Si vous étiez enfant au début des années 80, la probabilité est élevée pour qu’une simple mention de l’émission Téléchat suffise à engendrer chez vous un mouvement instinctif de dérobade. En ce qui me concerne, natif de l’an de grâce 1979, l’effroyable Léguman restera éternellement synonyme de stress post-traumatique. Mais il y avait encore pire que cette chose bricolée à partir de bouts de cauchemars : la télé anglaise. Dans Scarred For Life Volume 1 et 2, deux grands malades compilent le meilleur du pire du cathodique d’outre Manche.

 

Parmi les autres horreurs ayant assurément nui au bon équilibre mental de la jeunesse française, on pourrait citer des programmes plus tardifs tels que La Vie des Botes, pastiche vomitif de soap-opera américain avec des androïdes dégénérés ; le sanguinolent Ken le Survivant ; le délire flagellatoire de Princesse Sarah, victime d’épisode en épisode d’humiliations toujours plus orgiaques ; ou encore le sépulcral Rémi sans famille, sorte de prequel misérabiliste de Game of Thrones (tout le monde crève sans prévenir).

Vortex cathodique

Mais ceci n’est que du petit lait en comparaison de la télévision britannique des années 1970 et 1980, qui semblait s’être donnée pour mission de traumatiser sans rémission plusieurs générations de kiddies.

Après les riantes années 60, le paranormal devient méchamment tendance chez nos insulaires voisins. Soudainement, les petits bonshommes verts le disputent aux ectoplasmes gothiques de la tradition. La Guerre Froide bat son plein. La menace nucléaire pèse sur tous les esprits ; les scientifiques sont désormais sujets à caution, apprentis-sorciers de l’extinction. Le Royaume-Uni bondit à pieds joints dans un vortex d’angoisse cathodique.

Effrayés à vie

Tel est en tout cas le propos de deux anthologies jubilatoires intitulées Scarred For Life Volume 1 et 2, signées par deux grands mabouls répondant aux noms de Stephen Brotherstone et Dave Lawrence.

Review – Scarred For Life Volume One – The 1970s by Stephen Brotherstone and Dave Lawrence | Lady Don't Fall Backwards

Scarred For Life Volume 2: Television in the 1980s – Now Available to Buy! – The Penny University

L’ambition est ici le maître-mot. Avec une exhaustivité impressionnante, les deux pavés recensent toutes les émissions, séries, pastilles, et jusqu’aux bandes-dessinées, jouets et même jeux de société anglais des années 70 et 80 dont le contenu serait aujourd’hui jugé choquant, malsain ou offensant (les anglo-saxons diraient inaproppriate) mais qui à l’époque rivalisaient de créativité dérangée pour « meurtrir à vie » leur public, quand bien même celui-ci revenait tout juste de la cour d’école.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les gens d’ITV, Granada et de la BBC (et encore plus de la chaîne galloise régionale Harlech Wales) y allaient de bon cœur pour marquer les esprits, que ça soit dans le registre du malaise freudien, du « folk-horror » (un genre spécifique d’épouvante rurale rempli jusqu’à la gueule de rites païens et de vieilles pierres, dans la veine du Wicker Man original de 1973), de la science-fiction psychédélique obsédante, de la série d’anticipation sans filtre ou du film catastrophe gore. Et même les services publics s’y collaient avec des PIF (public information films) destinés à sensibiliser les sujets de Sa Majesté aux risques du quotidien, bien-intentionnés dans l’esprit mais absurdement outranciers dans leur réalisation (une course d’écoliers en travers d’une voie ferrée, que peut-il bien arriver ? C’est ce que nous allons vous montrer dans le plus grand détail).

 

Tout aussi effarant pour nous autres voyageurs temporels du vingt-et-unième siècle, le racisme et la misogynie ordinaires harassent le pays aux heures de grande écoute, déguisés en sympathiques sitcoms familiales. Les auteurs ne se privent pas de les épingler.

L’écriture est d’ailleurs une des qualités principales des deux ouvrages : le concept était tout simplement génial, encore fallait-il trouver le ton juste pour chroniquer ces monstruosités révolues. Et de ce point de vue aussi, c’est une réussite. Brotherstone et Lawrence oscillent constamment entre une nostalgie horrifiée, une remise en perspective amusée et, sans avoir l’air d’y toucher, un regard cinéphilique ou littéraire du plus grand sérieux. C’est de la belle ouvrage. Tout là-dedans respire la passion de la culture populaire.

Cerise sur le gâteau pour les mélomanes, les génériques des émissions les plus emblématiques sont passés au crible, les années 70 constituant, pour les auteurs, un âge d’or dans le domaine. On ne peut s’empêcher d’aller jeter un œil sur YouTube toutes les deux pages pour voir de quoi il retourne. L’occasion de découvrir d’authentiques joyaux sonores, comme la chanson de la série Ace of Wands (« Tarot » de Andy Bown, dont le 45-tours se négocie dans les 300 euros de nos jours) ou le superbe morceau-titre de The Tomorrow People.

 

Sans surprise, la quasi-totalité de ces objets télévisuels n’a jamais franchi la Manche. Trop bizarres, trop flippants, trop subversifs, de mauvais goût ou simplement trop British, ces productions constituent, pour nous français, un gigantesque pan inconnu de la culture britannique, raison pour laquelle il est douteux que ces deux volumes (un troisième est en préparation) soient jamais traduits en français.

Par bonheur, les deux larrons sont également très actifs sur Twitter où ils prennent un malin plaisir à partager leurs effrois et leur consternation.

Reste une question : qui pour s’attaquer à un équivalent français ? Quelque part, Léguman attend son heure…

3 commentaires

  1. Et les tripodes (the tripods), on en parle? Je vous laisse, j’ai le gluon du trou qui me bassine de bosser un peu afin de remplir les capsules de pub-pub.

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