La route de la Route du Rock
Quitter une région trempée de pluie [Lille, NDR] pour se prendre une tempête de flotte sur le pare-brise cinq cents kilomètres plus loin… Faut-il être totalement stupide, je vous le demande ? C’est qu’au bout, il y a LE festival de l’été. Où, même sans jamais y avoir mis les pieds, on a l’impression d’être déjà chez soi. Les réseaux sociaux, ça bousille le goût des premières fois. Ceci dit, on avait tellement fantasmé Saint Malo que découvrir une entrée de ville aussi moche que n’importe quelle autre entrée de ville française, ça surprend, pour le coup. De l’autre côté des remparts, c’est une autre limonade. Mais disons-le une fois pour toutes : le touriste ne supporte pas ses congénères. Je préfère me souvenir du retour à l’hôtel, de nuit. Dans le silence retrouvé des pierres et des pavés, la magie opère enfin. Face à la porte de l’hôtel et cette clé magnétique qui nous échappe, les watts et la boue qu’on vient de quitter remontent à la surface. Et déjà, on pense à la journée du lendemain. On aurait aimé que cette vie dure toujours. Ca n’a duré que trois jours.
Pingouins dans la boue (jeudi)
« T’arrête pas, derrière, c’est la marche de l’empereur ! » Même sur le chemin d’accès au site transformé en lisier par la pluie, le festivalier de la Route du Rock ne manque pas d’humour, ni de solidarité envers ses compagnons d’infortune. La meilleure programmation de l’été servie les deux pieds dans la boue, ça vaut le caniveau et la vue sur les étoiles. A cette nuance près qu’une accréditation presse permet de limiter les dégâts. Et de souffler. On est content de ne plus avoir 20 ans, une tente pliable et de ne pas passer sa journée debout.
Premières notes. Des Américains cachés derrière leurs cheveux longs se foutent tranquillement du monde en assurant le minimum syndical face à un public planqué sous des cirés moches. War On Drugs ? Chiant comme la pluie qui nous tombe dessus. Kurt Vile ? Itou, hormis pendant son final seul à la guitare. Même les fans confirment. Plus tard, un artiste mettra les points sur les i : les mecs n’ont rien donné. Heureusement, en festival, il y a le bouton next.
Un espace presse quasi désert. Un espace VIP plein à craquer. Partout, de la boue. Des visages qu’on reconnaît, pas mal de sourires malgré la pluie et les pieds dix centimètres sous le niveau de la mer ; une joie partagée d’être là, visiblement.
Thee Oh Sees déroule sa formule au kilomètre : un riff = un morceau. Sans oublier les « Ouh ! Ouh ! » du chanteur. Ca réveille. Mais ça ne fait pas grimper aux rideaux non plus. Paraît que John Dwyers était de mauvaise humeur pour cause de mauvais son. Nous n’avons pas recoupé cette info. On vous la met là, faites-en ce que vous voulez.
Il existe encore des festivals avec des sandwichs à 3 euros.
La lumière viendra de Fat White Family. Braillards, mal élevés, habités, sauvages : des sales gosses poussés en Angleterre rappellent qu’un festival, ça ne se limite pas à de la bonne musique : faut que ça bouge on stage. Des rumeurs entretiennent déjà leur réputation : bagarres avec des staffs, planning promo enterré pour cause de retard, sens appuyé de la fête post concert : le rock aurait-il enfin retrouvé des mauvais garçons ? On en reparle l’année prochaine, à la sortie de leur premier LP.
Toutes les personnes croisées sont ravies du concert de Caribou. On finit par taire notre indifférence face à un groupe qui fédère à peu près tout le monde, sauf nous. On doit être con comme un balai sans Harry Potter. Afin de ne pas nuire à l’étrange alchimie du disque, nous tairons les réflexions inspirées par le set de Darkside, nous contentant de dire que ça avait bien commencé.
Le retour à la navette est un long chemin de croix où il convient de mettre un pied devant l’autre sans penser au reste. Pingouins dans la boue.
Nous sommes la foule (vendredi)
Une merveille de milieu d’après-midi à la plage du Bon secours. Maillots de bain, lunettes de soleil, enfants qui plongent de haut, flâneurs de remparts et vision à 360° d’une journée d’été pas tout à fait comme les autres, tandis que sur la petite scène, la beauté se décline en contretemps. Aquaserge. Beauté superbe des ambitions de partition, mi chanson mise en jazz, mi-pied-de-nez aux poncifs et clichés des pop songs qui s’étirent. Il fait beau, la mer, temporairement retirée, fait de la place aux vacanciers ; furieuse envie de retirer ses boots et d’écouter danser ses pieds nus dans le sable. Au lieu de ça, nous allons rater l’interview de Metz pour cause de navette fantôme.
Des parties de Uno avec des inconnus en attendant un bus qui ne vient pas, des jeunes impudents qui tentent de passer devant tout le monde et un vieux monsieur qui y arrive ; nous sommes des gens bien élevés, que voulez-vous. Un ami sur le départ qui lance un énigmatique et drôle « laisse pas traîner ton fils ! »
Anna Calvi lève sa guitare et la nuit tombe. Petits écrans qui filment des écrans géants, de la Villageoise planquée dans des bottes, des parapluies qui dansent au-dessus de la foule, Portishead qui revient jouer ici seize ans après. Emotion intacte et seul rappel du festival après un GRAND concert. Serrer Priscilla aussi fort que possible dans ses bras, des larmes au bord des yeux et le sternum qui met des coups de latte sous la peau.
