Alors que la décennie zéro s'achève dans un ronron plus qu'usuel de bières qui se brisent et de pipis dans les fourrés, la suivante débute avec de grands projets. Ressassés ont été l

Alors que la décennie zéro s’achève dans un ronron plus qu’usuel de bières qui se brisent et de pipis dans les fourrés, la suivante débute avec de grands projets. Ressassés ont été les différents problèmes que rencontre le rock’n’roll à Paris. Longtemps l’alternative a été cherchée bien  trop loin. Et Berlin ? Et le Tiers-monde ? Jusqu’à ce qu’une idée émerge. Et si l’avenir du rock’n’roll enlaçait le périphérique de l’extérieur ?

Chez Gonzaï, on avait quitté les Black Feldspaths avant la fin du plus ringard des bals de promo intramuros. Organisé au Gibus, le festival inter-écoles leur avait vomi les préventes non-vendues en plein set ; les laissaient vaquer à de plus importantes occupations en embarquant une bouteille de pastis. Les candidats parfaits, sans doute.

C’est amusé que je reçois leur invitation. Ils jouent au Bistrot du Théâtre, à Saint-Quentin en Yvelines. L’annonce de nouveaux tourments est prometteuse, le cadre idéal pour une invasion express. J’enfile ma veste d’officier et mes plus sanglantes impulsions d’impérialisme et saute dans mon panzer en remuant de doux rêves de lendemains qui chantent. Forts, et puissants surtout. J’imagine la tranquille végétation d’une morne plaine défoncée au lance-flamme électrique, souillée à l’excitation d’une foule libérée, embrasée au magnétisme d’un frontman allumé.

J’entonne la marche des Walkyries au moment de passer la porte du bar et sombre dans l’abîme, juste à temps pour le concert. Vulgaire badaud passif, trouffion d’arrière-garde, j’observe tout de même  le rituel du prélude à chaque nouvelle bataille et commande une pinte. En sortant le nez de la mousse, je constate l’ampleur du chantier. Le groupe est relégué au fin fond de la salle, là où seul son fan club d’une dizaine de têtes juvéniles peut l’admirer. Autour de lui, d’interminables rangées de photos d’acteurs en noir et blanc, gentiment disposées dans des cadres Ikéa. Dix victimes frontrow, pas plus dans le reste de la salle, moi compris, le patron derrière son comptoir compris. Quelques groupes de jeunes sans projets semblent ne même pas prêter attention à la musique, à peine se perdent-ils parfois quelques secondes dans la vision cauchemardesque d’un groupe sans audience. Tous assis, personne ne vit. A côté de moi, le chanteur du groupe suivant demande une bière au patron et s’inquiète. « Ca va le son ? ». De son affreux maillot de rugby, l’aubergiste acquiesce.

Ca va le son, semble-t-il penser. Ignorant, fasciste, centriste ! C’est à peine si les guitares murmurent. Et les micros résonnent aussi élégamment qu’une sonate de rôts en fa bémol. Et cette batterie, tu l’as fabriqué en Tétrapak ?

La bataille s’annonçait somptueuse, mortuaire et divine. Mais le piège semble se refermer. Le groupe en a conscience. Le terrain était miné, même The Black Man And The Baby Boy ou Try To See, leurs plus valeureux chevaux ne trouvent pas la sortie. Ils sonnent creux.  Leur sens de la surprise a préféré déclarer forfait, bien lui en a pris. Ils se plantent et reprennent dans l’indifférence générale, terminent une chanson sans faire trembler le sol. Et comblent le vide entre deux titres comme ils le peuvent. « Le sens, lorsqu’il va du 31 décembre au 1er janvier, se nomme l’an. Et il sent bon, c’est l’An Sens ». Réaction de notre démocrate à crampons, « au moins ils osent, ah ».

La nuit sonne terriblement creux, personne n’a sorti les longs couteaux. Désespérés, mes tympans se heurtent à une cloison de Placoplatre roucoulant. Jamais les solos ne tranchent dans le vif, jamais les breaks ne s’échappent de leur rampe de lancement. Ce soir, nous resterons sur Terre. Coincés dans la brousse, il n’y a rien à faire, si ce n’est écluser. Sur la carte, un encadré apprend que les tarifs ne sont pas majorés le samedi, sauf pour les Stones et U2. Décidemment, il n’y a rien d’autre à faire.

Le silence de la fin du concert est brisé par l’affreux premier opus des singes de l’arctique lancé par la sono. Affalé au comptoir de faux marbre, câlinant un café et une pression de bière belge servie dans un verre à ballon, un quinqua définitivement rincé me demande si j’ai des copines potentielles. J’ai des copines effectives, mais pas ce soir. Je n’aurais voulu ennuyer personne avec ce désolant spectacle. « Parce qu’il y avait moyen d’aller plus haut, pour toi ». Réfléchissant à de si sages paroles, je suis surpris par les premiers sons du groupe suivant. Headphones. Ils sont quatre, voire trois, puis six. Assis sur une chaise en bois, la longue chevelure du chanteur accompagne de lancinants morceaux acoustiques. Si l’on ne décolle toujours pas, au moins suis-je bercé au son de la dernière goutte qui file trop vite. Le son se fait plus vif, l’audience plus attentive. Me voilà au beau milieu d’une scène bonus de Dig !, la violence en moins.

En partant, j’échange quelques mots avec les Feldspaths. Ils joueront aux Disquaires dans un mois. Retour à la case départ. Autour de moi, les buildings d’architecture mussolinienne ne mentent pas. La banlieue ouvre ses portes au lever du jour, grouille de fourmis du Nouveau Monde quelques heures, et recrache tout le monde à l’heure où ferment les boutiques. La bataille est annulée, terrain impraticable.

« Y’a moyen d’aller plus haut ». En banlieue, la vérité sort toujours de la bouche des ivrognes.

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