson.

« Tu vois, le monde se divise en deux catégories. Ceux qui ont un pistolet chargé, et ceux qui creusent. Toi… tu creuses… » Blondin, dans Le bon, la brute et le truand.

Tampa Bay, Floride. Depuis quatre heures déjà, le bourdonnement émis par la foule du Raymond James Stadium ricoche dans les oreilles des joueurs. Et depuis quatre heures, ça sent la transpiration, l’odeur de la cire étalée sous les yeux pour éviter l’aveuglement des projecteurs, et les hot-dogs ketchup-moutarde.

Sur le bord du terrain, les cheerleaders ne ressentent plus la douleur dans leurs jambes endolories : seulement le vent nocturne et hivernal sous leurs minijupes plissées. C’est le Superbowl, la grand-messe du football américain, et les Ravens de Baltimore dérouillent les Giants de New York. Au bord du terrain, le numéro 52 des Ravens rassemble une dernière fois SON escouade défensive autour de lui, dessinant un véritable centre d’attraction. Début de son speech guerrier : le 46, jeune rookie concluant sa première saison dans l’élite, est obnubilé par son charisme et son aura. Le discours du numéro 52 contient les mots « jusqu’au bout », « la balle », « ne rien lâcher », « pas moyen », « pas moyen », « pas moyen »… Mais laissons-le parler…

Le numéro 52.
Le numéro 52 est linebacker
Le numéro 52 est chef de défense, aussi.
Le numéro 52 a une réputation de tueur sur un terrain.

Le numéro 52 aime ces soirées-là, savourant chacun des pics d’adrénaline que lui procure ce match parfaitement goupillé. Maitre de sa défense, il a coupé toutes les transmissions de l’attaque adverse et a « sacké » deux fois le quarterback adverse, sentant même à un moment la tête de ce dernier cogner le gazon floridien, suite à une charge dévastatrice.

Se sentir fort, se sentir fort, invincible.

Mais c’est au numéro 7 des Ravens de jouer. Il court vers le centre du terrain avec son squad offensif. Il entend le numéro 52 invoquer un ultime cri de rassemblement : on a besoin d’un gars comme le 52 dans son équipe, des poisons pour les quarterbacks adverses…

Le numéro 7 ?
Le numéro 7, lui, est quarterback – mais prononcez « qoaterback » si vous voulez.
Le numéro 7 est au sommet de la chaine alimentaire du football US.
Le numéro 7 a une réputation de créateur sur un terrain.

L’entraineur est Dieu, le quarterback est son prophète, relayant sa bonne parole et ses choix tactiques.

Un être unique, à part, possédant les clés du jeu. Equation simple à vérifier : football = jeu de gagne-terrain, jeu de conquête, jeu de guerre. Qui lance l’attaque ? Le quarterback. Qui gravite autour du quarterback ? Tous les autres. Impossible de gagner (du terrain) sans bon quarterback : l’Histoire retiendra les grands prophètes et généraux.

Le numéro 7 a fait le choix de choisir pour le restant de sa carrière. Match après match, dans sa tête, se répète la même scène… Blotti derrière sa garde rapprochée, il attend le ballon. A l’abri de sa poche de résistance. Face à lui, éparpillé de par le terrain des molosses avoisinant chacun les 110 kilos. Ils veulent sa peau. Le cerveau du quarterback carbure à la pensée automatique : les consignes, le schéma de jeu, le parcours des receveurs. Assez réfléchi, place à l’action. Le snap, le ballon, délivré entre les jambes du linebacker. La guerre des couleurs commence. Les molosses sont lâchés. Pour anéantir le quarterback, faire déjouer son coup d’œil, son bras, sa vista, sa passe, ses armes fatales.

Ballon délivré donc…Le saisir… Garder les couilles bien accrochées…Molosse à deux mètres… Coup d’œil à gauche… Aucun receveur démarqué… Pas de panique… Les couilles… Molosse à 1 mètre 50… Les buffles sont à un mètre, garder les couilles bien accrochées… 50 centimètres… Le 7 est effleuré… Esquive… Plus le temps de tergiverser… Les couilles et…CHOISIR. Lancer le ballon. Une ogive au millimètre, tendue, à destination du receveur à peine démarqué. Au millimètre. Pour gagner du terrain, encore et encore.

