Ce 21 septembre 2021, jour de solstice d’automne, une lumière vive de la musique électronique et industrielle s’est éteinte. Le mur porteur de Cabaret Voltaire était né le 21 mars 1956 à Sheffield. En milieu d’après-midi j’apprends la mauvaise nouvelle sur le fil Twitter du label Mute : « C’est avec une grande tristesse que nous confirmons le décès de notre grand et cher ami, Richard H. Kirk. Richard était un génie créatif imposant qui a mené un chemin singulier et motivé tout au long de sa vie et de sa carrière musicale. Il va tellement nous manquer.«
Mon premier contact avec l’univers de Cabaret Voltaire se concrétise durant l’été 1985, quand un certain Jérôme le DJ qui me précédait à La Guinguette du Rock pose « Nag, Nag Nag » sur sa platine. A l’écoute de cette dinguerie électro-punk sale et tordue, nous sommes devenus fous sur la piste, je beuglais les paroles en yaourt tout en faisant l’hélicoptère avec mes cheveux crêpés, bourré comme un cosaque. Très vite je me suis mis à collecter tout ce qui avait à voir, de près ou de loin, avec ce groupe anglais. Quand je passais une soirée chez des copains plus âgés je me faisais des copies de cassettes jusqu’au moment de ma vie où j’ai eu les moyens de m’acheter des vinyles. Au début, sans bien connaître Cabaret Voltaire, j’achetais tout ce que je voyais chez les disquaires d’Avignon, pas mal d’occasions à des prix très corrects, très jeune. Je me suis dégoté The Voice of America (1980), Red Mecca (1981), Micro-phonies (1982) et The crackdown (1983), mais je me suis vite rendu compte que le son du groupe dans les années 80 était très différent de ce morceau de 1979 qui m’a permis de les découvrir. Un peu déçu, je classais ces disques au fond d’un bac après les avoir écoutés une ou deux fois, sans vraiment avoir pu les apprécier à leur juste valeur. Ce n’est que vingt ans plus tard que je reviendrai sur ces albums et que j’apprécierai et disséquerai enfin leur contenu.
Ce groupe originaire de Sheffield est formé en 1973 ou 1974 (selon les sources) par Richard H. Kirk, Stephen W. Mallinder et Chris Watson. Le groupe reste actif jusqu’en 1994 avant de splitter et de revenir sous le même nom en 2014 (il reviendra sur scène pour le festival Atonal de Berlin cette année-là) avec un seul membre originel, Richard H. Kirk. J’aurais d’ailleurs l’occasion d’aller le voir jouer le 11 novembre 2016 au festival Positive Education (Saint-Etienne), ce qui me laissera un arrière-goût de déception ultime tellement le show minimaliste de Kirk n’avait rien à voir avec le Cabaret Voltaire que je connaissais.
Empruntant son nom de groupe à un café dadaïste situé à Zürich en Suisse (pour la petite histoire c’est dans ce bar, le Cabaret Voltaire, que fut fondé le dadaïsme le 5 février 1916) les membres du groupe se retrouvent assez rapidement à fréquenter les initiateurs du mouvement industriel originel (Throbbing Gristle, Clock DVA, SPK, et NON). Ils deviennent très potes avec Genesis P-Orridge et Cosey Fanni Tutti, et sortiront quelques cassettes sur Industrial Records sur des thématiques liées au contexte social et politique anglais de l’époque (la compilation 1974-76 est sortie sur le label Industrial Records en 1978). Cabaret Voltaire a est très peu tourné en France, ils jouent une première fois au Gibus à Paris en avril 1979, ensuite en novembre de la même année aux 120 Nuits à Paris, puis en décembre 1983 aux Transmusicales de Rennes. La carrière du leader Richard H. Kirk, considéré par ses pairs comme une figure essentielle de la musique électronique, publie sur divers labels un flot incessant de productions sous le nom de Cabaret Voltaire en premier lieu, puis sous son propre nom ou sous les pseudos Sandoz, Sweet Exorcist et Electronic Eye. Inventeur du son de Sheffield, Kirk reste admiré par des gens comme les patrons du label Warp Records (Aphex Twin, Autechre, Black Dog, Brian Eno), des figures de la scène techno et des journalistes musicaux légèrement élitistes.
En 1978, Cabaret Voltaire apparaît sur FAC-2 – A Factory Sample, (double mini 33 tours). Il s’agit de la première référence publiée par Factory Records (avec une pochette papier sous plastique transparent signée Peter Saville). Sur une face, il y a Cabaret Voltaire et sur les autres Joy Division, The Durutti Column et John Dowie. La même année le groupe se barre chez Rough Trade et débute l’enregistrement de titres expérimentaux qui finiront sur le premier album studio, Mix-Up (1979). L’EP Nag Nag Nag sort en 1979 chez Rough Trade/Celluloïd (les photos de la pochette du disque ont été prises par Richard Waters durant le concert au Gibus en avril 1979). En 1980 sort leur deuxième album studio, The voice of America, chez Rough Trade, ce sera un succès inattendu puisque ce disque va atteindre la troisième place des charts britanniques indépendants. Toujours en 1980, le groupe sort l’EP Three mantras, produit et enregistré dans leur propre studio Western Works à Sheffield. Red Mecca, leur troisième album sera publié en 1981 (chez Rough Trade/Mute).
