"Dans cette puanteur, respirer équivalait à siphonner de la merde à travers un protège-dents, rectum tremblotant dans de la graisse de porc". 

« Dans cette puanteur, respirer équivalait à siphonner de la merde à travers un protège-dents, rectum tremblotant dans de la graisse de porc ». Tristan Egolf, Kornwolf  

Je savais que les prémices du mal commençaient à s’agiter dans mes profondeurs. La houle prenait ses forces. Déjà, elle gonflait, mais sans que je puisse la sentir. Lentement, inexorablement, les vagues commençaient à se former, à montrer le dos. J’avais, je le savais, au moins 15 minutes, peut-être 20 avant les premiers tremblements, le premier ressac. Un quart d’heure pour remonter le Sébastopol entre les jeunes mendiants et les ivrognes englués dans la crasse du 10 ème arrondissement. Un quart d’heure pour prendre ma place au guichet de l’Archipel pour trouver un rocher, un truc.

Quand je suis entré dans la salle de cinéma, la plupart des sièges étaient déjà pris. J’ai reconnu quelques visages, et réussi à sourire à cette fille à la veste en sky rouge. On m’a présenté à Winshluss (Persepolis, Pinochio, Requins Marteaux) le type qui a réalisé Villemolle 81 dont c’était l’avant-première ce soir-là. On m’a dit que ce film serait super drôle. Une bière, une clope dans la cage d’escalier de secours et puis le film a commencé. À peine m’ étais-je appuyé contre le mur, qu’une vive brûlure tordit mes entrailles comme une serpillière. La sueur perlait sur mes tempes, glaçait mon dos, glissait entre mes fesses. Je me suis plié en deux, puis je me suis redressé pour respirer comme je l’ai appris au Kung Fu, et la bête s’est retirée. Elle avait tâté le terrain, cherché le premier contact, les défauts de la cuirasse, la concentration et la peur…

Je retourne au Zédard sur l’écran. Des grosses vannes bien lourdes au millième degré… Je n’arrive pas à suivre, c’est trop lent… Au moment où les zombies apparaissent enfin, la bête surgit de mes profondeurs. Les zombies se mettent en branle pour leur marche éternelle. La population de Villemolle meurt dans un bain de sang, il fait cinquante degrés dans mes tripes, je baigne de sueur. Je n’ai plus d’os, plus de squelette, tout est  liquide, vaseux. Je m’attendais à une tempête océane et j’ai le droit à un marécage, une mangrove pourrie par le climat épidémique des tropiques, un air malsain et vicié. La défaite est là elle aussi, à quelques secondes, comme un vautour, une hyène, un infernal charognard qui attend l’heure de la curée avec patience sauf si…`Sauf si je pactise avec le démon. Si j’accepte la transformation. Oui, se laisser prendre, accepter de partager mon corps pour le sauver.

Je fonce aux toilettes, baisse mon froc et… !

Spalchhhh, une cascade, un torrent d’une épouvantable puanteur, jaillit en tourbillonnant, emportant tout sur son passage, lacérant les parois de mon intestin, brûlant mon rectum, annihilant mon anus. La fuzz fangeuse des Magnetix découpe des quartiers de viande comme un boucher, comme Ed Gein ses femmes déterrées. La bête prend possession de sa conquête, occupe le terrain, plante ses drapeaux et la batterie la plus primitive de tous les temps réveille le rythme des premières chasses, il y a des milliers d’années, quand il fallait encore se battre pour survivre, en courant des journées entière sans s’arrêter après un rhinocéros laineux. Looch hurle pour défendre la dépouille pantelante à ses pieds, pour garder le Feu vivant, la seule arme qui vaille face aux ombres affamées qui rôdent dans la nuit. Mes côtes craquent et se gonflent, mes pieds s’allongent, mes orteils se rejoignent, la métamorphose est presque accomplie. Mon nez rejoint ma bouche, mes lèvres disparaissent pour former un groin. Je hurle, je crie comme un porc, je suis un porc. J’ai enfin trouvé la clef de mon passé, j’ai renoué avec mes ancêtres. Une moto de silex sort de la guitare, à fond, gras, pour me donner la poursuite, me faire la peau, racler ma couenne. Le duo a réveillé le grand Mammouth, les premiers dieux païens. Magnetix est le premier couple Cro-Magnon, une batterie, une guitare, et c’est tout. L’heure est au sacrifice humain, au culte du soleil, à la peur des éclipses, aux infusions de datura et au cannibalisme. Les larsens sonnent l’hallali, comme si Hasil Adkins soufflait dans un sax pour nous bénir, ou pour m’enduire de sauce barbecue, cher grand-père.

Après une course effrénée, j’ai senti le dard de silex transpercer mes flancs, lacérant mes chairs. J’ai regardé cette plaie mortelle à mon côté en la laissant saigner, lentement. Ils ont alors commencé à laper le jus à sa source, se battant pour les dernières gouttes, cherchant des pailles pour fouiller les dernières poches de vie. Ils ont bu mon sang. Ils ont offert mes organes aux dieux, jeté mon corps à la voirie.

Et ils disparurent dans la brume de l’aurore, dans une caverne, vers des contrées giboyeuses, n’importe où, en attendant le prochain combat, la prochaine chasse et ses inévitables cicatrices.

Photos: Cyprien Lapalus

www.myspace.com/themagnetix 

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