Bonne nouvelle : Simon Hanselmann sort la suite des aventures de nos héros punks-dépressifs préférés. On y retrouve Megg la sorcière désabusée, Mogg le chat vicieux, mais aussi les seconds rôles que l’on adore comme Werewolf John. L’occasion de se rendre compte, avec ce nouvel ouvrage, que Simon Hanselmann est en passe de devenir le nouveau Matt Groening pour sa capacité à créer une collection de personnages de weirdos hétéroclites et attachants.
À l’origine, Hanselmann vient de la scène comics underground. Il a grandi dans un milieu white trash avec un côté redneck et il est devenu à la bande dessinée ce qu’Iggy Pop est au rock : enfance dans un mobile home, famille monoparentale éclatée, échec scolaire, amphétamines, goût prononcé pour le travestissement, punk rock et alcool pour tuer son ennui dans un État d’Australie que nous n’arrivons même pas à situer sur une carte – la Tasmanie, vous savez où c’est, vous ? Et puis, à force d’acharnement, de travail et d’obstination, il est maintenant une icône trash de la pop culture. Ses ouvrages sont désormais traduits en treize langues, il est invité à Moscou, Tokyo ou Washington pour parler de son travail pipi-caca et se retrouve dans le top 10 du New York Times. Depuis peu, il rencontre même des fans qui se font tatouer ses personnages.
C’est donc dans le cadre d’une exposition à Paris à la Galerie Martel, que l’on s’est entretenu avec lui. Car derrière la couche de crasse et de stupidité évidente, il y beaucoup de mélancolie et de détresse dans l’œuvre d’Hanselmann. C’est une sorte de carte postale punk no future psychédélique peinte à la main que l’Australien nous envoie, un véritable concentré de contre-culture réalisé avec du colorant alimentaire. Voir ses planches originales en format 80 X 60 exposées, c’est aussi admirer la dextérité, la qualité de la technique d’aquarelle, le souci du détail mais aussi la précision d’exécution.
Félicitation Simon ! Dans « Happy Fucking Birthday » il y a encore plus de vomi que d’habitude
Ah ! ah ! Oui, c’est vrai et il y a plein de merde aussi ! L’édition américaine a définitivement encore plus de merde dedans. Cela vient de ma relation au corps : toute cette merde que l’on extirpe en courant aux toilettes. C’est assez fascinant car on ne veut jamais trop en parler.
Quand tu étais jeune tu lisais des trucs un peu français depuis la Tasmanie?
J’adorais Astérix, Tintin [il prononce «Tine-Tine», c’est mignon, ndlr], Lucky Luke, beaucoup de BD européennes. Mais il y avait aussi Mad Magazine, des choses comme ça. Puis à treize ans, j’ai découvert Daniel Clowes, Charles Burns, Robert Crumb, tous ces artistes underground. Il y avait beaucoup de comics autour de moi, même si cela n’est plus trop le cas actuellement à cause d’Internet : on a accès à tout plein d’artistes qui se servent de médium comme des blogs ou Tumblr. Moi-même, je faisais des fanzines photocopiés mais c’est mon Tumblr qui m’a fait connaitre.
Ta série Megg & Mogg est en partie inspirée par cette vieille BD pour enfants par Helen Nicoll dans les années 1970. On a pu voir plus récemment que Charles Burns payait son tribut à Hergé avec sa BD Toxic. Est-ce que détourner les codes, c’est quelque chose qui t’attire ?
En fait, je m’y étais déjà essayé avant Megg & Mogg. À mes débuts j’avais créé une sorte de rip off de Tintin avec un Capitaine Haddock dont le but était de se faire faire des branlettes gratuites. Je me souviens particulièrement d’une planche où ils avaient construit une sorte de jeu vidéo pour salle d’arcade. Ils avaient placé des trous à la place du joystick pour pouvoir y mettre leur bite afin de se faire tripoter. Et ils disaient aux gens qui passaient : « Allez, jeu gratuit ! » Et ça partait en branlette jusqu’à ce qu’ils jouissent et en foutent partout. Je ne sais pas, les branlettes et le foutre c’est peut-être ma vision inconsciente de Tintin. Ah ! Ah ! Pour Megg & Mogg c’est un peu similaire, cela vient au départ de cette série de bouquins pour enfants, mais cela n’a rien à voir avec un truc pour les gamins. Je n’ai jamais voulu faire une sorte de pastiche ou une parodie. Mais je ne m’attendais pas à ce que cela marche autant : au départ c’était comme une blague. Je me suis dit : « Voyons ce que je peux faire en partant de cette idée stupide. » Ça m’a rendu fou pendant quelques mois, et puis dix ans plus tard je suis toujours en train de dessiner et d’imaginer l’histoire de ces personnages. Mais non, je ne veux pas faire un spin off d’une BD existante. Enfin pas maintenant, car cela n’est pas ma priorité. Mais on ne sait jamais…
« Être exposé à Paris, c’est un gros « fuck you » à tous les connards. »
Tu parles toi-même d’histoire stupide, mais on se trouve dans cette galerie, devant tes planches originales et je suis bluffé par le soin que tu y mets et ta technique. C’est du travail d’orfèvre. Tout est réalisé à l’aquarelle ?
Oui, et il y a aussi beaucoup de colorants alimentaires. Tu sais, ces produits que l’on met dans les gâteaux pour qu’ils soient roses ou vert fluo. Je mets des touches de gouache parfois, mais toutes les couleurs vives que tu vois proviennent de colorant alimentaire. J’ai découvert cette technique par accident.
Tu as appris l’aquarelle tout seul ?
Oui, j’avais pratiqué un peu les bases à l’’école. Je me suis ensuite entrainé pour des fanzines auto publiés. Mais tout cela est assez cheap, tu sais : juste des stylos et du papier pas cher, du colorant alimentaire acheté au supermarché en bas de chez moi. Il ne m’en faut pas beaucoup.
Ton travail foisonne de détails, particulièrement sur les doubles pages.
Merci, oui. Tu sais, j’essaie de garder un équilibre entre les horribles blagues pipi-caca, la tristesse et tout ce côté dépressif. Au fond c’est une BD très triste. Même si les critiques y voient un travail très sérieux.
« Ma hantise en ce moment, c’est que quelqu’un vole mes personnages pour en faire un truc dégueulasse. »
Tu es fier d’être exposé à Paris dans une galerie d’art avec ton nom qui clignote dehors ?
Complètement ! Qui l’eut cru ? Il n’y a pas longtemps je me suis même retrouvé dans une soirée à discuter avec mes idoles Charles Burns et Chris Ware, le niveau est très haut avec eux. Je suis très fier du travail accompli jusqu’ici. En plus, tout est magnifique et très bien mis en valeur dans cette galerie. J’avais déjà fait une expo en janvier, il y avait tellement de monde qu’on n’arrivait pas à bouger. Tout va très vite pour moi dernièrement. J’ai même été nominé pour un prix en Angleterre récemment. Les gens adorent ces personnages de Megg & Mogg, mais quand ça va trop vite j’ai toujours un peu peur de la récupération. Tu as vu ce qui est arrivé à Matt Furie ? Quand son personnage de Pepe The Frog lui a été pris, ou plutôt volé, par les extrémistes pour devenir un symbole raciste. C’est arrivé tellement vite. Ce qui lui est arrivé est complètement dingue. C’est un peu ma hantise en ce moment : que quelqu’un vole mes personnages pour un but dégueulasse et que cela m’échappe.
C’est un peu une revanche sur la vie pour toi, d’être exposé ici.
J’ai trente-six ans, maintenant, j’espère être encore jeune. Tu sais, mon principal et mes professeurs à l’école détestaient mon travail et ont tenté plusieurs fois de me faire changer de voie. Ils trouvaient ça obscène et vulgaire. Alors être ici à Paris et donner des interviews, c’est un peu un gros « fuck you » à ce genre de connards. Même si ça m’a pris du temps et beaucoup de travail. Je veux dire, je viens du fin fond pourri de la Tasmanie, merde. C’est un endroit horrible où il n’y a pas grand-chose à faire. Il y a juste quelques groupes de punk rock et des auteurs de BD. C’est vraiment petit, j’avais vraiment besoin de me casser de là-bas.
Peux-tu me parler d’un de mes personnages préférés : celui de Werewolf John. Un ours ou loup-garou habillé en bucheron qui sort tout le temps sa bite et qui est père de famille.
C’est basé sur un ami à moi en Tasmanie, qui s’appelait Colin. Il se branlait tout le temps et avait toujours du foutre à moitié séché qui collait partout comme du fromage. J’avais ce genre de pote, adolescent, bipolaire et alcoolique qui picole trop et se réveille le matin à moitié à poil, tout crasseux et qui se demande ce qu’il a foutu la veille. Nombre de mes personnages sont inspirés de personnes réelles. Werewolf John est peut-être le plus extrême. En même temps, il adore réellement ses deux gosses. C’est un père terrible. J’aimerais faire apparaître par la suite le père de Werewolf John qui est encore plus terrible. Quand j’étais gamin, ma mère vivait dans une sorte de caravane et il y avait un sacré paquet de tordus qui y passaient : des bikers défoncés à l’acide. Le père de Werewolf est inspiré par ce genre de types.
Il y a aussi ce personnage de Cool Mike, avec ses lunettes et sa moustache.
Je ne comprends pas l’engouement pour ce personnage. Tout le monde l’adore, mais il ne fait absolument rien : il est juste là à chiller. Je devrais davantage me pencher sur lui et le développer un peu. C’est comme le personnage de Booger, celle qui a des écailles, assez repoussantes, comme une sorte de boogie man. Je vais faire un comics solo, une sorte de spin-off pour la développer.
Cette histoire de fête d’anniversaire est assez cruelle. Le personnage de Owl le prend toujours avec philosophie. Quand il rentre dans sa chambre d’adolescent avec son poster de Danzig au mur, après toutes ces merdes: il est content.
Oui, il aime Megg, Mogg et il adore cette vie. Il essaie toujours d’être une bonne personne, de travailler, de se tenir à carreau, il a un côté chiant, donneur des leçons. Mais le truc, c’est qu’il est attiré par ce mode de vie décadent, la transgression, toutes ces choses sales : se branler dans les piscines, prendre de l’acide, fumer de l’herbe et s’envoyer en l’air. Il adore ça au fond, mais il ne veut pas se l’avouer !
Simon Hanselmann. « Happy Fucking Birthday ». 136 Pages chez Misma Edition.
misma.fr
Pour les Parisiens avec des tatouages de marins en New Balance, l’exposition Simon Hanselmann se tient à la Galerie Martel jusqu’au 18 novembre 2017.
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On preferera des trucs @ la Desproges! NAH!