La dernière fois où j'avais failli les rencontrer, j'étais dans un taxi sur le périphérique. Je me souviens parfaitement, le téléphone avait sonné et un dialogue absurde av

La dernière fois où j’avais failli les rencontrer, j’étais dans un taxi sur le périphérique. Je me souviens parfaitement, le téléphone avait sonné et un dialogue absurde avait conclu la non-rencontre : « Désolé je ne pourrai être là pour l’interview, non prenez à gauche là, ouais je te disais qu’on annule pour The Horrors, je vous dois combien ?, ils sont en showcase au Baron ce soir génial !, merci monsieur, bonne fin de journée ». Fin du premier acte. I only think of you.

Plus tard, à la Route du Rock, ils m’avaient rendu la pareille. Peut-être était-ce par osmose, toujours est-il que le communiqué de presse m’avait donné mal au ventre: « The Horrors annulent leur venue à St Malo car ils sont malades. Ou fatigués. On sait pas trop, désolé ». La vérité c’est que les londoniens à coiffures d’électrocutés étaient restés aux States, préférant assurer les premières parties de NIN plutôt que de se tremper les couilles dans un marécage du nord de la France. Comment leur en vouloir à cette bande de youngsters, mélange de The Cure et d’EDF, eux qui venaient juste de publier l’album de l’année, de préférer jouer dans des stades plutôt que dans une arène ? Deuxième acte : I can’t control myself.


En plein mois d’aout, lorsque vous avez gagné un pass[1] pour assister à Rock en Seine 2009, que les chances de passer backstage[2] sont aussi fines que les culottes d’Ebony Bones et que vous n’avez même plus la force de vous agenouiller, les chances de rencontrer Faris et ses copains coiffeurs sont presque nulles. « Salut, c’est Caro’. J’ai peut-être un créneau pour toi, pour rencontrer The Horrors ». Bah non, ca va pas être possible, j’ai pas de pass pro, j’ai pas de questions, j’ai qu’une chemise à fleur dont les gamines de 15 ans n’arrêtent pas de dire qu’elle leur irait mieux qu’à moi. La moyenne d’âge, aujourd’hui, lorgne plus du coté Marc Dutrou feat. Jonas Brothers que Black Sabbath feat. ton papa. Paraît que l’entrée est gratuite pour les moins de 12 ans, génial. Mais qui a VRAIMENT envie de se taper MGMT, Klaxons, Faith No More et Birdy Nam Nam en un week-end ? Tout le monde, apparemment. Moins qu’hier, pour Oasis, lorsque les deux frères se cassaient des guitares sur la tête avant d’entrer sur scène. Amis bookeurs, les paris sont lancés : Qui sera la tête d’affiche décapitée en 2010 ?

Chers lecteurs, je vous passe les détails de la programmation mi-figue mi-bémol. J’ai réussi à rentrer du coté obscur de la force (les backstage) pour croiser, par hasard, les gamins, bien rasés, de The Horrors. Bière, serrage de poignes, cigarettes. La conférence de presse débute dans un désert (une cabane en ALGECO) avec 10 photographes et euh… 4 journalistes. Le bruit des talkies-walkies ponctue le silence de quelques soubresauts, plus loin le vrombissement des guitares se fait entendre, ici trois Horrors se tiennent assis devant une foule éparse. L’un d’entre eux (Joshua Third, guitare et cheveux devant les yeux) fait des cocottes en papier, le deuxième se contente de porter ses Wayfarer (Faris Rotter, chant et envoutements névralgiques) lorsque le troisième tente de répondre correctement aux questions. Alors qu’un chroniqueur contre-culturel tente vaguement de draguer une jeune stagiaire du Monde des ados, tout le monde se demande concrètement si personne a des questions ? Je vous laisse deviner la réponse, j’enquille sur mes interrogations.

Comment expliquez-vous la différence flagrante entre votre premier et deuxième album ? Ce n’est même plus un changement à ce stade, c’est une métamorphose.

Tomethy Furse (Basse, claviers) : Musicalement, bien évidemment. Deux ans ont passé depuis le premier (bruit des talkies-walkies). Nous avons beaucoup appris du fait d’être en groupe, vivre ensemble, pratiquer nos instruments. Primary Colours ce n’est que le résultat des portes qu’on a fermé pour enregistrer. Si vous pouviez écouter les démos de fin 2007, les pistes qu’on n’a pas gardé, vous comprendriez l’évolution entre les deux albums.

Et la dernière piste, la presqu’instrumentale de 8 minutes très kraut, celle qui me passionne, Sea withink a sea, comment l’avez-vous enregistré ? Différemment des autres ou bien ?

Tomethy Furse : Comme les autres, dans un studio à Londres. C’est le résultat d’une chute de studio, nous explorions les différentes façons de sonner en groupe… je ne sais pas… c’était très organique, rythmique. L’ajout des synthétiseurs nous a permis d’explorer une face de la musique en studio, un jeu avec la batterie que nous n’avions pas sur le premier album, sur Strange House. Nous avons écouté énormément de musiques électroniques européennes, c’est une influence indéniable, notamment Neu !

(Mon collègue Sylvain Fesson) Les gens parlent souvent de My Bloody Valentine ou Joy Division dans vos influences sur l’élaboration de Primary Colours. Est-ce une coïncidence ?

Faris : Ce sont deux super groupes avec des albums fantastiques. Mais nous n’avons pas limités nos écoutes à ces deux groupes.