This is football. Chacun son poste, chacun son truc. La division du travail made in USA. Les receveurs reçoivent les ballons. Les défenseurs défendent, les kickers kickent, etc. Et reste le quarterback, équivalent hiérarchique, de la reine des fourmis. La Guerre sur le carré vert, avec ses maréchaux, ses officiers, taillés comme des armoires normandes ou des baraques à dope engagés dans une partie de Risk grandeur nature. Avec pour emballage, les célébrations grand-guignolesques à chaque coup de boutoirs mis à l’adversaire, les décryptages à coups de super ralentis, de méga-loupes, de palette graphiques et d’incrustes futuristes. Et les cheerleaders et tout, et tout. Le show, le vrai. A l’américaine. Yeah. Avec un concert de Britney Spears à la mi-temps.

Revenons au match désormais terminé. Les canons nichés au virage Nord et Sud du Raymond James Stadium tirent plusieurs salves artificielles pour saluer les champions. Puis viennent les confettis, la remise des trophées, le 52 est le meilleur joueur de la finale. Le numéro 7, lui, contemple à son doigt la bague remise aux vainqueurs du Superbowl. Le 7 est un chanceux : il y a encore trois mois, il cirait le banc et maugréait sur son sort. Ses coéquipiers viennent le féliciter. Direction, la soirée privée, organisée avec toute l’équipe. On n’en sait pas plus sur la nuit du numéro 7….

Et le 52, me direz-vous ? Après la soirée VIP il s’esquive avec les numéros 37 et 27, pour faire la bringue dans le centre-ville. Se sentir, fort, se sentir fort, invincible.

La Ford Mustang gris métallisé crache tout ce qu’elle a dans le moteur, couvrant même le bruit des vagues s’échouant sur Tampa. On sort de la ville. Les gars rigolent, la bouteille de Jack Daniel’s circule de main en main, de bouche en bouche. Sur le toit du monde, putain. Un connard leur klaxonne sous le nez. Conduisez pas droit, bande de cons, enfoirés. Quoi ? Quoi ? Enculé. Connard. Sors de cette bagnole. Bande de baltringues. Le gars se range sur le parking d’un motel, suivi de près par la Ford Mustang. On coupe les moteurs. Nouveau match. Le type s’avance vers eux, à l’attaque. Le 52 claque la portière. Les Giants en ont bavé, c’est pas une petite frappe de Tampa Bay qui leur causera de soucis : avec le 37 et le 27, à 3 contre 1, c’est du tout cuit. Il essaie de calmer le jeu. Oui, mais trop tard. Le 52 sait diriger sa défense : tandis que ce dernier tient sans trop de difficultés les bras du gars, Le 37 et le 27 font découvrir à ce dernier la texture de leurs semelles. Pluie de coup de pieds, déluge de coups de poings. Tiens, tiens, tu fais moins le malin, connard, tu sais pas qui on est ? Tu sais pas qui on est ? Hein ? Le Jack Daniel’s est brandi à bout de bras. Non. DECONNE PAS. Le 52 lâche les bras de l’agressé. Putain. DECONNE PAS J’tai dit. Deux secondes plus tard, Jack Daniel termine son périple sur la tête de l’avorton floridien et vole en éclats. Le connard ne respire plus. Tant pis pour sa gueule remarque le 38. Le 52 pense plutôt à contrôler sa défense. C’est bon, on y va les gars. Ouais. Ouais. La Ford Mustang redémarre, roule dans une petite flaque de sang sur le parking d’un motel de la banlieue de Tampa.

Le numéro 52 reprend une gorgée d’une autre bouteille de Jack Daniel’s.
Le numéro 52 est linebacker
Le numéro 52 est chef de défense, aussi.
Le numéro 52 a une réputation de tueur sur le terrain.

8 commentaires

  1. Moui, enfin, Ray Lewis est pas très loin de cette description quand même. Et de ce « fait divers » !
    J’adore le Foot, mais depuis une bonne dizaine d’années, ça oscille quand même entre décérébrés et gangstas.

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