Un peu avant. Deux accords à la basse, une voix, 14 000 personnes qui se taisent, pas une goutte de pluie. La suite est de Lamartine.
De la très mauvaise bière, insipide et dont l’absence d’amertume en refile pas mal, des galettes et des saucisses, des crêpes et des frites chères, un jeune homme qui dort, ratatiné sur une poubelle, peu de déguisements (ouf), des femmes qui pissent comme des hommes ; pas debout, dehors.
Metz ? Peut-être bien LE concert du festival. Une heure pied au plancher et des parpaings dans les oreilles toutes les deux mesures. En plus, ils jouaient trop fort. La perfection.
Nous sommes complet. Nous sommes la foule. Nous sommes un peu saouls, fatigués, joyeux, serrés, amoureux, furieux des conditions d’accueil, en retard, perdus, dans une énième file d’attente, affamés, plus saouls encore plus tard.
Le début du concert de Liars est à l’image de son leader, quelques heures avant, en conférence de presse : arrogant. T’es so bored, mec ? Moi aussi. J’ai lu beaucoup de mal de ta prestation. On n’a plus 20 ans, pas vrai ?
La jeune fille derrière nous dans la navette tient le crachoir à sa voisine pendant tout le trajet. Arrivé à Saint Malo, je connais mieux sa vie que celle de mes voisins de bureau. « Nan mais c’est normal que je reste longtemps dans la salle de bains, je suis une fille ! » Et une sacrée pipelette sans aucune pudeur, aussi. Putain de réseaux sociaux. A demain.
Le dernier jour est un jour comme les autres (samedi)
Un spectateur du tournoi de foot de la Route du Rock se fait piquer son beignet à la framboise par une mouette, un inconnu croisé deux jours plus tôt nous confesse avoir fini à la Croix rouge la veille, Saint Malo ressemble plus que jamais à une ville en vacances, nous filons au Fort de Saint Père pour ne pas louper l’interview de Baxter Dury, que nous raterons quand même, le chanteur étant pris dans les bouchons…
Bon dieu, il fait BEAU et CHAUD. Mac DeMarco en profite pour se mettre le public dans la poche : derrière son t-shirt des Simpson, ses dents du bonheur et son sourire de dumb, se cache : « un crooner, en fait » souffle quelqu’un derrière moi. Un crooner qui change ses cordes cassées tout seul, tandis que ses acolytes improvisent une hilarante reprise de Coldplay. Plus tard, dans l’espace VIP, nous croiserons les bougres, à qui nous irons dire tout le bien qu’on pense de leur musique. Remerciements, sourires, silence et… un « Do you have dope ? » vient clore la discussion.
Lassé d’espérer une navette qui ne vient pas, un festivalier quitte la file d’attente pour monter dans un taxi.
Sinon, Mac DeMarco finit son set sur le public, se permettant même de fumer sa clope en plein crowdsurfing. La désinvolture des grands.
Crowdsurfing toujours : une poubelle vogue sur le public pendant le concert de Cheveu. Enorme concert. Juste, note pour plus tard, les gars : le gros son, c’est encore mieux en montagnes russes qu’en tout-à-fond. On sait, la formule 1 est toute neuve. Mais vous êtes tellement forts en trajectoires étranges…
Les organisateurs du festival se font pourrir sur Facebook par les festivaliers pour la piètre qualité de l’accueil du public. Les arguments se tiennent, c’est écrit en français et le community manager qui a photoshopé le devant de la scène, transformée en green de golf », est une andouille. On espère que celui qui le paye l’a bien engueulé.
Plus tôt, Temples débarque dans l’espace presse. Leur look est à l’image de leur musique : un plagiat sans imagination. On rajoute ridicule par méchanceté gratuite. Plus tard, on file voir la fin du set de Toy. Notre voisin résume l’affaire en une punchline : « C’est bruyant mais ça ne décolle pas. » Avant, il y avait eu Baxter Dury. On ne comprend pas trop l’intérêt de ce genre de concerts dans un festival, encore moins sur la grande scène. Et pourtant. Et pourtant. Il nous a encore tiré des larmes. Et on n’est pas les seuls : un soutien-gorge a fini sur scène. Ah, ces Anglais… Encore plus tard à l’espace presse, on lui lâchera un bruyant « Baxter, I love what you do ! », tandis qu’une cour de je-ne-sais-qui s’agitent autour de lui.
On finit un verre de cidre à la main, l’autre qui s’agite pour saluer les copains, la gorge un peu serrée. Le dernier jour a beau être un jour comme les autres, ça n’empêche pas de sentir monter un blues d’enfer. Même le chemin du retour est sec. Il est temps de partir.
Quitter la Route du Rock, ou le supplice de Cancale
Un dimanche à la mer. Parkings pleins dégueulant sur la plage, poussettes roulant sur les pieds, terrasses des restaurants remplies ras-la-gueule tandis qu’à l’horizon, le Mont Saint-Michel, impassible, toise tout ce petit monde claquant ses derniers chèques vacances. En plus, je suis allergique aux fruits de mer. Il a fallu un certain temps avant de se décider à rentrer dans l’autre pays où habite la pluie.
Photos : Edouard Roussel