Tomethy Furse : L’intensivité d’un groupe est souvent résumé au coté « dark ». Ce n’est pas forcément vrai. S’il y a de la puissance, ce n’est pas forcément « dark ». Joy Division, ou Neu ! sur leur premier album, ont inspiré Eno, Bowie sur ses enregistrements à Berlin… tout cela nous a également infuencé, nous avons entendu tout cela. Passion is music. C’est pareil avec Kevin Shields. On était bien évidemment déçus de ne pouvoir jouer avec My Bloody Valentine à la Route du Rock.

Faris : Lorsque les gens évoquent le coté noir de notre musique, je crois qu’ils se trompent. Nous voulions quelque chose d’intense, signifiant, depuis longtemps déjà.

Pour Primary Colours, vous avez brouillé les cartes, votre image est plus floue, la musique semble au devant de la scène, vous en retrait.

On comprend à ce stade que le rôle de chacun est clairement identifié. Faris regarde son interlocuteur mais ne pipe mot, Joshua plie du papier et Tomethy est l’organe communicant du groupe, celui qui anticipe et répond dans un anglais clair et compréhensible pour exprimer la voix du parti. Porte-parole d’un groupe sans mimiques ? On n’en est pas loin.

Tomethy Furse : Nous étions intéressés par le son, comment il pouvait faire vibrer le corps, le ventre, la tête… Cette distorsion floue nous est apparue primordiale.

Etiez-vous fatigués de cette réputation de branleurs décoiffés qui vous collaient à la peau ?

Faris : Nous avons toujours eu une perception différente sur nous-mêmes, pareil pour notre musique. Toutes ces histoires d’images et d’apparence, nous sommes toujours passés au-dessus, cela ne nous intéresse pas (sourire appuyé de Faris)

Je lui rends son sourire. La seconde dure une éternité. Que pense-t-il derrière ses verres fumés ? Sommes-nous complices, ou simples adversaires ? S’en suit une question inintéressante d’un journaliste à lunettes et cheveux courts et une légère brise d’ennui que je vous épargne bien volontiers.

Vous avez tourné au mois d’aout avec NIN aux States, en première partie. Trent Reznor a récemment déclaré qu’il ne jouerait plus jamais aux States, cela a-t-il engendré une atmosphère pesante sur la tournée, de l’excitation ?

Tomethy Furse : Evidemment, et surtout pour les fans de NIN. Nous avons joué trois shows à NY avec NIN, dont un dans une salle minuscule, surement l’un des plus petits dans lequel Trent ait joué depuis 15 ans. Donc oui, c’était excitant ; d’autant plus que nous partageons pas mal d’influences.

(Question de Sylvain Fesson, un peu bancale) Pensez-vous un jour pouvoir jouer une musique qui soit moins dark ?

Faris (un peu énervé, mais impassible): L’intensivité ne veut pas dire noirceur. Notre but, c’est de jouer une musique qui connecte les gens, soit l’exact contraire de tout ce qui se fait aujourd’hui.

Fin de l’interview, tout le monde se lève, fait signer ses autographes à pates de mouche. On apprend quelquefois plus des silences que des réponses. En regardant la statue Faris, ses non-dits et son indifférence, en contemplant les origamis de Joshua Third, son mutisme caché derrière sa fausse perruque… La distorsion floue, celle qui se reflète par vagues dans l’eau des étangs, on la perçoit ici très clairement : The Horrors ne déçoit pas ; j’avoue même avoir hésité à leur demander s’ils croyaient en dieu. Plus tard, sur la demie-scène, Faris et ses copains décoiffés livreront un show magistral, l’équivalent d’un tank lancé à toute allure sur un public qui pogotte, se prend des pains, fait du slim-slam sur le devant de scène, prenant chaque claque sonore comme une incitation à la débauche. Quatre londoniens de noir vêtus, des teenagers à hymen pas encore débloqués, rage rock’n’roll et quelques hurluberlus hillbilly qui miment les paroles de chansons, Mirror’s image qui débute, dans un fracas, vision d’une adolescence qui jouit collectivement : bien joué Faris.

Au coucher du soleil, Faris enlève ses sunglasses, le regard semble possédé et les yeux en orbite. Est-il le nouveau messie, où sont les lanternes ? Faris s’en fout, il lève les mains vers la foule, exhorte à la communion, mélange de Jim Morrison et Ozzie Osbourne. Quarante kilos de croyances perdues au fond d’un jean slim, c’est bien suffisant pour mettre le public à ses pieds. Le dernier accord de Sea Withink a sea résonne sur le gazon, c’est déjà la fin d’une première rencontre. Surement pas la dernière. Métro, fin de soirée, correspondances. En ouvrant la boite mail, le mail d’un ami : « Tu speedes trop. Prends un peu le temps de respirer ». L’objet du message est évocateur : Be kind, slow down !

The Horrors semblent l’avoir bien compris ce message : Shoegaze (regarder ses pieds, cacher son regard), krautrock (batterie d’autiste, basse en syncope), cold-wave (Faris, une onde qui flotte)… The Horrors c’est tout un roman, l’équivalent musical d’une ballade en forêt past-midnight. Be kind, slow down… Chaque pas se mesure, à la nuit tombée. Note à moi-même: Penser à lutter pour un monde sans couleurs.

http://www.myspace.com/thehorrors


[1] En publiant une pub vantant les mérites grabataires de la programmation d’un festival où le plus jeune des groupes semble avoir 50 ans. « Salut Bester, la programmation de Rock en Seine est tombée sur le gif, ils n’aiment pas du tout. Peux-tu le retirer ? »

[2] Merci à John Luby pour le soudoiement express des attachés de presse du festival.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages