La bonne réception du dernier film de Steven Spielberg est un symptôme frappant de l’angoisse qui taraude le public traditionnel du cinéma, celui qu’a toujours courtisé Spielberg et qui a fait son succès commercial. Elle montre aussi comment les studios aggravent encore, par leur conservatisme, le naufrage d’un art qui semble désormais dépassé par la réalité.
Un peu comme un capitaine de navire qui viserait des icebergs pour tester la solidité du bateau, Steven Spielberg donne l’impression de vouloir sombrer avec le medium qui a fait sa notoriété. Son dernier film The Fabelmans raconte l’adolescence du jeune Sammy Fabelman, et la naissance de sa vocation de cinéaste. Il est surtout l’occasion d’un très long retour sur l’Amérique orgueilleuse et triomphante des années 60 et au milieu de ça, sur les petites affaires familiales du jeune Spielberg.
Un mensonge 24 fois par seconde
Le premier reproche que l’on peut faire à Spielberg, c’est bien le narcissisme de son film qui semble tourner entièrement autour du point de vue de son protagoniste, un adolescent bourgeois et gâté qui ignore tout de la guerre du Vietnam ou de la lutte des classes et dont les références cinématographiques semblent s’arrêter à L’homme qui a tué Liberty Valence. Steven Spielberg réalise en 2023 un film qui aurait pu sans problème sortir en 1982 et qui aurait dû en vérité sortir à ce moment là, car il aurait été un film mainstream correct au lieu d’un objet embarrassant.
Il faut une dose certaine de mauvaise foi pour filmer un bal de promo comme le fait Spielberg, au mépris des quarante années qui viennent de s’écouler, comme si Brian de Palma n’avait jamais réalisé Carrie, Joe Dante tourné Panique sur Florida Beach ou Robert Zemeckis Retour vers le futur. Et je ne parle là que de ses contemporains. Laissons de coté les trente années suivantes puisque Spielberg se comporte avec The Fabelmans comme si l’histoire du cinéma se réduisait à ses seuls films encore à venir.
Il y a quelque chose d’assez gênant à regarder un vieux monsieur tripoter les Trente glorieuses en public, mais c’est encore plus embarrassant de l’entendre raconter comment le cinéma lui a permis de composer avec l’adultère de sa mère. Parce qu’au fond, le sujet principal du film est bien celui-ci : comment l’image est ce qui permet de tenir l’histoire à distance, comment filmer permet de ne pas voir, d’enfermer l’autre dans son image et de l’y garder. On en vient à se demander si Spielberg nous raconte son enfance ou sa psychanalyse, auquel cas il serait bon de rajouter Woody Allen à sa liste des films à voir.
Le troisième reproche que l’on doit faire à The Fabelmans, au-delà de la gênance et de la mièvrerie du film, c’est sa malhonnêteté. Spielberg aurait pu inclure dans son film les home movies qu’il a tourné adolescent, donner à son film une ouverture, une respiration et une franchise dont il aurait bien besoin. Mais il les a refait et remis en scène comme tout le reste. Tout est faux dans cette confession publique, tout est tenu par les grosses ficelles de son savoir-faire. Le cameo de David Lynch laisse planer un doute, peut-être que Spielberg esquisse un autoportrait en faiseur. Mais il faudrait alors se demander pourquoi il s’en contente, sinon par paresse ou narcissisme.
David Lynch’s amazing cameo in Steven Spielberg’s The Fabelmans pic.twitter.com/2bzbSqtm3p
— Film Codex (@FilmCodex) January 20, 2023
Spielberg n’est pas très différent en cela de James Cameron, autre réalisateur qui semble être resté un enfant fasciné par ses jouets, dont la vision du monde reste réduite à ses trois copains de lycée, sa famille et sa petite amie. Aller voir leurs films revient à payer pour entendre un pré-adolescent nous parler de son amour pour One direction. Les deux volets d’Avatar fascinent par l’écart entre les moyens accordés au film et la portée narrative d’un scénario digne d’une bataille de lego entre deux collégiens pas très futés.
On peut vouloir rester ce collégien pas très futé, mais il est difficile d’ignorer qu’un film est un objet idéologique. En 2018, Spielberg a réalisé Ready player One, autre objet nostalgique et adolescent. Le film posait également avec cynisme le modèle d’une société sortie de l’histoire, contrôlée par des policiers, des avocats et des entrepreneurs. Les membres de cette société se « révoltaient » mais l’objet de leur révolte est le maintien de leurs existences virtuelles. Non seulement la révolte n’a pas eu lieu dans le réel, mais elle vise explicitement à maintenir l’aliénation. The Fablemans, nous replace de la même manière dans une société de boomers narcissiques et immatures. Il serait temps d’en sortir.
3 commentaires
« L’homme qui a tué Liberty Valence », Jean-Michel A Peu Près
Un très beau vide de pensée dans cet article, qui enchaîne des banalités pseudo politiques et des procès d’intention
darmanin votre darmanin va recruter spitte_berg comme ministre du cul.