Chris Watson quittera le groupe fin 1981, et deviendra ingénieur du son pour la télévision et la radio tout en publiant sporadiquement des albums sous son propre nom. À partir de 1982, Cabaret Voltaire rentre dans un période plus groovy, que les critiques appellent l’ère électro-funk, un mix de musique industrielle, synthpop et electrofunk qui correspond parfaitement à la période new wave dont traite mon prochain livre. Suivront les albums Micro-Phonies (en 1984 conjointement sur Virgin Records et Some Bizzare), The Covenant, The sword & The arm of the lord (avec le tube I want you), qui bénéficieront tous les trois d’un certain succès d’estime (façon très polie de dire que les critiques ont apprécié ces albums mais que le public n’en a eu cure). Malgré l’échec commercial relatif de Micro-phonies cet album que j’apprécie toujours autant depuis des années contient deux excellents titres qui avaient pas mal de succès sur les dancefloors durant mon adolescence, Do right et Sensoria, ce dernier bénéficiera d’un chouette clip qui permettra à Stephen Mallinder et Richard H. Kirk d’acquérir une plus grande visibilité mainstream du fait de la saveur new wave assumée de ce tube.
Le cinquième album de Cabaret Voltaire, The crackdown, produit par Flood, sort en 1983 sur le label Some Bizzare Records, il atteint la trente-unième place des charts britanniques grâce notamment au brillant Just Fascination dont la mélodie vous rentre durablement dans la tête. 1987 sera l’année de l’album Code (distribué par EMI/Parlophone), cette fois-ci coproduit par Cabaret Voltaire et Adrian Sherwood dans une veine électro dansante voire breakbeat sans plus aucune trace de leur univers industriel d’antan malgré deux ou trois tracks assez pertinents, « Don’t argue », et « Sex, money, freaks ». Autant Richard H. Kirk, que Stephen Mallinder, sentent le vent tourner, ils attrapent au vol les courants électroniques qui sont en train de révolutionner la sphère musicale et produisent des albums de plus en plus house, techno ou IDM. Avec l’album Body & soul publié sur le label belge Les Disques du Crépuscule, Kirk et Mallinder se retrouvent peu inspirés puisque obligés de suivre la tendance plutôt que de la précéder comme c’était le cas au début des années 80. C’est le début de la fin.
Le chanteur/bassiste Mallinder finit par quitter le groupe en 1994 juste après The conversation. Je ne parlerai pas des albums en solo de Richard H. Kirk dans une veine dub ambient qui ne m’a jamais intéressé, mais je me dois de conseiller aux lecteurs les plus passionnés d’aller voir ce qu’a fait Stephen Mallinder sous le nom de Wrangler avec Benge (groupe composé d’un ex-John Foxx & The Math), riche de sonorités proches de l’esprit industriel du Cabaret Voltaire des débuts. Il collabore aussi sur d’autres projets comme Creep Show (publié chez Bella Union, label de l’ex Cocteau Twins Simon Raymonde) avec le chanteur John Grant et il chante également sur un excellent EP d’Amato & Adriani (autrement dit The Hacker et Alessandro Adriani du label italien Mannequin records). Quant à Richard H. Kirk, il continuera jusqu’au bout à capitaliser sur le passé de Cabaret Voltaire en sortant des albums expérimentaux extraordinairement profonds et criblés de drone, de sons dub industriels et de nappes synthétiques troublantes chez Mute Records (Shadow of fear en 2020, Dekadrone et BN9 Drone en 2021). Lentement, la boucle se boucle.
Un an après la mort de Gabi Delgado (D.A.F.), Florian Schneider (Kraftwerk) et Genesis P-Orridge (Throbbing Gristle/Psychic TV) voici encore un grand de la musique industrielle et électronique nous quitter prématurément. Richard H. Kirk est mort aujourd’hui à 65 ans, mettant définitivement fin à Cabaret Voltaire dont il était le dernier représentant sur scène, et sur disque.
4 commentaires
neat neat neat
Je me souviens d’une interview où Il expliquait qu’ils se sentaient libres de faire ce qu’ils voulaient étant donné que tout le monde s’en branler de leur musique.
Je trouve que cette philosophie est toujours pertinente.
Le cabaret Voltaire en 1916 était le lieu où se réunissaient les membres du groupe Dada
Ce nom n’a pas était choisi par hasard….
we mixes remixes & takes the flow cash & we don’t care