Trois mois après la sortie de « A l’amitié » disque ici passé sous silence mais salué partout ailleurs, Gonzaï consent enfin à faire son job et profite du passage d’Aquaserge à la Route du Rock pour en savoir plus sur les positions du groupe face au jazz rock, au concept de leadership ainsi qu’au port de bermuda en festival. Comme disent les bikers : mieux motard que jamais. Bon. Mais vu la tronche des longs jams atonaux qui balisent ce disque free jazz gondolé comme du papier crépon, on dira surtout : sauvé par le Gong.

7photoIl est 17H05 ce vendredi 15 août sur la plage de Saint Malo. Les Toulousains d’Aquaserge viennent de finir un set planant qui contraste avec l’air du bord de mer et la tronche médusée des aoûtiens en goguette qui n’ont certes jamais connu la tournée des plages de Michel Houellebecq période « Présence Humaine » avec Temesta délivrés comme des hosties par Canadair, ni le summer of love de 1967. Ni encore toutes ces conneries hippies qu’on nous raconte dans les livres comme les vestiges d’un temps passé, révolu, repassé, infiniment loin, tellement inaccessible que lorsqu’on regarde la gueule de nos parents rabougris qui votent FN comme on irait chercher du pain, on a du mal à croire que ces gens aient pu être jeunes ou simplement vivre à la même époque où Daevid Allen, Robert Wyatt et consort inventaient un monde parallèle et tordu dans lequel Aquaserge puise aujourd’hui une partie de son inspiration.
Bon. Vous ne comprenez strictement rien à l’entame de ce papier, je le vois bien. Recommençons et disons le plus simplement : cette après-midi à la Route du Rock, le concert d’Aquaserge fut une claque pour le tout-venant. Il y a là évidemment du Gong, du Soft Machine, toute l’école de Canterbury entassée sous ce préau qu’est la pop récréative d’Aquaserge, des milliers d’idées dans chaque chanson, des suites d’accords qui font des zig et des zag sur la partition, du rock (un peu, la juste mesure), du psyché (remember le leader barré d’Acid Mothers Temple, Makoto Kawabata sur « Ce très cher Serge ») et même si cela peut entraîner un suicide collectif chez 74 % des lecteurs de cet article, du jazz rock.

Et puis il y a ce groupe au look parfois un peu baba maoïste, qui chante parfois à la limite du faux, qui parfois ne chante pas, qui parfois rappellerait presque la pop expérimentale de Burgalat et ses Dragons sous LSD, qui à d’autres moments livre un set d’érudition free jazz sans tomber dans la bavasserie de comptoir pour énarques bercés trop près de la discographie de Chick Corea ; un vrai collectif serré donc, qui, toujours, pose la bonne question : à quoi sert Aquaserge ? Fondamentalement, comme la crème anti-rides pour vous mesdames : à rien. Mais tout ce vide que ces Français explorent, ils le remplissent avec une basse profonde qui tourne, un groove qui permet la prise de risque et qui s’éloigne bigrement de la prestation livrée la veille par les Américains de Thee Oh Sees et leur set un peu cromagnonesque, c’est-à-dire rudimentaire et préhistorique dans sa construction, à peine ponctué d’ululement de loup-garou alcoolisé tous les trois accords ; ce qui lorsqu’on fait l’addition des bons points pèse pas lourd dans la balance à invention.

La musique d’Aquaserge sur disque, elle, est parfois rude comme un dos d’âne. C’est un peu bosselé, ça peut paraître horripilant ces expérimentations sans refrains – mais pas sans structures – qui flirtent constamment sur la fine ligne de démarcation entre justesses et dissonances – la marque de fabrique du groupe. Alors que le set d’Aquaserge se conclut sur une impression d’opération à cœur ouvert avec Thelonious Monk dans le rôle du chirurgien, c’est sur cette note bleue froissée que débute logiquement l’interview.

Salut les Aquaserge. Bon je vous préviens, j’ai pas beaucoup de questions et encore moins des qui soient intelligentes, sauf peut-être une qui m’est venue en écoutant tout à l’heure votre superbe set sur la plage éberluée. Il y a cette citation de Debussy, « La dissonance d’aujourd’hui est la consonance de demain », qui me semble bien résonner avec votre musique. Est-ce que cela fait sens, pour vous ?

Benjamin Glibert (guitare, chant) : Oui ça nous parle, ça vient certainement de notre éducation jazz. Le jeu des tons et des demi-tons, c’est un goût qu’on a, instinctivement.

Et c’est aussi le cas sur ton disque solo, Julien, on te sent toujours sur la ligne de brisure, à deux doigts de la fausse note sur le chant, en équilibre, et pourtant.

Julien Gasc (voix, claviers, guitare) : Oui c’est marrant, mais c’est voulu, je ne fais pas les choses à contre-cœur. Y’a plein de mecs qui disent que ça chante faux et d’autres qui disent que c’est toujours hyper juste. D’une personne à l’autre ça change, je sais pas.

Benjamin : C’est vrai qu’effectivement dans les harmonies on cherche ce truc, le frottement.

Audrey Ginestet (basse) : Et c’est quelque chose qui existait déjà dans le jazz ou la musique contemporaine…

Julien : Et puis les progressions harmoniques sont infinies, ça te donne la capacité de te réinventer en permanence ; y’a plein de mecs qui restent sur le mi-ré-sol bon super, mais le nombre de combinaisons possibles est illimité.

Benjamin : Je pensais à ça l’autre fois mais notre nouveau disque s’appelle « A l’amitié », et c’est vrai qu’il y a aussi de cela dans l’amitié, des frottements, des frictions.

Et puisqu’on parle de l’amitié, comment se passe la sortie de ce nouveau disque, par rapport au précédent ? (« Ce très cher Serge », à cheval entre l’autoproduction et une sortie chez Manimal Vinyl Records en 2010)

[Le groupe est visiblement satisfait du travail réalisé par son nouveau label, Chambre 404, monté par les musiciens de Château Marmont]

Audrey : L’idée déjà c’était d’avoir un disque qui sorte vraiment en France, et non pas comme avec « Ce très cher Serge » à l’étranger mais nulle part ici. On s’est rendu compte que c’était compliqué de trouver des concerts si on sortait nos disques aux Etats-Unis.

C’est effectivement problématique. C’est certainement le problème que rencontre un groupe que vous connaissez certainement, à savoir les perpignanais des Liminanas (signés sur le label de Chicago Trouble In Mind)

Le groupe : On ne connaît pas ce groupe, non.

Audrey : Bon le truc c’est que pour « A l’amitié » c’est l’inverse, le disque est disponible en France mais les gens à l’étranger arrivent pas à l’acheter, ah ah !

Benjamin : En tout cas maintenant on a un tourneur et ça c’est grâce au travail d’Almost Music, c’est vraiment la rencontre qui a permis de tout accélérer pour notre développement en France.

Il y a tout de même, pardon, un aspect « invendable » dans votre musique. Avez-vous l’impression que les médias français comprennent mieux votre musique avec ce nouveau LP, disons plus ouvert ?

Audrey : Tout le monde semble adorer sans vraiment comprendre, ah ah.

Benjamin : Et puis il y a ce truc absurde de la presse avec l’un qui en parle et les autres qui du coup se sentent obligés d’en parler ; à notre mesure je veux dire hein, c’est drôle. Mais déjà au moins ils écoutent, c’est bien. Mais ne savent pas trop où nous placer. Nous non plus on sait pas.

 « Notre prochain pari, c’est d’arriver à faire danser les gens ».

Quelles sont les raisons qui expliquent la naissance d’Aquaserge ?

Benjamin : C’est vraiment l’amitié entre tous les membres, et c’est pour cela que ce disque s’appelle comme ça. C’est d’abord une histoire d’amis entre nous trois (Benjamin, Julien Gasc et le batteur Julien Barbagallo, aujourd’hui absent parce que réquisitionné derrière les futs pour Tame Impala qu’il accompagne depuis plusieurs mois), puis avec les autres.

C’est vraiment à la vie, à la mort, entre vous ?

Benjamin : Y’a l’idée qu’on sera toujours là [les uns pour les autres].

Julien : L’amitié c’est périlleux et difficile à garder, à entretenir. C’est comme une plante caractérielle, disons une orchidée. Tu sais jamais si ça va refleurir ; ma grand-mère elle a une orchidée et elle repousse tout le temps, pour elle ça semble simple. Bon nous on s’entretient pas toujours bien mais bon.

Mais de fil en aiguille, disque après disque, vous construisez une œuvre, appelons ça une discographie. Vous savez déjà dans quelle direction vous souhaitez aller pour poser la prochaine pierre ?

Benjamin : On a quelques idées, oui.

Audrey : Pour chaque disque y’a des paris chez Aquaserge. Le pari pour « A l’amitié » c’était de sortir de la mythologie auto-référentielle [effectivement très présente sur « Ce très cher Serge], qui tournait comme un mantra]

Julien : Celui là c’est plus un disque impressionniste que démonstratif, plus assumé dans son côté instrumental et son côté chanson.

Okay. Et c’est quoi le prochain pari alors ?

Julien : Le prochain pari c’est la danse.

C’est-à-dire ?

Julien : Arriver à faire danser les gens. On en parlait avec Bertrand Burgalat, il nous disait « c’est génial vous arrivez à garder un groove avec des mélodies partout et ça chante hyper précis alors que les harmonies sont super compliquées, presque proches de ce que faisait Messiaen ».

Audrey : « Ellingtonnien » il disait aussi.

Julien : Et c’est aussi ce que Bertrand essaie de son côté : faire danser les gens mais de façon non conventionnelle. On va explorer cette piste, on verra, Aquaserge ça restera non conventionnel mais dansable, y’a du boulot en tout cas, et du pain sur la planche.

Pour conclure, on note ça et là qu’il reste des membres actifs de la police du bon goût qui assurent des descentes en factions armées pour emprisonner les fans de jazz rock, et de groupes comme Weather Report. Ma question, très solennelle, est la suivante : quelle est votre position face au jazz rock ?

Benjamin : Moi je viens de là, mon père écoutait Weather Report… Forcément y’a toujours des limites, et Weather représente en quelque sorte une limite au jazz rock, mais j’ai écouté un peu.

Julien : Y a des trucs que j’adore, notamment la période électrique de Miles [Davis] dans les 70’s. Après dans le genre y’a Larry Coryell, qui a du mal à émerger mais qui a inventé l’étiquette jazz fusion, à cheval entre le blues, le jazz et la pop ; y’a des disques qu’on écoute encore.

Audrey : En général dans le jazz rock t’as une figure [j’ai du mal à comprendre la progression d’idée, un putain de roadie s’est installé sur la bande audio avec un BIM BAM du meilleur effet, merci Roger] nous on est un groupe, on est un groupe.

Oui du coup, question essentielle du mythologiquement rock : y’a-t-il un leader chez Aquaserge ?

Le groupe [soudé] : Non.

Aquaserge // A l’amitié // Chambre 404 (Sony)
http://www.aquaserge.com

En concert le 28 novembre à la Maroquinerie (soirée Gonzaï) avec Rien et Centenaire. Plus d’infos ici.

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